20/11/2023
Question désir
Bon. Reprenons.
Elrod est un individu de type nord-américain qui adore les mots réaliser ses rêves, exploiter son potentiel, croyances limitantes pense que le travail acharné est la clé de la réussite, qu’il suffit de s’imprégner de pensées positives et tout suivra.
Elrod est un individu qui croit que rien n’arrive sans raison mais qu’il est de notre responsabilité de choisir les raisons les plus stimulantes de la survenue des difficultés. Il cite Gandhi, il cite Einstein – mais il cite aussi Henry Ford, le grand industriel américain : que vous pensiez être capable ou pas, vous avez raison.
Bien. Mais. Elrod est également un individu qui a une idée très précise de votre réussite. C’est le pognon. Une Ferrari une grande maison assez de liquidités pour finir trois vies dans un quartier sécurisé en Floride interdit aux enfants. Elrod jouit de cette réussite.
On est contents pour lui. Ce n’est pas forcément la réussite qu’on souhaite pour soi mais s’il est content on est contents, on va pas juger de ce qui est bon pour les gens.
Mais. Il y a un mais. Où Elrod me cherche, moi qui vous parle. Car il ne se contente pas de déployer sa méthode miracle pour me transformer en winner. Il y met une dimension morale.
Là intervient un des concepts phares de son bouquin : le CLUB DES 95 %. Selon Elrod en effet le monde est divisé en deux catégories : 5 % des gens qui se prennent en main réussissent leur vie et 95 % qui restent dans la moyenne, c’est-à-dire la médiocrité. 95 % des gens dit Elrod se déclarent insatisfaits de leur sort et à la fin de leur vie 95 % des gens dépendent de leur famille ou du gouvernement pour survivre.
D’où vient ce chiffre ? D’une étude. Laquelle ? Mystère. On est sur de la citation sans source.
Ce qui est sûr c’est qu’Elrod trouve que vous êtes médiocre. Votre vie est de la merde car vous ne gagnez pas assez d’argent. Vous ne gagnez pas assez d’argent car vous n’exploitez pas à fond votre potentiel. Vous êtes victime de vous-même, de vos propres croyances, ces croyances sont limitantes.
Donc vous êtes un ou une minable.
Si vous étiez seulement un minable ou une merde ou une ratée ce ne serait pas si grave, mais vous êtes également un fils de pute. Une connasse. (Ce ne sont pas exactement les mots employés, c’est moi qui traduis.) Vous êtes un fils de pute une connasse car votre médiocrité se propage tel un virus mutant sur votre entourage.
Votre famille vos amis vos collègues. Oui, vos enfants aussi. Et même le chien.
J’ai un amour immodéré pour la médiocrité. Le mot grandeur m’arrache la gueule presque autant que le mot génie et je trouve qu’être moyen, médiocre, le type de base qui va pas en imposer aux autres c’est le meilleur exemple qu’on puisse donner aux jeunes.
Je veux dire. Qu’en tant que guide spirituel ça me fait chier de penser qu’il doit y avoir une élite qui réussit et une masse qui crève derrière. S’il doit y avoir réussite je suis communiste de la réussite. S’il doit y avoir un Éveil je suis communiste de l’Éveil.
Il ne s’agit pas d’une simple controverse philosophique. Il s’agit de notre vie. Il s’agit de notre corps de notre équilibre psychique. On a le droit de se révolter.
Mais c’est mon sale petit esprit ironique-limitant. Il faut que j’y croie, que je m’y remette. Heureusement Elrod a une méthode pour reprogrammer mon subconscient. Question ambition. Question désir.
5h : réveil. Pantoufles. Cuisine. Bouton de la cafetière. Énorme tentation du gouffre, un gouffre bienfaisant de chaleur de draps, d’odeurs, de respiration de l’être aimé – mais le chat a entendu le réveil se met à miauler devant la deuxième porte à gauche. Ce connard de chat sera donc l’ange-gardien de ma motivation à être là à l’aube. À faire : café, table de camping, silence. Je dis ça comme ça mais c’est plus compliqué. À cette heure pour arriver là vivant et seul il y a un rituel très complexe. Laisser les pantoufles à la porte de la cuisine. Appuyer sur l’interrupteur sans le faire claquer. Attraper une tasse dans le placard et la poser sur le plan de travail sans bruit. Remplir un grand verre d’eau idem. Les exfiltrer depuis le salon, allumer toujours sans faire claquer, poser tasse et verre sur la troisième étagère de la deuxième billy, vérifier tabac mouchoirs feuilles briquet, retenir les glaires dans les bronches, accepter le nez encombré jusqu’à ce que je sois sur le balcon, à l’abri – discrétion, tapinois, éviter tout esclandre devant la deuxième porte à gauche. Parce que si le moindre bruit parvient à l’être qui sommeille derrière la deuxième porte à gauche, c’est la fin.
5h07 5h12 5h13 5h 28…
5h42 : chute de tension. Pourtant sur YouTube des Amerloques en surpoids dans leur garage. Des petites meufs hautement instagrammables. En sont à 92 356 jours de réveil à quatre heures du mat leur maquillage reste impeccable. Ou c’est moi qui me file des excuses minables. Ou l’algorithme veut me faire passer pour un faible.
5h43 : me concentrer sur la jubilation d’être le seul réveillé. Car il y a jubilation à être seul réveillé. Trois semaines que je fais le miracle, ça avance, j’ai fait des trucs, vraiment. Aligné des pages. Je ne sais pas ou ça va mais je m’y tiens. J’en veux. Allez, j’y –
(me concentrer sur les oiseaux)
Grincement – la deuxième porte à gauche. Pas huilée parce que les petits ça se réveille la nuit pile quand on baise. Un coup au coeur – je me lève me cogne à la la table de camping balance un juron dont je pourrais être fier si c’était une affirmation. Une belle nappe de café se répand sous l’ordinateur : fin de mon miracle, début de mes autres journées.
05:44 Publié dans Spi, développement perso | Lien permanent | Commentaires (0)
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