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14/12/2012

Eboueur

éboueurs.jpg

je ne citerai pas de noms

mais c'était une époque extraordinaire

le bonheur était vendu en sachets dans les stations-services

et la langue se débitait au kilooctet

on pouvait s'en procurer à n'importe quelle heure

la mâcher autant qu'on voulait

la digérer

et la renvoyer par la fibre optique prévue à cet effet

à l'époque

j'aimais bien travailler

dans un abattoir

puis dans une usine agroalimentaire

puis dans un fast-food

je ne voyais plus des hommes et des femmes

mais des tubes digestifs parlants

à ceux qui me plaisaient je mettais

double-mayonnaise et triple bacon 

ma façon à moi de dire je vous aime


j'aurais aimé être aussi éboueur

mais ça ne s'est jamais fait


13/12/2012

Nowhere

pas eu pas pris

pas agrégé pas nominé

pas syndiqué pas maculé ou matriculé

pas goncouri-sable ou -isé

pas pressé pas réédité

pas affranchi pas mondani

pas coopté pas Rotary

pas bien compris pas valori

pas nettoyé pas gentryfié

pas réputé pas entaché

(par manque de caisses à taper)

pas intégré pas fessebouqué

pas inscrit, pas, pas invité

pas renfloué ni dépouillé

statistiqué ni épouillé

pas A VOTÉ pas recompté

 

Pas désiré pas avorté

pas encore mort presque pas né

pas fils pas père pas

trop fliqué

Pas trop en règle

(question traçabilité)

très peu trauma

à peine teasé

juste ce qu'il faut de

nécrosé

naturellement usagé

et pour autant pas médaillé

 

Pas trop savoir où se poser

pas couleur pas communauté

pas fascisé pas enjuivé

pas vraiment fait pour le métier

pas rediffusé pas buzzé

et surtout pas polémiqué

sur qui dois haïr, pas fixé

pas non plus sur qui dois aimer, mais

pas certain d'en vraiment pâtir

 

pas couvert pas dédommagé

pas fou pas dingue même pas fiché

pas dépressif pas suicidé

par l'airdutemps pas trop grisé

pas sobre non plus plus qu'est d'usage

pas d'arrêt pour santé signé

pas vraiment lieu à interner

(de toute façon pas le budget)

 

ENVOI

 

Pas de Madame pas de Prince

Pas de voyez ce que je sais

Pas de voyez ce que je veux

Pas de voyez ce que je vaux

Pas de mon coeur brisé pas de ma pauvreté

Pas d'Enfer n'ait sur nous seigneurie

Pas savoir quelle case dois cocher

Pas savoir choisir pas savoir vivre

Juste

Parler parler parler parler parler parler parler parler parler parler parler parler parler

 

 

05/12/2012

Au seuil du pays des merveilles

[...]

Jipé passe devant moi pour aller à sa voiture. Sa démarche habituelle, un Gary Cooper dans chaque patte. Sans la circulation on entendrait un bruit d'éperons. Jipé a été élevé au Far-west. C'était ça qui m'impressionnait, au début. C'est aussi pour ça qu'il est notre directeur.

Et tout à coup, c'est là :

Sa boucle de ceinture.

Carrée, large, chromée, et dessus, gravées en capitales, quatre lettres.

BOSS.

Voix de Roch dans ma tête Et toi ? Tu fais quoi dans la vraie vie ? Dans la vraie vie, moi, je m'étouffe avec de la fumée de cigarette en essayant de retenir un fou-rire.

Ce n'est pas par méchanceté. C'est de la joie. D'avoir compris. Quelque chose est rigoureusement à la place qu'on lui a attribuée depuis le début de la création.. La vraie vie. Le genre de sens qu'on peut toucher, regarder, emporter avec soi, mais la licence d'utilisation se limite à ça, on ne peut ni le prêter ni le vendre ni le communiquer à ses descendants, et si on veut le passer en fraude de bouche à oreille à un ou deux privilégiés un soir d'attendrissement après un gros rush étreinte qui éreinte, on ne trouve pas les mots, alors on cherche, et on cherche des années et on claque tout son sang sa sueur et son foutre pour rien trouver et ça fait de vous un poète. 

(Extrait de Fast-Food, work in progress.)