26/02/2014
L'Homme qui passe
Depuis que je fréquente la bibliothèque municipale de L..., je croise constamment un homme au crâne rasé, âgé de soixante à quatre-vingts ans, qui porte un blazer bleu à boutons dorés avec une cravate rouge. Il sort de la salle littérature et se dirige vers l'escalier, il passe devant la photocopieuse, il émerge de l'espace d'expositions, mais, sans exception :
1) il marche ;
2) il n'a dresse la parole à personne ;
3) il porte blazer et cravate rouge, qu'il fasse moins cinq ou quarante degrés ;
4) il ne porte ni sac ni serviette.
D'une manière générale, il ne porte jamais l'air du dehors. Jamais humide en novembre. Jamais suant en août. Jamais d'oeil injecté quand les jours raccourcissent. Jamais de vapeur au plus fort de décembre.
Au point que je me suis demandé parfois s'il n'était pas une émanation de mon délire schizoïde, mais non, mes collègues le voient aussi bien que moi. Pourtant, personne ne sait quoi que ce soit de précis à son sujet.
Il m'est aussi arrivé de le croiser ailleurs - dans le quartier de la gare, entre l'arrêt de tram et les entrepôts de la SNCF, près de la place Saint-Paul, devant le terrain vague de la rue S... G... -partout, il marche, n'adresse la parole à personne, ne porte ni sac, etc.
Cet homme me passionne.
En dix ans, il n'a pas vieilli. Le crâne rasé y est peut-être pour beaucoup, mais ça ne suffit pas à expliquer pourquoi aucun de ses costumes n'a jamais réussi à se froisser, sa démarche à s'affaisser, ni comment il arrive à être imperméable à ce point-là à tout ce qui l'entoure.
Ou c'est Dieu, ou c'est ma conscience.
D'ailleurs, il a l'air absolument odieux.
14:29 Publié dans Bouts de peau | Tags : bibliothèque municipale, dieu, conscience, fantôme, blazer, crâne rasé | Lien permanent | Commentaires (0)
30/06/2013
De l'action sociale par l'animation culturelle
(...& ça fait des années que je fréquente la bibliothèque municipale de L... & ça fait des années que croise des hommes barbus d'un teint de brique fumée dans le sas des toilettes du rez-de-chaussée, des hommes barbus avec des mains violettes & des manteaux ajourés quelque soit la saison, un sac est posé devant eux retenu par un genou contre le cache-tuyau du lavabo...)
(...& ça fait des années que je sais avec quelle application ils se peignent & se peignant adorent insulter le monde et les toilettes de la bibliothèque municipale et son sas où c'est pas vrai enfin & où bordel de dieu on n'est jamais tranquille...)
(...& je sais le vent le frimas la houle dans leur bouche et un enculés de merde je te je te je te ferai bouffer ton tu va voir clapotis surnageant de temps à autre...)
(... & je sais qu'avant Joyce et le monologue intérieur chacune de leurs imprécations commençait par des quelle ne fut pas ma surprise des n'était la certitude qui me tenait & des oui !... Car, me disais-je...)
(...mais quelque soit le procédé je sais que c'est l'instant où je voudrais m'envoyer des avalanches de nerfs de boeufs pour me punir de ne pas avoir un dictaphone sur moi pour enregistrer la seule vérité du monde remâchée encore & encore & en-dehors des heures ouvrables jusqu'à en devenir violette, brique, barbue & soigneusement peignée dans le sas des toilettes de la bibliothèque municipale de L...)
(... de même que je sais au rasoir comment ils tassent avec amour les piles de slips lavés à la main dans le cabas kingsize du hard-discount le plus proche & arrivent à le transformer (le cabas, pas le hard-discount) en ballot prêt pour la route de la soie...)
(... mais AVANT le sas AVANT le peigne AVANT le slip propre & essoré à raideur cadavérique JE NE SAIS PAS comment on se lave dans le réduit des toilettes de la bibliothèque municipale de L... JE NE SAIS PAS comment on arrive à tenir où on pose les vêtements sales & où les propres COMBIEN il faut de doses de savon liquide du distributeur pour astiquer le corps entier S'IL EST seulement POSSIBLE de se nettoyer correctement les fesses le sexe le périnée & de les maintenir assez longtemps à hauteur du lavabo en se hissant sur la pointe des pieds pour rincer correctement les poils & les faire dégorger leur jus savonneux SANS transformer le réduit en piscine olympique...)
(... & JE NE SAIS PAS quelle adresse demande le fait de se tenir debout sur ses chaussures repliées & ne pas se choper de mycoses dans cette salle des pas perdus rupestre d'1 m² NI si on arrive à oublier les mains sous le filet d'eau chaude que les aisselles ont déjà refroidi NI si on arrive à s'oublier soi-même à faire le vide à être sous la douche QUAND même & à bander doucement comme ça pour soi-même & à se taper une petite branlette doucement comme ça pour soi-même malgré les bites & les têtes de mort & les svastikas gravées sur les murs ça JE NE LE SAIS PAS non JE NE LE SAIS PAS & JE NE LE SAURAI SÛREMENT JAMAIS...)
(... & je...)
(...me prétends de gauche...)
23:12 Publié dans Bouts de peau | Tags : bibliothèque municipale, toilettes, clodos, lavabo, peigne, cabas, nettoyage, je ne sais pas | Lien permanent | Commentaires (0)