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02/03/2014

Le prix

ils ne voudront pas l'avouer 

mais il n'y a pas de raison pour que l'homme le plus malheureux du monde

ne le soit d'un malheur de riche

qu'il ne soit issu d'un milieu privilégié

plein de bibliothèques à reliures cuir 

qu'il ne sache parler en public

qu'il n'ait le demi mot toujours au coin des yeux

et un génie inné 

pour porter le blazer

 

c'est que 

dans la compétition qu'ils se livrent chaque année

ils sont tellement nombreux tellement déterminés

que celui qui décroche le prix 

est forcément connu du jury

 

il sait qu'on n'aime pas 

ce qui crève muettement

il sait qu'on n'aime pas

ce qui se trompe de connerie

et il sait qu'on n'aime pas

que la douleur ait le manque de tact

de puer sous un pont

 

l'homme le plus malheureux du monde 

ne commettra aucune tentative de suicide qui pourrait manquer d'hygiène

il ne vous donnera pas de raison objective

il faut que sa douleur soit toute pure 

qu'elle touche à l'ineffable

qu'elle emploie des mots vagues

et qu'elle apporte un minimum de recherche formelle

mais sans rouille au réel

 

c'est à dire

qu'elle peut chanter 

mais sans aucun autre bruit du corps

 

et quand un an après

il lui faudra céder son titre

l'homme le plus malheureux du monde

ne traitera pas le jury de vendu

 

26/02/2014

L'Homme qui passe

Depuis que je fréquente la bibliothèque municipale de L..., je croise constamment un homme au crâne rasé, âgé de soixante à quatre-vingts ans, qui porte un blazer bleu à boutons dorés avec une cravate rouge. Il sort de la salle littérature et se dirige vers l'escalier, il passe devant la photocopieuse, il émerge de l'espace d'expositions, mais, sans exception :

1) il marche ; 

2) il n'a dresse la parole à personne ;

3) il porte blazer et cravate rouge, qu'il fasse moins cinq ou quarante degrés ;

4) il ne porte ni sac ni serviette.

D'une manière générale, il ne porte jamais l'air du dehors. Jamais humide en novembre. Jamais suant en août. Jamais d'oeil injecté quand les jours raccourcissent. Jamais de vapeur au plus fort de décembre.

Au point que je me suis demandé parfois s'il n'était pas une émanation de mon délire schizoïde, mais non, mes collègues le voient aussi bien que moi. Pourtant, personne ne sait quoi que ce soit de précis à son sujet.

Il m'est aussi arrivé de le croiser ailleurs - dans le quartier de la gare, entre l'arrêt de tram et les entrepôts de la SNCF, près de la place Saint-Paul, devant le terrain vague de la rue S... G... -partout, il marche, n'adresse la parole à personne, ne porte ni sac, etc.

Cet homme me passionne.

En dix ans, il n'a pas vieilli. Le crâne rasé y est peut-être pour beaucoup, mais ça ne suffit pas à expliquer pourquoi aucun de ses costumes n'a jamais réussi à se froisser, sa démarche à s'affaisser, ni comment il arrive à être imperméable à ce point-là à tout ce qui l'entoure. 

Ou c'est Dieu, ou c'est ma conscience.

D'ailleurs, il a l'air absolument odieux.

 

25/02/2014

De l'azur dans un tas de cailloux (suite de la note précédente)

Je n'ai pas cette capacité. N'insistez pas.

Moi, je vois un tas de cailloux, je tape dessus.

Pas avec de la poésie. Avec une masse.

Les éclats rebondissent, des fois ça me fait saigner une paupière.

Et je m'y mets alors avec une rage accrue.

C'est dur, les cailloux.

Et les lunettes de protection glissent.

Et ce n'est pas pour l'amour de l'art.

C'est pour 9 euros 39 de l'heure.

Et on m'a dit qu'il y avait de l'or dessous.

N'insistez pas. On m'a dit qu'il y avait de l'or.