10/06/2017
Nouvelles du pays
Ma cafetière s'est suicidée.
Mes chaussures se sont suicidées.
Ma casquette a fait une fugue,
mon portable est soudainement devenu bègue et épileptique,
mon ordinateur a fait un AVC en découvrant les tarifs de la SNCF,
entre un roman à boucler pour avant-hier,
et un autre à finir pour après-demain.
Il y a des jours comme ça,
où je suis content de ne pas porter de pacemaker.
La bise à tous.
gr
14:51 Publié dans fins de séries | Tags : tout kaputt, il y a des jours comme ça | Lien permanent | Commentaires (0)
31/05/2017
Gratos XVIII
Un jour, je fais un rêve.
Je marche dans la rue.
Je vais au boulot.
Grands cheveux bruns sur gilet orange à bandes réfléchissantes, pantalon à larges poches comme le mien, sécus, râteau municipal, rue du Lac, une fille se retourne.
Espèce de bâtard dit-elle espèce de lâche c'est pas en restant à faire suer ta viande dans l'urne de ton lit que tu feras barrage à l'extrême droite.
Elle me crache à la gueule.
Un gros mollard bien gras, élastique, roboratif.
Je continue mon chemin.
Un type à tête d'enclume mallette en cuir à la main se retourne à son tour et comme il dit.
Salaud, ordure, planqué, ça te fait rire ? Ça te fait rire de voter pour toujours les mêmes distributeurs automatiques, creusant ainsi creusant encore le lit du fascisme ???
Il me crache à la gueule.
Un mollard mélancolique, en mineur, qui ne manque pas de suavité.
Puis c'est une cycliste en k-way Lafuma, lunettes octogonales à montures violette, timide, à frange et sans gluten.
Et la prostitution ? Qu'est-ce que tu dis de la prostitution ? Et des abattoirs ? Et des passages à tabac ? Et des vitriolages de femmes ?
Elle crache un mollard ambivalent, mi-humide mi-venteux, typique des printemps pourris.
Je me réveille en sursaut.
Je suis en retard je saute dans ma cafetière je fume mes chaussures de sécu je mange mon sac
et j'arrive pour
EN RAISON D'UNE PANNE DE COURANT LA BIBLIOTHÈQUE FERMERA CES PORTES CE JOUR
MERCI DE VOTRE COMPRÉHENSION
C'est Jean-Louis au poste de garde qui m'explique.
Un machin a fait pssshhhit un truc a fait cric et puis tout a claqué.
Les lampes des salles ouvertes au public et les ampoules des distributeurs de boissons.
Là les types de la maintenance sont dessus, Pierrot et Mario, Serge et Jean-Claude.
Enfin Serge et Jean-Claude, regardent.
Mais au service technique, ça fonctionne.
Je peux donc.
J'y vais donc.
Je trie.
Au bout d'un moment, l'oiseau mort d'un détail cogne contre le double-vitrage de ma conscience.
Mon binôme.
Mon binôme n'est pas là.
Enfin mon binôme fut là mais en coup de vent disparut dans le bureau d'Orlando notre chef et ça parle.
Mais son odeur emplit la salle de tri, hésitante,
odeur de bégaiement, odeur de petit rire de nez.
C'est encore Jean-Louis au poste de garde qui m'explique.
Tout à l'heure une femme de ménage noire comme il en existe dans
toutes les institutions culturelles et sociales promouvant le partage et l'intégration a voulu prendre l'ascenseur.
C'est là que ça a fait pssshhhit.
Mon binôme était monté avec elle.
La verte lueur du bouton d'appel d'urgence devait avoir quelque chose de sexuel.
Devait.
Hormonalement.
Pulsionnellement.
Telluriquement.
La pauvre fille a vu soudain fondre sur sa bouche deux lèvres bleues tandis que deux bras noueux enserraient sa taille et qu'une spongieuse poitrine à T-shirt Roland Garros 1995 se pressait sur ses seins,
avec sueur limite travailleur/vieux agrémentée d'haleine quenelle de la veille/filet de maquereau/café du matin.
La poitrine, c'est Jean-Louis qui la suppose.
Il ne voit pas comment il n'y aurait pas pu avoir poitrine pressée aux seins.
Et sans doute dans le faisceau du bouton d'appel il y eut rangée de dents calcaires, onctueusement jaunes.
Bref la fille s'est débattu a crié a pleuré et tout s'est arrêté là.
Sur mon binôme se confondant en excuses.
Voilà ce qui s'est passé.
Voilà ce qui a heurté la réalité réelle de la femme de ménage noire en faction ce jour-là.
Mais pas mon binôme.
Mon binôme, lui, depuis les années 70 a simplement fait l'aumône à une subordonnée de couleur d'un élan de sa virilité.
C'est ça qu'il se tue à expliquer à Roland notre chef.
Ainsi Jean-Pierre Marielle dans son temps flatta des croupes de secrétaire à l'heure du whisky.
Ainsi Jean Yanne.
Et ainsi Jean Rochefort.
Et ils disaient C'est bien mon petit.
Et on leur répondait d'un petit rire cristallin.
On leur disait Oh vous alors.
Et il n'y avait pas d'agression alors.
Il y avait de la simplicité.
Il y avait les années 70.
Du désir désirant n'ayant pas honte de désirer.
06:30 Publié dans fins de séries, Gratos | Tags : gratos, panne, ascenseur, jean-pierre marielle | Lien permanent | Commentaires (0)
19/05/2017
Gratos XVII
Adrien Dubosc.
Alexandre Naussac.
Elio Canestri.
Tanguy Gicquel.
Eddy Aubert.
Mathieu Schiller.
Alexandre Rassiga.
Stéphane Berhamel.
La jeune Sarah.
Fabien, 40 ans.
Eric Dargent.
Olivier Shorebreak.
Victimes de la beauté.
Le mercredi 14 décembre 2016, dans un centre commercial de Givors (69), le binôme de mon binôme fait un accident vasculaire cérébral.
Ce sont des choses qui arrivent.
Que sais-je de lui ?
Qu'il se tapait des boîtes de cassoulet de 800g deux fois par jour.
Qu'il jouait du piano et qu'il avait une tendance à la mélancolie congénitale, entretenue fidèlement par une tendance des femmes de sa vie à se casser subitement ne laissant derrière elles qu'un demi-bâton de rouge à lèvres et une assignation du juge des familles.
Que la dernière, avant de partir, a eu l'élégance d'appeler le Samu dès l'apparition du rictus caractéristique, et de lui éviter l'hémiplégie.
Elle a été aide-soignante.
Pour le reste, il n'est plus qu'un nom dans une liste, une épine pour secrétaire administrative, un chemin de croix de la DGRH pour rédiger mes contrats, une cause majeure de la déforestation à destination de la fabrication de feuilles de soin.
Et il ne répond pas aux textos.
Mon binôme ne comprend pas. Ni Jérôme, ni Brahim, ni Jean-Claude.
Et je reste comme suspendu ; son absence enkystée, son casier au vestiaire scellé, et moi, le pied dans le vide, ne sachant trop à quel point il me faut exister.
Un mauvais rhume surfant dans mes conduits.
Se diffuse mollement, descend dans la gorge, anoblit les bronches, pétille au larynx.
Les glaires que je crache toute la journée prennent un goût sucré et jouent leur gamme chromatique comme à la roulette.
J'ai des assoupissements.
C'est de la boue. Il est toujours six heures du soir et quelque chose nage à côté.
Puis je me réveille.
Puis : le docteur me donne un visa pour deux jours au pays des merveilles.
Deux jours de brouillard et de lit à confondre les draps avec les kleenex avec les ordonnances.
Je reviens. J'encaisse la tournée de 7 heures avec une fin de batterie. Aller, je chante. Retour, mes vêtements affalés sur le tableau de bord avec presque pas moi dedans.
Danse le quai de déchargement.
Et.
Le mercredi 13 avril 2017, le binôme de mon binôme (moi) met le pied entre le quai et la plateforme du monte-charges.
Je termine la journée malgré l'hématome qui s'arrime du fessier au genou.
Toute la cuisse gauche.
Gonflée d'un sang noir.
Mais ça, je ne le saurai que le lendemain, dans un cabinet médical bien connu.
En attendant je trier, écharpe et passe-montagne.
Je ne produis pas d'autre son qu'un claquement de dents retors qui épouse les rythmes de la radio.
Chérie FM.
MFM.
Julien Doré.
Et la pub. Même la pub.
Mon binôme ne s'en fait pas.
Ça fait trois semaines que je n'ai pas ouvert la bouche.
Il ne s'en est pas rendu compte.
20:30 Publié dans fins de séries, Gratos | Tags : gratos, le binôme de mon binôme, accident du travail | Lien permanent | Commentaires (0)