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23/02/2017

Gratos IX

j'ai l'air de rire -

je regarde

là où c'est de la vie

je prends des notes

j'ai l'excitation de la nouveauté

la géopolitique des rapports d'équipe

la conscience des coulisses

mais ne croyez pas que je

m'amuse.

 

Il y a là des visages

des culs

émaciés ou aplatis

émaciés comme mon binôme

aplatis dans le saindoux des tableaux Exel

comme la responsable RH.

 

Et moi au milieu.

À me demander ce que je suis en train de

devenir.

 

Émaciée ou aplatie la vie est plate et sans imagination.

Je me suis toujours fait fort d'être

moi poète

dans la même merde que tout le monde.

Là réside ma légitimité.

Alors je me la pète,

je roule des mécaniques,

j'amène mon parcours zarbi,

je fais rire binômes et secrétaires.

Mais des fois je fatigue.

Où est mon boulot ? Où est ma vie ?

À partir de quand tout ça cesse d'être une expérience littéraire

et devient la vraie merde, celle de tous les autres ?

 

........................................................................................................................................

 

Mon binôme a entendu quelque part que j'écrivais de la poésie.

Depuis il craint ma prise de note dans le camion

comme je crains moi sa tendance à doubler à contresens dans la voie de bus sans aucune visibilité.

Entre nous, c'est donnant-donnant.

 

 

21/02/2017

Gratos VIII

c'est là, sous le coude ;

sous le coude eczéma-pile de palettes ;

c'est sous nos coudes eczémateux posés sur la pile de palettes inoccupés,

le monde dans nos bouches la suie des petites haines du jour ;

c'est dans le muscle refroidissant, quand on monte à deux porter une lettre au service courrier ;

c'est dans les piles de caisses vides en rempart autour de nous dans la salle de tri, ruse suffisante pour égarer le nez des contremaîtres ;

c'est dans la caféine, dans la sciure entre le quai et la loge des appariteurs,

c'est dans les hectolitres de salive et la gerçure des lèvres,

qu'on touche le dur du truc,

le noyau, la quintessence

de cette être-fonctionnaire ;

car nous (Jean-Claude, mon binôme) fonctionnaires,

avons des idées sur les fonctionnaires

que nous exprimons en disant fonctionnaires

sans ménagement pour le politiquement correct -

nous ne disons pas employé municipal ;

pas personne à licentiabilité réduite

mais fonctionnaire - le mot le cru, dans toute sa violence vengeresse.

Ces types y travaillent comme des fonctionnaires dit mon binôme.

Nous sommes fonctionnaires, je dis.

Oui mais tu comprends ce que je veux dire. J'ai pas l'esprit fonctionnaire.

Nous sommes tous les deux, mon binôme et moi -

Jean-Claude reparti vers aux palettes aux mérous aux rêves quinté dans l'ordre -

nous montons.

C'est donc dans l'ascenseur exigu qui dessert les dix-sept étages que nous nous confronterons à l'esprit.

À deux. Une enveloppe.

Le service du courrier est au cinquième ;

nous nous arrêtons au quatre,

une assistante du patrimoine monte,

yeux dans les narines, narines déployées -

les dents déchaussées du binôme lui font une prière pauvre sur tout le corps ;

elle descend au sixième (notre doigt a ripé) ;

nous rentrons le ventre ;

l'ascenseur nous emmène au 12 -

un conservateur homosexuel soupire sur un chariot rempli de livres pieux du 17ème siècle :

bien sûr, il ne peut pas monter - nous avons sous notre enveloppe

(elle est adressée au service finances) notre chariot à nous -

(il grince, mais il marche) - bien sûr le conservateur grince à son tour,

mais cette fois c'est la bonne ;

et avant que j'aie eu le temps de constater que j'ai enfin trouvé une utilité à cette aberration typographique qu'est le point-virgule,

NOUS ARRIVONS AU CINQUIÈME.

Tour rapide des boîtes, esquive de la responsable RH désolée par les irrégularités de mon contrat -

la dernière fois il lui a pris la fantaisie de me

taper la bise devant mon binôme qui pour l'occase

ne trouva rien d'autre à faire que de constater rouge l'existence

pleine et entière de ses mules de cuisinier -

bref, nous déposons le courrier,

puis redescendons au quatre - machines à café, terrasse -

car tout ça méritait bien une petite pause.

.....................................

Et pendant ce temps-là :

j'ai vu

je fus témoin

j'ai su

qu'il n'est rien arrivé à

mon binôme.

Qu'il n'est rien arrivé

entre le 6è et le 5è à la redescente,

ni au 4è (terrasse fumeurs et machine à café)

ni au rez-de-chaussée (un demi-chariot pour le tri - on repassera),

mais que tout ce temps,

dans l'ivresse de l'enveloppe

dans l'angoisse de l'ascenseur,

j'ai vu,

je fus témoin du fait que mon binôme

EXISTAIT -

et que pire qu'exister,

tout ce temps mon binôme

VIEILLISSAIT -

imperceptiblement

mais réellement.

J'ai perçu

sa densité d'homme.

 

Ce dont la femme (mauvaise humeur à cinq heures du soir,

crédit à la consommation)

qui partage sa vie depuis trente ans

ne peut

se vanter.

 

19/02/2017

Gratos VII

comme ça, gratos : au

fond tout au fond, là où

ta laborieuse sieste

suante

liquoreuse

rigide t'a conduit,

les merveilles carnivores

attendent ta peau

graisseuse.

 

vieille de corail, mérou faraud, écureuil grande-mâchoire :

salopes d'hypocrites assassins,

et la murène -

faux-culs, ses airs

de concierge sous l'occupation -

 

les vagues hypocritement baladent leurs reflets de trésors changeants

alors que depuis 150 millions d'années ici : RAS

ici tout miracle est d'une prétention terrible

car prévu pour l'éternité -

 

ÎLES -

SOLEIL -

LA NATURE À TOUS CRINS -

ET DU RHUM AGRICOLE -

 

mais

c'est en traversant cette vie de tunnel

qu'on trouve au

fond tout au fond,

tout ensuqué qu'on est

le rêve

le quinté dans l'ordre

 

........

 

à quoi ressemble la gueule de Jean-Claude

un rhum arrangé à la main et

150 millions d'années de corail devant lui ?

 

à un paradoxe :

à 150 millions de rêves crevés d'un coup d'aiguille.

 

Jean-Claude

jour de gloire ou pas au PMU

aura toujours besoin de mon binôme

et mon binôme

de Jean-Claude - et eux deux

de leur coude. de la pile de palettes. de l'eczéma.

des câbles dénudés

de la cafetière.

 

On ne sait pas si Jean-Claude et mon binôme pensent

chevaux

on ne sait pas s'ils palpitent quinté

s'ils bandent derby

dans l'intimité sacrée des slips -

en revanche on sait qu'ils disent quinté chevaux derby

Euromillion crédit à la conso et petite maison dans le sud avec piscine.

 

peut-être que mon binôme en a marre de jouer mon binôme

et Jean-Claude marre de jouer Jean-Claude.

peut-être se détestent-ils ainsi déguisés et l'autre en eux-mêmes, le déguisement.

mais ils existent. ils ont poids densité prénoms. il faut bien justifier tout ça et au quotidien. à partir d'un certain âge : faire simple.

 

car il semble (vu d'ici) que c'est trop tard pour réfléchir.

 

campé chacun d'un coté de la palissade pourrie de la cinquantaine

ils peuvent tous deux s'y hisser quelques secondes

pour détester l'autre côté,

le cas échéant.

quoi qu'ils y trouvent, il y a tout ce dont on peut rêver - exception faite :

des cent mille vies possibles de leurs vingt piges fossilisées.

 

alors ils font :

Jean-Claude.

mon binôme.

Amen.

Que le Dieu de l'espérance te donne en plénitude la paix par la foi.

Chevaux.

Gras.

Quinté.

Et le reste du monde ?

Dans la bouche.