01/10/2017
Un type (pour le mois d'octobre)
à Alexandre Maximovitch Bouchouev
et à Katia Alexandrovna
Maintenant c'est malin il dort poing droit fermé
main gauche posée sur la cuisse
comme un vieux pépé
et nous ne nous sommes pas arrêtés une minute
mais c'est ça qui nous restera —
et puis
qu'on ne se méfierait pas
nous savons ce qu'il a fait
et nous savons ce qu'il aurait pu faire
s'il avait eu le temps
moi je voudrais seulement me rappeler qu'il aimait le vélo
que rien ne lui faisait plus plaisir qu'une bibliothèque bien garnie
ou qu'une marche en montagne
dans le silence complet —
ce silence
qu'on nous a gentiment collé à la gueule
alors qu'il y a quatre-vingt-un ans qu'il n'y a plus rien à en dire
et qu'en tant que touristes chinois
nous sommes une classe moyenne de plus en plus nombreuse
on peut sourire si on veut vraiment foutre les gardiens en rogne
n'empêche qu'il nous reste beaucoup à faire
pour qu'un jour une classe moyenne de plus en plus nombreuse
vienne nous visiter dans un tombeau maintenu à 16,6° toute l'année
même pendant la guerre patriotique
qu'il n'y avait pas une seule ampoule de chaude dans tout Moscou
ils maintenaient la température
avec des groupes électrogènes
ils crevaient la dalle
ils se faisaient chier sur la gueule des quantités d'obus à remplir toutes leurs stations de métro
mais ils le maintenaient à 16°6
c'était un type qui recherchait une forme d'amour
vraiment particulière
sans doute qu'il a eu quelque chose
mais pas vraiment ce qu'il espérait
alors on se dit quoi
qu'on est bien plats après deux générations
que les héros ont sur les victimes
l'avantage de l'avoir quand même un peu cherché quelque part
si on regarde bien
si on a la bonne distance
mais ça finira en vertige
les statues des poètes tournoient
les hommes politiques aussi
les dates se mélangent
et les épurations
déjà les Azéris qui refont la place s'en vont maintenant sans y prêter attention
alors quoi
rien
on ira bouffer une glace
essayant d'être l'un à l'autre
autre chose
qu'une campagne électorale.
07:00 Publié dans fins de séries | Tags : lénine, mausolée, place rouge, octobre 17 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/09/2017
Et maintenant
Lyon, le 27 juillet 2017
Grégoire Damon
2 rue ^¨$*££ 69007 Lyon
06 77 57 50 79
à
Madame & !#&°°) ! ç ;++ù%
Chargée de recrutement/suivi des contrats des non titulaires
Bibliothèque Municipale de Lyon
30 boulevard Vivier Merle 69003 Lyon
OBJET : Démission
Madame,
Je, soussigné Grégoire Damon, ai l’honneur de vous présenter ma démission du poste d’agent technique au service de la navette, que j’occupe depuis le 06/03/2017 dernier.
Ce poste m’a beaucoup apporté. Cependant, comme je vous l’ai dit au cours de notre entretien, je viens de recevoir une bourse d’écriture, qui va me permettre de me consacrer entièrement à mon projet littéraire en cours durant quelques mois.
Il s’agit d’un projet qui me tient particulièrement à cœur – aussi, et pour les raisons familiales que nous avons évoquées, je souhaiterais réduire avec votre autorisation mon préavis de démission, afin de quitter mon poste le 31 août 2017 au soir.
Dans les mois qui viennent, je vais donc prendre 25 kilos, fumer trente à trente-cinq cigarettes par jour, alterner des phases d'exaltation incontrôlée et d'abattement absolu. Je vais écrire trop, trop vite, couper, écrire encore, couper à nouveau. Je vais attraper des douleurs lombaires dues à une mauvaise position et des migraines oculaires que je soignerai en enchaînant ibuprofène et paracétamol. À quoi s'ajouteront troubles du sommeil et de l'attention et une certaine tendance à négliger les tâches administratives.
Et je vais bosser.
Et je vais bosser.
Et je vais bosser.
En vous remerciant d’avance de l’attention que vous porterez à ma demande, je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations distinguées,
Grégoire Damon
14:38 Publié dans fins de séries, Livre | Tags : démission, bourse, au boulot maintenant | Lien permanent | Commentaires (0)
18/06/2017
Gratos XIX
j'aime beaucoup mes glaires
elles me permettent à tout moment
d'exprimer ce que j'ai au fond de moi
j'aime beaucoup mes cigarettes
elles donnent un petit goût à mes glaires
suave et caramélisé
les premiers jours je m'amuse beaucoup
je tripote de petits objets en plastique
je retourne de jolies boîtes en carton blanc
je fais passer des choses variées à travers mon conduit oral
j'inspire, je bloque ma respiration, je me rince la bouche
je surveille les dates.
le poème s'est écrit tout seul entre mes mains -
SOLUPRED 20mg Cpr eff F1/20)
Prendre 3 comprimés effervescents le matin, pendant 3 jours
Puis 2 comprimés effervescents le matin, pendant 3 jours
Puis STOP
PARACÉTAMOL * 1G ; VOIE ORALE ; CP (3 boîtes)
Prendre 1 comprimé le matin, le midi et le soir, pendant 6 jours
VENTOLINE 100μg Susp inh F1/200d ; VOIE INHALÉE SUSP P INHAL EN FL PRESS (1 boîte)
Prendre 2 doses le matin le midi et le soir, pendant 15 jours et 2 bouffées en cas de crise de toux (au maximum 16 bouffées par jour)
SERETIDE 250 μg SUSP P INHAL EN FL PRESS (1 boîte)
Prendre 1 dose le matin et le soir, pendant 1 mois bien se rincer la bouche après
ORELOX
...
HÉLICIDINE
...
FLUTICASONE FUROATE
...
j'aime beaucoup la Ventoline - l'ai-je dit ? -
elle permet une optimisation de la nicotine malgré la bronchite
donc : glaires
donc : caramel
suavité
l'Amour passe à côté de moi
et mon obésité devient toute relative
c'est à dire
mon ventre a dégonflé
je n'étais pas là quand c'est arrivé mais
c'est indéniable :
c'est comme si quelque chose
hors binôme - plateforme - tri - camion - Chérie FM - Arlette et son nouveau brushing - Julien Doré
quelque chose toxique et malveillant
m'avait tout simplement
quitté
l'Amour et moi
l'air ambiant est soudain redevenu désiré désirant
cette chose qu'on respire - et on vit
et malgré la jambe gonflée de sang que je traîne
comme un frigo à monter au cinquième étage
suivent
roses et solennels huit jours d'inactivité.
ce n'est que peu à peu
que commence l'érosion -
c'est d'abord ma cafetière qui lâche.
ma bonne, ma vieille cafetière programmable
qui me préparait si bien les chantier du matin.
elle gît, inerte, désincarnée
voyant allumé mais traîtreusement sur le lave-vaisselle :
elle donne l'heure
mais qu'ai-je à faire de l'heure.
les premiers temps, bien.
je fais comme si son handicap n'avait aucune importance pour moi
je lui verse l'eau bouillante manuellement dans le filtre
mais bientôt je n'arrive plus à faire comme si tout était normal
et bien que je me haïsse pour ça
je passe au café soluble.
très bien, dis-je. c'est comme au camping.
on serait comme en vacances, de roses solennelles vacances impromptues.
mais ensuite
c'est mon téléphone qui lâche.
magnifique, je dis.
qu'ai-je besoin d'amis et de coups de fil ?
l'artiste a besoin de son art.
l'artiste vit avec son outil, le cajole, dort avec,
l'aime et s'il peut en être aimé en retour
que les objets connectés se vérolent que l'air devienne irrespirable
il n'aura pour eux qu'un grand ricanement.
bien sûr tout cela se passe entre deux phases de somnolence
dans les remous d'un canapé qui commence grave à perdre sa mousse
j'écris une phrase
je m'assoupis
des rats me grignotent les pieds
mais je fais face
j'y retourne
je m'acharne.
ce n'est quand le disque dur de mon ordinateur décide d'en finir
que je commence à suspecter la vérité.
pas d'affolement je me dis.
nous sommes au XXIè siècle la hotline veille.
nous ne sommes plus au temps où les machines
sont de simples objets
sans âme et sans sensibilité
aujourd'hui c'est de vie qu'il s'agit
les grandes entreprises de la bulle informatique ont saisi
l'essence religieuse de la chose
des pleines lamasseries de techniciens en position du lotus
n'attendent que mon coup de fil
pour me porter une assistance
spirituelle.
(les trois jours suivants se passent au téléphone. cris d'enfants dans le fond, regard anxieux de l'Amour, qui les fait taire et les emmène au parc.)
un jour.
je diagnostique.
deux jours.
je sauve garde.
trois jours.
je reformate.
rien à faire.
la chose est inerte.
la chose est morte.
la chose est minérale.
il fait maintenant trente degrés à l'ombre.
c'est moi
qui pourris.
le quatrième jour je tente furieusement d'insérer ma jambe droite dans l'orifice idoine de mon short
quand l'Amour me prend par la main
(il semble que j'ai de la fièvre - mais à ce moment-là
je me vois comme de l'extérieur la feuille tremblante de haut
comme me verrait un aigle avec la dalle
si ce genre de bestioles existait dans le putain de septième arrondissement)
l'Amour dit tu sais je ne voulais pas le dire comme ça
mais tu commences à ressembler à un clodo
regarde ton short
il y a des trous là et là
regarde tes chaussures
ça fait deux mois que tu marches exclusivement avec ces chaussures de sécurité
PAS MA FAUTE J'EN AI PAS D'AUTRE je dis
exclusivement avec ces chaussures de sécurité défoncées et ternies
C'EST PAS DE LA DÉFONCE C'EST DE LA VIE JE CONNAIS L'ORIGINE DE CHACUNE DE CES ÉRAFLURES TIENS PAR EXEMPLE ÇA C'EST LE TRANSPALETTE QUI M'EST PASSÉ DESSUS LE 23
ces chaussures de sécurité défoncées et ternies qui t'alourdissent et te déforment la démarche elle dit
J'AI DES CHAUSSURES DE SÉCURITÉ CAR J'AI EMBRASSÉ LA SAINTE QUALITÉ DE PROLO
ou de clodo, elle dit
qu'est-ce que Marx disait sur le sous-prolétariat ?
je t'ai bien regardé tes pieds à dix heures dix
Charlot
c'est Charlot avec moi dans les rues de la vie mais sans la canne
sans le chapeau melon
c'est Charlot, elle dit, T-shirt informe short défoncé
le dos voûté la gueule tordue les jambes dans un angle non prévu par les fabricants
il faut que tu te refasses elle dit
c'est de ton corps qu'il s'agit
tout pourrit.
je serais prêt à faire n'importe quoi pour l'Amour
je serais prêt à aller faire des stocks
Decathlon, H&M, C&A
d'une carte bleue tremblante
je traîne ma jambe malade et j'y déploie
d'immaculés pantalons
je fais tout ce qui est en mon pouvoir
mais je mets le doigt dans un engrenage
et je ne sais où il me conduira
car si je commence par les fringues
si je réanime l'ordinateur
au moyen de quelque cérémonie mystérieuse
pourquoi pas le bilan sanguin
pourquoi pas le dentiste, pour les plombages tombés en 2012
et le podologue - pour le cor, la corne plantée dans mon pied droit
qui me donne cette démarche si caractéristique
pourquoi pas la literie
OR j'ai appris il y a peu
que mes arrêts-maladie intégrés dans une société libre, sociale, démocratique, aisée
me donnent droit à un délai de carence de
(TROIS JOURS) = 150 balles
IL M'APPARAÎT soudain
qu'après une décennie de recherches
j'ai enfin trouvé LE boulot libre, social, démocratique, aisé,
alliant parfaitement le manque de temps
au manque d'argent.
08:51 Publié dans fins de séries, Gratos | Tags : magie noire, tout pourrit, charlot, ordonnance bronchite | Lien permanent | Commentaires (0)