12/08/2013
Salle des profs
mon style
ils disaient
ça part dans tous les sens
il pourrait en devenir attachant
mais on ne sait plus quoi en faire
est-ce que seulement
tu écoutes ce qu'on te dit ?
reste assis
j'ai dit reste assis
mon style
ils disaient
c'est vraiment n'importe quoi
est-ce que vous avez vu seulement comment il s'habille
une grande croûte de sébum
un rideau de cheveux gras qui tombe dessus
vous appelez ça un visage vous
on ne voit même pas ses yeux
c'est peut-être le social
l'assistante n'a pu joindre personne là-haut
je comprends qu'il faut être compréhensif
mais voyez-vous il va se poser des problèmes de responsabilités civiles
je ne peux quand même pas coucher dans l'établissement
mon style
ils disaient
on se demande ce qui passe là-dedans
toujours les écouteurs sur les oreilles
un marqueur à la main
je ne veux pas porter d'accusation hâtive mais il me semble qu'il y a des graffitis tout frais sur ce pupitre
encore des coeurs encore des bites
pour ce qui est des inscriptions on n'y comprend rien
moi je vous le dis
un jour il va y avoir un fait divers
allons qu'est-ce qu'on peut faire
à part agiter l'index
ce qu'il y a c'est qu'il n'est pas question de bon ou de mauvais élève
ceux qui sont mis au ban de leur banc par leurs petits camarades
eh bien on est humains voyez-vous
c'est aussi ceux qu'on aimerait flanquer à la benne via le bureau du proviseur
juste pour ne plus voir leur gueule
en attendant
on a usé tous nos psychologues
je vous suggère d'essayer un prêtre
on ne sait jamais
09:14 Publié dans Bouts de peau | Tags : salle des profs, mon style, psychologue, prêtre, assistante social | Lien permanent | Commentaires (1)
07/08/2013
JJ Cale est mort (et ma mère a arrêté de fumer)
je ne suis pas
un fana des nécros
mais JJ Cale avait cette façon
de poser ses solos
exactement
le geste
de ma mère
quand j'étais petit
posant une énième cigarette entamée
sur un coin de meuble
et l'oubliant
comme ça
négligemment
10:01 Publié dans Bouts de peau, Musique | Tags : jj cale, ma mère, solos de guitares, mégots, cendriers, nécro | Lien permanent | Commentaires (0)
14/07/2013
Fête nationale chez les anars
Cher Léon Ferrer,
Permets-moi de me poser avec toi cinq minutes et de fumer une bonne Celtique. Ça fait vingt ans et une aire d'autoroute que j'attends ce moment.
Les aires d'autoroutes, chez les gamins de huit ans, ça ne pardonne pas. Trop de stimuli marketing. Trop de couleurs, trop de marques, trop à bouffer et à vomir sur les sièges arrières. C'est un piège pour les gamins de huit ans, parce qu'il faut aussi compter avec l'euphorie des départs en vacances et la complaisance des sapiens sapiens qui tiennent le volant et qui savent qu'on ne triche pas avec les cinq cents derniers kilomètres.
Le 14 juillet 1993, sur une autoroute, j'ai donc appris à la radio que tu étais mort. Par la même occasion, j'ai aussi appris que tu avais été vivant pendant les presque 77 années précédentes. Et ça, ça avait l'air de compter. Je l'ai vu au regard que se sont échangés mes parents, qui pourtant n'avaient pas le moindre disque de toi. Et aussi au fait qu'on a dû s'arrêter à la première aire d'autoroute et se ruer sur le rayon musiques pour acheter deux cassettes : La Chanson du mal aimé et Bobino 61. Sur le moment, je n'ai pas bien saisi la portée de l'événement — je me suis borné, comme à mon habitude de l'époque, à apprendre Thank you Satan et Les Temps sont difficiles par coeur, sans relever les allusions à la guerre d'Algérie. Ce n'est que plus tard, à l'adolescence (fatal) que ça m'est retombé sur le coin du coeur de l'âme aux indicibilités acnéïques.
Oh, je ne t'en veux pas pas pour les semaines d'insomnie que m'ont coûté Amour Anarchie et Il n'y a plus rien. Je ne te tiendrai pas rigueur non plus pour les nuits passées à gratter de l'alexandrin à coups de grands mots abstraits. Je le répère, c'est d'adolescence qu'on parle ici, comme d'ailleurs partout et tout le temps depuis que l'espèce homo a eu l'idée tordue de s'implanter un logos derrière le palais, histoire de se compliquer la communication...
Mais il y a tout de même un problème. Avec ton ombre. Et avec tes soixante-dix-sept ans, pendant qu'on y est. Parce que tu sais, Léon, ça a fini par se voir : tu as vécu trop longtemps. Trop longtemps et trop photogénique. Au point que des artistes-popes ont fini d'arracher ton masque pour le coller sur fond de jaune d'oeuf — et ta production s'en est ressentie.
Car on ne va pas se mentir, puisqu'on est entre nous : tout ce que tu as fait après 73, les albums à rallonge avec orchestre symphonique à la polenta dans les sections de cordes, a été un peu... bâclé. C'est difficile à admettre, mais dès que tu as été seul à la barre (sans Defaye pour les arrangements, sans Marsan pour la direction artistique, sans Castanier pour les concerts), la putain de liberté d'écriture que tu t'étais permise s'est transformée en boursouflure où un trait de génie venait parfois faire du pique-assiette en douce au milieu d'un océan de gras polyinsaturé.
C'est pour ça que je me permets ce Léon, qui ne correspond à aucun état civil ni ici ni chez le feu prince Albert 1er de Monaco, et qui t'avait été méchamment collé par ce fielleux de Jacob Van der Brel, le boy scout des bordels amstelodamois. "Chez Léon tout est bidon", il ajoutait. C'est moche, mais on ne peut pas tout à fait lui donner tort : à partir d'un certain âge, je crois que tu as succombé à la pose.
Le roi de la dèche passée, c'était toi; les poètes maudits dont parlait Verlaine, c'était toi ; Verlaine lui-même, c'était toi — moins l'ivrognerie. Il y a aussi cette incapacité à reconnaître l'outrance et un certain flirt avec les limites du ridicule à l'intérieur même de tes frontières corporelles. Ces petites choses qui font que même moi et mes huit ans d'autoroute, avec nos yeux battus de groupies toujours prêts à s'embuer, avons parfois du mal à défendre ton oeuvre et ton personnage. Y compris à nos propres yeux.
J'en ai trop vu, des inaugurations de MJC et autres lancements de saisons artistico-associatives, grignotées par tes épigones. Tu n'imaginerais pas combien de septuagénaires déguisés en toi hantent les théâtres indépendants, cherchant le moindre prétexte pour beugler " Y en a pas un sur cent et pourtant ils exiiiiiiistent..." en clignant des yeux de façon compulsive.
Les épigones, c'est une société secrète. Ils sont partout, en Elvis, en Jagger, en Lady Gaga et en Léo Ferré, et ils possèdent un pouvoir réel. Et ils sont dangereux. Je ne plaisante pas, je les ai vus à l'oeuvre. Je connais au moins un bon poète qui s'est fait évincer du lieu qu'il avait contribué à créer par des retraités à cheveux longs, uniforme rouge et noir et crinière blanche permanentée avec calvitie ostentatoire façon tempête dans un crâne...
Mais comme je l'ai déjà dit ailleurs, j'ai du génie pour l'admiration. Donc, en grattant bien dans ton attitude de prophète revenu de tout, j'arrive à exhumer de la naïveté. Tu sais, la naïveté, ce merveilleux truc des autodidactes. Ça fait un peu marrer dans les couloirs du conservatoire, mais ça fait faire des choses non prévues par le réglement et les petits fours.
Et la naïveté, en ce qui te concerne, elle s'appelle Ferrer.
Parce qu'il nous parle d'un temps que les moins de quatre-vingts ans ne peuvent pas embellir au premier amour et à la mauvaise foi, où tu portais une petite moustache, et où tu traînais les cabarets de troisième catégorie en chantant sous ce nom des bluettes romantico-surréalistes d'inspiration flamenca.
Ce nom, c'était "tout ce que tu as eu d'espagnol à ce moment-là".
On ne cesse jamais de se chercher des héros, c'est ce que je me tue à claironner dès que j'ai deux Leffe dans le cornet, et ceux que tu avais à disposition, à l'époque, avaient fait 37. Mais tu avais trop d'orgueil pour devenir toi-même un épigone, c'est ça qui t'a sauvé.
Mais maintenant que tu vas te faire accrocher des légions d'honneur plein la bouche, que pourrais-je ajouter ? Je ne sais pas. À vrai dire, je ne saurais même pas te dire si je t'aime encore. Peut-être qu'il n'y a plus qu'une forme de nostalgie entre nous. Mais tu m'as quand même apporté beaucoup : l'incarnation, le débit, la mauvaise foi et la parole frontale, qui m'ont permis de survivre à cinq ans de Bonnefoycottet après le bac. Rien qu'au nom de ça, j'ai envie de te proposer un truc.
Prenons ta bagnole. Filons droit vers le sud, vers la Toscane où vivent les bas de laine de tes ayants-droits. Un petit crochet par Monaco pour saluer les dernières éléphantes à être capables d'une maladie vraiment XIXè siècle, tout ça avec du Bartok et du Noir Dèz' à fond. Et dès qu'une aire d'autoroute nous plaira, mais alors nous plaira vraiment, sortons les épigones du coffre.
Et puis démarre !
08:00 Publié dans Bouts de peau, Gueuloir, Musique | Tags : léo ferré, légion d'honneur, il n'y a plus rien, aires d'autoroute, amour anarchie, 14 juillet 1993 | Lien permanent | Commentaires (1)