02/03/2017
Gratos XI
selon les
l'homo sapiens est le premier mammifère
à être attesté
ici.
a priori
le lieu fut d'abord envisagé comme lieu d'exil
mouroir
punition.
puis
comme paradis sur terre
mangeoire divine
miracle de mécanique vivante.
puis
on a commencé à travailler -
introduction d'espèces invasives
destruction de l'écosystème
horaires contre-nature
inversion du rythme circadien -
aux dernières nouvelles nous sommes devenus nous-mêmes et il s'agit d'investir 1,7 milliard d'euros afin que l'océan se transforme en autoroute
bref
tout va bien
...
le soleil réverbéré par le pare-choc du connard du 75 rebondit
sur le creux des joues de mon binôme
sur mon obésité
ce matin de concert nous bouffâmes du clébard
et le geste qu'il fait pour monter le son (Sardou, Les Lacs du, op. cit.)
me fait penser à ce que disait Fred l'autre soir à propos de magie noire :
il y a des périodes
où il vaudrait mieux ne jamais sortir de chez soi
sans un gris-gris en vrais poils de chatte d'Erzulie-Freda
j'ai voulu ce que j'ai eu - mais rejouer
cette belle existence de tendinites et de scolioses
me fait toucher une vérité
tout à fait
fondamentale :
j'ai 32 ans
presque dix de plus que la première fois
que j'ai monté un carton de frites
pour de l'argent.
je suis vieux.
depuis leur éternel regret du cligno
mes poignées d'amour testent en frottements
les limites du siège passager
et la paternité - avec son cocktail chimique -
a fait chuter mon taux de testostérone
augmentant du même coup
ma tendance à la somnolence.
07:00 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : binôme, 32 ans, somnolence, camion, bouffer du clebs | Lien permanent | Commentaires (0)
28/02/2017
Gatos X
la plongée en haute mer
impose
la régularité de l'inspiration
et de l'expiration.
la flânerie entre massif de corail
et banc de poissons-chirurgiens
exige de soumettre son souffle
à un ostinato d'une régularité terrible.
à cette profondeur la personnalité se dissout
l'être
se dédouble :
croise un requin qui veut faire mumuse.
lutte contre l'aspiration d'un courant subit.
prends-toi sur la tronche les eaux troubles d'une embouchure de fleuves.
l'humain dit : peur.
l'appareillage non-humain qui dispense l'air répond : régularité.
n'oublie pas.
de respirer.
avec.
régularité.
ou.
tu mourras.
yoga -
métronome -
horlogerie fade et froide de Jean-Sébastien Bach -
vieux fantasme d'une maîtrise absolue
sur les réflexes.
la survie dépend du maintien de l'effort conscient
jusque dans le plus mou
de la contemplation.
-
ainsi
par une bizarrerie cognitive que la science
n'a jamais cherché à expliquer
mon binôme vit dans un monde
inversé.
c'est comme ça.
il faut s'y faire.
quand il pousse une pile de caisses et dit on descend ça veut dire
on monte au rez-de-chaussé.
quand il dit à gauche il faut comprendre
à droite.
quand il dit devant
c'est du cul du camion qu'il
parle.
quand il dit CD c'est pour DVD et
inversement.
pour
survivre
pour que le boulot se fasse
c'est le monde entière qu'il convient de reconfigurer.
toutes les cinq minutes.
à raison de huit heures par jour.
ça prêterait à rire comme ça y prête au sein de l'équipe de l'après-midi
mais.
mais c'est dans tête-dans-l'cul et dans durée-indéterminée que ça se passe ;
mais c'est doucereux et constant comme un picotement
comme une migraine ;
mais c'est aussi
la folie qui dépasse dans les coins
légère et court-vêtue.
politiquement
spirituellement
religieusement
il y a longtemps que j'ai arrêté de considérer l'équilibre mental
comme autre chose qu'un cliché pour magazines féminins
et agents de maîtrise sans imagination.
aussi
il n'est pas exclu
que le rez-de-chaussée de la bibliothèque
se trouve en-dessous du premier sous-sol
que le cul du camion
ait été placé par erreur derrière la porte latérale
et que la voie de droite
derrière les stops de la bonne ville de Lyon où nous exerçons notre métier
se trouve malignement à gauche
et que personne
jusque là
ne s'en soit simplement
aperçu.
12:00 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : respirer quand on fait de la plongée sous-marine, binôme, folie, inversement du monde | Lien permanent | Commentaires (3)
23/02/2017
Gratos IX
j'ai l'air de rire -
je regarde
là où c'est de la vie
je prends des notes
j'ai l'excitation de la nouveauté
la géopolitique des rapports d'équipe
la conscience des coulisses
mais ne croyez pas que je
m'amuse.
Il y a là des visages
des culs
émaciés ou aplatis
émaciés comme mon binôme
aplatis dans le saindoux des tableaux Exel
comme la responsable RH.
Et moi au milieu.
À me demander ce que je suis en train de
devenir.
Émaciée ou aplatie la vie est plate et sans imagination.
Je me suis toujours fait fort d'être
moi poète
dans la même merde que tout le monde.
Là réside ma légitimité.
Alors je me la pète,
je roule des mécaniques,
j'amène mon parcours zarbi,
je fais rire binômes et secrétaires.
Mais des fois je fatigue.
Où est mon boulot ? Où est ma vie ?
À partir de quand tout ça cesse d'être une expérience littéraire
et devient la vraie merde, celle de tous les autres ?
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Mon binôme a entendu quelque part que j'écrivais de la poésie.
Depuis il craint ma prise de note dans le camion
comme je crains moi sa tendance à doubler à contresens dans la voie de bus sans aucune visibilité.
Entre nous, c'est donnant-donnant.
07:00 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : binôme, fatigue, ma légitimité | Lien permanent | Commentaires (0)