15/01/2013
Symphonie en cuisine
On ne va pas se mentir. Je ne suis sûrement pas le moins con d'entre vous. Ni le plus subtil. Ni le plus post-moderne ou néo-indus. Mais il y a une chose pour laquelle je suis balèze, vraiment insurpassable, c'est l'admiration.
Je suis capable d'admirer dans n'importe quelle position, dès le matin, même à jeun, même avec très peu de matériel.
Je suis comme ça. J'admire.
Dans la cuisine du restaurant d'une chaîne de fast-food très connue où j'ai travaillé pendant quatre ans, j'avais un pote que j'admirais en particulier, P. Et je ne l'admirais ni pour sa culture musicale ni pour l'encyclopédie du cinéma asiatique qu'il portait sous sa casquette. Mais pour la qualité de son silence. C'est important, le silence. Moi et ma grande gueule, en tout cas, on l'a toujours apprécié chez les autres.
P. connaissait la cuisine par coeur et il savait que c'était beaucoup moins un lieu de travail qu'un lieu de vie. Aussi, il avait développé toute une gamme de techniques de survie qui ont fait école dans le fast-food, tennis-burger, minigolf-poubelle, ateliers de décoration avec le ruban de l'étiqueteuse, etc. Mais son grand oeuvre a été une symphonie. Cette oeuvre a existé : il y a eu des témoins, mais, à part P. et moi, personne qui s'en soit rendu compte. Je dirais même que cette oeuvre n'a de valeur que si peu de gens s'en aperçoivent.
Malgré tout, l'importance m'en paraît trop grande pour que je n'en laisse pas une trace. Voici donc une indication pour les galeriste, bien que l'idée même de reproduire une telle oeuvre dans un lieu dédié à l'art porte une contradiction en soi.
Admirez avec moi, mes frères : P. est l'inventeur de l'art discret.
Titre de l'oeuvre : Symphonie automatique en cuisine majeure.
Matériel : Full kitchen, du type Mc Donald's®, c'est-à-dire : trois toasters, six clams (grills, deux par toaster) avec leurs sonneries, c'est-à-dire : pour les toasters, enclencher, 35 secondes puis sonnerie en MI, 60 à la noire. Pour les clams : clam 1, 40 secondes puis sonnerie LA-SI, soupir, LA-SI, soupir en ¾, 60 à la noire, (5 secondes) puis même sonnerie que le toaster (5secondes) ; pour les clams 2 et 3, 120 secondes puis même thème.
Un poste-frites : trois cuves, sonnerie en MI (60 à la noire) au bout de 3 minutes, avec, au bout de 30 secondes une sonnerie intermédiaire, en LA (15 à la noire).
Un poste poulet-poisson : huit cuves, dont quatre sonnent au bout de 4'30'', et quatre au bout de 3'15''.
Des timers pour les produits des tables à garniture : une douzaine. Sonnent au bout de 3 heures.
Une pointeuse qui sonne toutes les heures pour marquer la demie, avec un bruit électronique évoquant la harpe ou des gang-bangs de fées et de lutins au pays des merveilles.
Protocole : deux équipiers expérimentés sont nécessaires pour la manœuvre. La mise en route consiste à actionner les appareils à tour de rôle pour que toutes les sonneries se déclenchent en même temps.
Nota bene : La performance doit être entreprise pendant les heures creuses pour d'évidentes raisons de disponibilité des appareils de cuisson, et aussi parce que la Symphonie doit résonner dans le silence.
Impossibilité : l'oeuvre n'a de sens que dans la mesure où elle est exécutée dans une vraie cuisine de vrai fast-food avec de vrais clients et un personnel encadrant présent qui ne doit s'apercevoir de rien, car ce genre de happening, comme tout ce qui ne rapporte pas d'argent, est strictement interdit pendant les heures d'ouverture.
Exécutions : une fois (été 2010), dirigé par Pierre Gaidot, avec l'aide de Grégoire Damon. Public : Brice, manager. Anissa, hôtesse.
Le hasard, qui connaît son boulot depuis le temps, voulut que l'exécution survienne dans un moment de silence. Le genre de moments où le temps est complètement flottant, et dont les conditions ne se réunissent que deux ou trois fois dans une vie d'équipier de restauration rapide.
Seuls les organisateurs surent se rendre compte de l'importance historique de ce qui était en train de se dérouler.
08:52 Publié dans Bouts de peau | Tags : cuisine, fast food, temps de cuisson, symphonie, admiration, art discret | Lien permanent | Commentaires (2)
09/01/2013
Et vive la vie !
Autant je n'ai jamais regretté ma dernière mue professionnelle
Autant certains lecteurs me font flipper
Comme hier cet homme qui a pris deux livre
Le premier s'intitulait 9 mois pour devenir parents
L'autre
Stratégies fiscales
Et vive la vie !
08:00 Publié dans Bouts de peau | Tags : bibliothèque, fiscalité, histoire vécue, notre époque est formidable | Lien permanent | Commentaires (0)
31/12/2012
Merci pour la cigarette
Pourquoi je parle d'Espérance ? Parce qu'hier soir un mec a essayé de me vendre la sienne.
Alors que je sortais du boulot.
Spammé en pleine ville, que j'ai été.
Et quand je dis un mec, je veux dire un Sage.
Et quand je dis un Sage, je veux dire un concurrent sérieux de ma petite franchise de Messies.
Et quand je dis un concurrent, je veux dire un supplicié qui porte ses stigmates dans sa bouche.
Il dit :
- Vous devez être jeune, vous. Combien ? Ah, oui. Moi, j'ai 39 ans.
Il dit :
- Dont 17 ans dans la rue.
Et il sourit, et c'est là qu'il se révèle : la sainteté chez lui a commencé par les incisives. Je flaire le génie marketing. Deux dents qui manquent, des années de rue, c'est impardonnable dans certains milieux bien élévés. Mais moi j'ai une gueule de gauche, et mon Messie a l'esprit volontiers paradoxal. Surtout à l'approche de la période des fêtes. Il ouvre les bras.
- Vous savez, avec l'Espérance, on peut tout faire. On maîtrise les méchants, on maîtrise les gentils, on maîtrise les orgueilleux, on maîtrise les sages, on maitrises les hommes de bien, on maîtrise les hypocrites. On maîtrise l'avenir. On maîtrise le passé. Vous, l'Espérance, vous l'avez ?
moi non
je n'ai que mon poème
je l'ai dressé à l'attaque mais ne vous inquiétez pas
il ne mord pas mes amis
- Alors je dois être content pour vous, je suppose. Vous êtes d'accord avec ça ?
- Volontiers, je dis. S'il n'y a pas de supplément pour les frais de port.
- Oh mais, jamais de la vie, pour qui me prenez-vous ? Si j'avais de mauvaises intentions, je vous aurais déjà envahi les écrans de télé pour mes voeux présidentiels.
Et puis, se ravisant :
- Quoiqu'il y ait toujours cette grande braderie, en fin d'année, aux voeux présidentiels. Sur l'Espérance, ils en font des tonnes, des - 70, des - 80% parfois. Mais... Ce n'est pas toujours reluisant question transparence et traçabilité, n'est-ce pas ?
- Je suis bien d'accord avec vous, dis-je. Mais il y a l'image. Beaucoup de gens que ça rassure.
...
Le stigmate de sa bouche fait un pli. Il dit :
- Oui, c'est bien ce que je craignais. Alors, vous croyez qu'on est repartis pour une année supplémentaire ? Je veux dire... Encore la même, avec les mêmes, aux mêmes places, et sans possibilité de trouver une galerie d'art ouverte au milieu de la nuit ?
Il me faisait de la peine. J'ai dit :
- Vous devriez fonder une religion, vous savez. Beaucoup d'investissement au début, mais l'avenir est à vous. Vous avez la carrure. Vous avez du bagout. Vous avez la gueule et le trou. J'ai un train à prendre, mais, n'était cette circonstance, j'aurais été le premier de vos disciples.
Il a souri. C'était maintenant un gentil petit gouffre tout mignon, sa blessure-gueule.
- Je suis très touché par ce que vous dites. Je vous souhaite un bon voyage. Et merci pour la cigarette.
13:05 Publié dans Bouts de peau | Tags : espérance, messie, cigarette, voeux présidentiels, braderie | Lien permanent | Commentaires (0)