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01/10/2015

Quand on a de la pratique

ma cuisine, c'est un jardin où on cueille les gueules de bois.

 

il n'est pas nécessaire de boire de l'alcool

quand on a suffisamment de pratique

quand on sait user du matin

être trop tôt

être trop humide

il suffit d'être là.

 

cela ne doit pas nous décourager d'occuper la plus haute fonction de l'État.

 

30/08/2014

Les chansons tristes

il fait chaud

ils nous touillent du bout de leur cuillères

bientôt on finira de se déliter dans l'huile

il n'y a que ce bonheur éphémère des papilles

qui nous sauvera à leurs yeux

qui nous justifiera

qui nous éventera dans l'éternité d'un renvoi

 

et j'aime toujours ton chuintement quand tu cuis

j'aime ta façon naïve

de flirter avec la complaisance

d'y mettre toute ton âme

comme si tes rimes n'étaient pas complètement anachroniques

comme si tes chansons

n'étaient pas destinées à s'effacer des mémoires

dès la sueur épongée

 

15/01/2013

Symphonie en cuisine

On ne va pas se mentir. Je ne suis sûrement pas le moins con d'entre vous. Ni le plus subtil. Ni le plus post-moderne ou néo-indus. Mais il y a une chose pour laquelle je suis balèze, vraiment insurpassable, c'est l'admiration.

Je suis capable d'admirer dans n'importe quelle position, dès le matin, même à jeun, même avec très peu de matériel.

Je suis comme ça. J'admire. 

Dans la cuisine du restaurant d'une chaîne de fast-food très connue où j'ai travaillé pendant quatre ans, j'avais un pote que j'admirais en particulier, P. Et je ne l'admirais ni pour sa culture musicale ni pour l'encyclopédie du cinéma asiatique qu'il portait sous sa casquette. Mais pour la qualité de son silence. C'est important, le silence. Moi et ma grande gueule, en tout cas, on l'a toujours apprécié chez les autres.

P. connaissait la cuisine par coeur et il savait que c'était beaucoup moins un lieu de travail qu'un lieu de vie. Aussi, il avait développé toute une gamme de techniques de survie qui ont fait école dans le fast-food, tennis-burger, minigolf-poubelle, ateliers de décoration avec le ruban de l'étiqueteuse, etc. Mais son grand oeuvre a été une symphonie. Cette oeuvre a existé : il y a eu des témoins, mais, à part P. et moi, personne qui s'en soit rendu compte. Je dirais même que cette oeuvre n'a de valeur que si peu de gens s'en aperçoivent.

Malgré tout, l'importance m'en paraît trop grande pour que je n'en laisse pas une trace. Voici donc une indication pour les galeriste, bien que l'idée même de reproduire une telle oeuvre dans un lieu dédié à l'art porte une contradiction en soi.

Admirez avec moi, mes frères : P. est l'inventeur de l'art discret.

Titre de l'oeuvre : Symphonie automatique en cuisine majeure.

Matériel : Full kitchen, du type Mc Donald's®, c'est-à-dire : trois toasters, six clams (grills, deux par toaster) avec leurs sonneries, c'est-à-dire : pour les toasters, enclencher, 35 secondes puis sonnerie en MI, 60 à la noire. Pour les clams : clam 1, 40 secondes puis sonnerie LA-SI, soupir, LA-SI, soupir en ¾, 60 à la noire, (5 secondes) puis même sonnerie que le toaster (5secondes) ; pour les clams 2 et 3, 120 secondes puis même thème.

Un poste-frites : trois cuves, sonnerie en MI (60 à la noire) au bout de 3 minutes, avec, au bout de 30 secondes une sonnerie intermédiaire, en LA (15 à la noire).

Un poste poulet-poisson : huit cuves, dont quatre sonnent au bout de 4'30'', et quatre au bout de 3'15''.

Des timers pour les produits des tables à garniture : une douzaine. Sonnent au bout de 3 heures.

Une pointeuse qui sonne toutes les heures pour marquer la demie, avec un bruit électronique évoquant la harpe ou des gang-bangs de fées et de lutins au pays des merveilles.

Protocole : deux équipiers expérimentés sont nécessaires pour la manœuvre. La mise en route consiste à actionner les appareils à tour de rôle pour que toutes les sonneries se déclenchent en même temps.

Nota bene : La performance doit être entreprise pendant les heures creuses pour d'évidentes raisons de disponibilité des appareils de cuisson, et aussi parce que la Symphonie doit résonner dans le silence.

Impossibilité : l'oeuvre n'a de sens que dans la mesure où elle est exécutée dans une vraie cuisine de vrai fast-food avec de vrais clients et un personnel encadrant présent qui ne doit s'apercevoir de rien, car ce genre de happening, comme tout ce qui ne rapporte pas d'argent, est strictement interdit pendant les heures d'ouverture.

Exécutions : une fois (été 2010), dirigé par Pierre Gaidot, avec l'aide de Grégoire Damon. Public : Brice, manager. Anissa, hôtesse.

Le hasard, qui connaît son boulot depuis le temps, voulut que l'exécution survienne dans un moment de silence. Le genre de moments où le temps est complètement flottant, et dont les conditions ne se réunissent que deux ou trois fois dans une vie d'équipier de restauration rapide.

Seuls les organisateurs surent se rendre compte de l'importance historique de ce qui était en train de se dérouler.