03/05/2020
Notes de voyage III
En ce moment, sournoisement une image m'obsède.
(Attendez une seconde, vous allez pouvoir vous foutre de ma gueule.)
Je vois - je sens - distinctement
un kyste
ou un bubon ou un abcès
je ne sais pas ce qu'en disent les médecins ou le populo, mais :
une boule, rigide et emplie de pus.
Au début on ne sait d'ailleurs pas que c'est du pus :
on pense à un os supplémentaire qui aurait poussé dans une région mysérieuse
et rendue difficile d'accès à cause de l'os du coccyx.
On pense aussi tumeur, on pense aussi cancer,
on se demande encore s'il s'agit de deux mots pour une même chose
vraiment nos connaissances en médecine sont pitoyable.
S'en suivent trois jours souffrance totale.
Au début on s'assoit ont dérouille.
Puis c'est le vautrage qui pose problème.
Au bout d'un moment, debout couché, toutes ces positions qu'on nous enseigne d'une voix de stentor
deviennent des cocons de couleurs qui nous recouvrent instantanément.
On en ferme les yeux on en pleurerait,
on se sentirait presque isolé et protégé du monde extérieur
tellement cette douleur constante nous porte ailleurs dans la galaxie.
Puis un jour, par la seule force d'un regard (on suppose qu'il y a de l'amour)
la chose éclate et ce sont des flot de pus
(moitié rouge moitié translucide - souviens-toi, comme lorsque la sage-femme
a percé ta poche, il n'y a pas si longtemps)
on sait que la substance sera longue à s'écouler
on pourrira trois slips et puis et puis
et puis les douches deviendront très complexes pendant un moment.
Mais le principal : la douleur est fini. C'est comme une vertigineuse, exquise et bancale onde de rien qui nous berce tout le corps
et deux-trois heures d'euphorie.
En réalité le corps est revenu : et le monde extérieur, et notre place exiguë dans la galaxie.
On est rendus à la même merde que tout le monde.
Mais bien sûr, par un fâcheuse déformation de poète,
nous essayons à tout prix d'y voir quel que chose
de l'ordre de la métaphore.
(La société ? L'être ? La question de l'ego ?)
En fait il ne s'agit de rien d'autre que ça :
la douleur, et la fin de la douleur.
11:39 Publié dans fins de séries | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Ah ah... ça résonne par ici..; Je suis sur ça en ce moment :)))
"Un jour, un crabe élit domicile dans ta poitrine
tu entends, à chaque fois que tu ris
des bruissements chitineux
un jour, tu vois ses pinces surgir
s'agiter à toute berzingue sur l’aile de tes narines
tu entends et tu claques des incisives
le docteur assène : tout est dans votre tête
personne n’est malade
personne ne met un mot
sur ta maladie
[...]
Souvent tu te demandes ce que veut le crabe
s’il ne veut pas ta mort, que veut le crabe ?
petit monstre orange avançant de biais
la maladie de vivre n’est pas franche
elle attaque toujours de profil
clic clac clic clac clic clac
la bête joue des onomatopées
la bête avale tes mots
le docteur persiste et signe
tout est dans votre tête
d’accord
alors que veut le crabe, poète ?"
Écrit par : mu | 03/05/2020
Classe !
Écrit par : Greg | 06/05/2020
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