25/03/2014
Travaux manuels
Nous creuserons une piscine.
Ne la remplirons pas.
Nous mettrons au milieu.
Et nous nous embrasserons.
Lorsque nous serons devenus assez humides,
le préposé videra le sac de soude.
De nous deux celui qui fondra le premier
sera celui qui fut le plus tendre.
23:00 Publié dans Bouts de peau | Tags : piscine, soude, tendresse, baiser, fondre | Lien permanent | Commentaires (0)
02/03/2014
Le prix
ils ne voudront pas l'avouer
mais il n'y a pas de raison pour que l'homme le plus malheureux du monde
ne le soit d'un malheur de riche
qu'il ne soit issu d'un milieu privilégié
plein de bibliothèques à reliures cuir
qu'il ne sache parler en public
qu'il n'ait le demi mot toujours au coin des yeux
et un génie inné
pour porter le blazer
c'est que
dans la compétition qu'ils se livrent chaque année
ils sont tellement nombreux tellement déterminés
que celui qui décroche le prix
est forcément connu du jury
il sait qu'on n'aime pas
ce qui crève muettement
il sait qu'on n'aime pas
ce qui se trompe de connerie
et il sait qu'on n'aime pas
que la douleur ait le manque de tact
de puer sous un pont
l'homme le plus malheureux du monde
ne commettra aucune tentative de suicide qui pourrait manquer d'hygiène
il ne vous donnera pas de raison objective
il faut que sa douleur soit toute pure
qu'elle touche à l'ineffable
qu'elle emploie des mots vagues
et qu'elle apporte un minimum de recherche formelle
mais sans rouille au réel
c'est à dire
qu'elle peut chanter
mais sans aucun autre bruit du corps
et quand un an après
il lui faudra céder son titre
l'homme le plus malheureux du monde
ne traitera pas le jury de vendu
09:50 Publié dans Bouts de peau | Tags : jury, remise des prix, l'homme le plus malheureux du monde, corporatisme | Lien permanent | Commentaires (0)
26/02/2014
L'Homme qui passe
Depuis que je fréquente la bibliothèque municipale de L..., je croise constamment un homme au crâne rasé, âgé de soixante à quatre-vingts ans, qui porte un blazer bleu à boutons dorés avec une cravate rouge. Il sort de la salle littérature et se dirige vers l'escalier, il passe devant la photocopieuse, il émerge de l'espace d'expositions, mais, sans exception :
1) il marche ;
2) il n'a dresse la parole à personne ;
3) il porte blazer et cravate rouge, qu'il fasse moins cinq ou quarante degrés ;
4) il ne porte ni sac ni serviette.
D'une manière générale, il ne porte jamais l'air du dehors. Jamais humide en novembre. Jamais suant en août. Jamais d'oeil injecté quand les jours raccourcissent. Jamais de vapeur au plus fort de décembre.
Au point que je me suis demandé parfois s'il n'était pas une émanation de mon délire schizoïde, mais non, mes collègues le voient aussi bien que moi. Pourtant, personne ne sait quoi que ce soit de précis à son sujet.
Il m'est aussi arrivé de le croiser ailleurs - dans le quartier de la gare, entre l'arrêt de tram et les entrepôts de la SNCF, près de la place Saint-Paul, devant le terrain vague de la rue S... G... -partout, il marche, n'adresse la parole à personne, ne porte ni sac, etc.
Cet homme me passionne.
En dix ans, il n'a pas vieilli. Le crâne rasé y est peut-être pour beaucoup, mais ça ne suffit pas à expliquer pourquoi aucun de ses costumes n'a jamais réussi à se froisser, sa démarche à s'affaisser, ni comment il arrive à être imperméable à ce point-là à tout ce qui l'entoure.
Ou c'est Dieu, ou c'est ma conscience.
D'ailleurs, il a l'air absolument odieux.
14:29 Publié dans Bouts de peau | Tags : bibliothèque municipale, dieu, conscience, fantôme, blazer, crâne rasé | Lien permanent | Commentaires (0)