21/02/2017
Gratos VIII
c'est là, sous le coude ;
sous le coude eczéma-pile de palettes ;
c'est sous nos coudes eczémateux posés sur la pile de palettes inoccupés,
le monde dans nos bouches la suie des petites haines du jour ;
c'est dans le muscle refroidissant, quand on monte à deux porter une lettre au service courrier ;
c'est dans les piles de caisses vides en rempart autour de nous dans la salle de tri, ruse suffisante pour égarer le nez des contremaîtres ;
c'est dans la caféine, dans la sciure entre le quai et la loge des appariteurs,
c'est dans les hectolitres de salive et la gerçure des lèvres,
qu'on touche le dur du truc,
le noyau, la quintessence
de cette être-fonctionnaire ;
car nous (Jean-Claude, mon binôme) fonctionnaires,
avons des idées sur les fonctionnaires
que nous exprimons en disant fonctionnaires
sans ménagement pour le politiquement correct -
nous ne disons pas employé municipal ;
pas personne à licentiabilité réduite
mais fonctionnaire - le mot le cru, dans toute sa violence vengeresse.
Ces types y travaillent comme des fonctionnaires dit mon binôme.
Nous sommes fonctionnaires, je dis.
Oui mais tu comprends ce que je veux dire. J'ai pas l'esprit fonctionnaire.
Nous sommes tous les deux, mon binôme et moi -
Jean-Claude reparti vers aux palettes aux mérous aux rêves quinté dans l'ordre -
nous montons.
C'est donc dans l'ascenseur exigu qui dessert les dix-sept étages que nous nous confronterons à l'esprit.
À deux. Une enveloppe.
Le service du courrier est au cinquième ;
nous nous arrêtons au quatre,
une assistante du patrimoine monte,
yeux dans les narines, narines déployées -
les dents déchaussées du binôme lui font une prière pauvre sur tout le corps ;
elle descend au sixième (notre doigt a ripé) ;
nous rentrons le ventre ;
l'ascenseur nous emmène au 12 -
un conservateur homosexuel soupire sur un chariot rempli de livres pieux du 17ème siècle :
bien sûr, il ne peut pas monter - nous avons sous notre enveloppe
(elle est adressée au service finances) notre chariot à nous -
(il grince, mais il marche) - bien sûr le conservateur grince à son tour,
mais cette fois c'est la bonne ;
et avant que j'aie eu le temps de constater que j'ai enfin trouvé une utilité à cette aberration typographique qu'est le point-virgule,
NOUS ARRIVONS AU CINQUIÈME.
Tour rapide des boîtes, esquive de la responsable RH désolée par les irrégularités de mon contrat -
la dernière fois il lui a pris la fantaisie de me
taper la bise devant mon binôme qui pour l'occase
ne trouva rien d'autre à faire que de constater rouge l'existence
pleine et entière de ses mules de cuisinier -
bref, nous déposons le courrier,
puis redescendons au quatre - machines à café, terrasse -
car tout ça méritait bien une petite pause.
.....................................
Et pendant ce temps-là :
j'ai vu
je fus témoin
j'ai su
qu'il n'est rien arrivé à
mon binôme.
Qu'il n'est rien arrivé
entre le 6è et le 5è à la redescente,
ni au 4è (terrasse fumeurs et machine à café)
ni au rez-de-chaussée (un demi-chariot pour le tri - on repassera),
mais que tout ce temps,
dans l'ivresse de l'enveloppe
dans l'angoisse de l'ascenseur,
j'ai vu,
je fus témoin du fait que mon binôme
EXISTAIT -
et que pire qu'exister,
tout ce temps mon binôme
VIEILLISSAIT -
imperceptiblement
mais réellement.
J'ai perçu
sa densité d'homme.
Ce dont la femme (mauvaise humeur à cinq heures du soir,
crédit à la consommation)
qui partage sa vie depuis trente ans
ne peut
se vanter.
07:00 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : fonctionnaire comme insulte, aventures dans un ascenseur, le service du courrier | Lien permanent | Commentaires (0)
19/02/2017
Gratos VII
comme ça, gratos : au
fond tout au fond, là où
ta laborieuse sieste
suante
liquoreuse
rigide t'a conduit,
les merveilles carnivores
attendent ta peau
graisseuse.
vieille de corail, mérou faraud, écureuil grande-mâchoire :
salopes d'hypocrites assassins,
et la murène -
faux-culs, ses airs
de concierge sous l'occupation -
les vagues hypocritement baladent leurs reflets de trésors changeants
alors que depuis 150 millions d'années ici : RAS
ici tout miracle est d'une prétention terrible
car prévu pour l'éternité -
ÎLES -
SOLEIL -
LA NATURE À TOUS CRINS -
ET DU RHUM AGRICOLE -
mais
c'est en traversant cette vie de tunnel
qu'on trouve au
fond tout au fond,
tout ensuqué qu'on est
le rêve
le quinté dans l'ordre
........
à quoi ressemble la gueule de Jean-Claude
un rhum arrangé à la main et
150 millions d'années de corail devant lui ?
à un paradoxe :
à 150 millions de rêves crevés d'un coup d'aiguille.
Jean-Claude
jour de gloire ou pas au PMU
aura toujours besoin de mon binôme
et mon binôme
de Jean-Claude - et eux deux
de leur coude. de la pile de palettes. de l'eczéma.
des câbles dénudés
de la cafetière.
On ne sait pas si Jean-Claude et mon binôme pensent
chevaux
on ne sait pas s'ils palpitent quinté
s'ils bandent derby
dans l'intimité sacrée des slips -
en revanche on sait qu'ils disent quinté chevaux derby
Euromillion crédit à la conso et petite maison dans le sud avec piscine.
peut-être que mon binôme en a marre de jouer mon binôme
et Jean-Claude marre de jouer Jean-Claude.
peut-être se détestent-ils ainsi déguisés et l'autre en eux-mêmes, le déguisement.
mais ils existent. ils ont poids densité prénoms. il faut bien justifier tout ça et au quotidien. à partir d'un certain âge : faire simple.
car il semble (vu d'ici) que c'est trop tard pour réfléchir.
campé chacun d'un coté de la palissade pourrie de la cinquantaine
ils peuvent tous deux s'y hisser quelques secondes
pour détester l'autre côté,
le cas échéant.
quoi qu'ils y trouvent, il y a tout ce dont on peut rêver - exception faite :
des cent mille vies possibles de leurs vingt piges fossilisées.
alors ils font :
Jean-Claude.
mon binôme.
Amen.
Que le Dieu de l'espérance te donne en plénitude la paix par la foi.
Chevaux.
Gras.
Quinté.
Et le reste du monde ?
Dans la bouche.
14:01 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : quinté dans l'ordre, poissons, besoin de mon binôme | Lien permanent | Commentaires (0)
12/02/2017
Gratos V
...
vers 2007-2008
j'ai renoncé au malheur
à la déprime
et à l'angoisse
je trouve
que c'est une faute de goût
je ne comprends pas
comment encore en 2017
on peut
perdre son boulot
se faire rétamer la gueule par un éboulement de crédits à la conso
partir en dépression
se souvenir soudain de la bite de son oncle
ou faire des fausses-couches.
aussi moi
j'aime un peu tout
par exemple
j'aime bien travailler
car je
m'intéresse au travail
ça ne veut pas dire
que je m'intéresse à mon travail
mais que j'aime découvrir les coulisses
les coins à rouille et à moisissures
non destinés au public
le matériel vétuste
les gars qui se lavent après le boulot
je trouve ça distrayant
exotique
drôle
je trouve
que le dernier des agents d'entretien salafistes qui embauche à deux heures du matin
l'ultime appariteur diabétique qui vit avec sa mère
le plus riquiqui des agents de sécu couperosé obsédé sexuel
mérite qu'on lui écrive un livre
seulement
on ne peut pas tout le temps s'amuser dans la vie
à un moment
il faut apprendre le russe
relire les passages soulignés au crayon dans les deux Bertin
voir ce qu'il y a à piquer
répondre au mail d'Ivar
partir se cramer le cul
dans l'Océan Indien
...
06:00 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : tout aimer, s'intéresser au travail, les choses sérieuses | Lien permanent | Commentaires (2)