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27/12/2012

Mon vrai boulot

 

messie, vrai boulot, sauver


Mon vrai boulot à moi c'est de prendre des mecs

et de les transformer en Messies

n'importe qui

un pédé anorexique natif de Saint-Pierre et Miquelon

un patron de PME au bord de la faillite

qui se récite du Rimbaud en faisant tinter les glaçons

un préposé au guichet de la CAF qui pleure dans le mouchoir de sa grand-mère

etc

n'importe qui

je ne suis pas regardant sur la matière première

dans mon activité de messies ce qui compte

c'est l'auréole

c'est de sauver

même pour trente secondes

 

alors voilà la procédure

c'est très simple

je prend mon futur messie et je le plante sous un réverbère spécial de ma composition

le réverbère ne produit pas de lumière mais il peut en absorber

le messie parle un peu

se détend

et sans s'en rendre compte il commence à éclairer

 

après je récupère la lumière j'en fais de l'encre

et vlan la transsubstantiation

amen

garanti écologique

 

c'est une opération délicate

et je marcherai sur l'eau avant de gagner ma vie avec

mais nous sommes assez nombreux sur le marché

chacun avec ses techniques propres

 

c'est que la demande est forte

un paumé prêt à se faire recrucifier pour le SMIC d'amour

ça court les rues

ça prend le métro

ça vous regarde dedans avec des yeux suspicieux

avec ou sans expérience

avec ou sans prépuce

je prends

 

ce qui compte c'est de sauver


un bon rock'n'roll sauve pour 3 minutes douche comprise

un bon film pour 2 heures

un bon livre peut sauver jusqu'à une semaine ou deux

 

ça marche tellement bien que je pense à étendre mon activité

mais

si je suis les stratégies commerciales du moment

ils risquent de finir avec des belles têtes d'éléphant

mes futurs christs


21/12/2012

Dernier jour

titanic.jpg

alors ça pour ce qu'on l'attendait ce jour

on va pas se mettre à paniquer parce que ça commence à tanguer

hein

depuis le temps

que Pincemi et Pincemoi attendent la reprise du trafic

hein

on va pas se mettre à faire les bégueules

tenez-vous prêt

vomissez là où on vous dira

et à part ça

tout va bien, merci

à part que c'est long

on s'emmerde encore un peu

et puis merde on ne va pas se lamenter parce qu'on enlève 366 jours aux années bissextiles

3 millions de chômeurs de moins rien qu'ici

dis-toi

on va pas chialer

 

non

ce qui va se passer aujourd'hui

aucun sorcier ou astronome maya ne l'avait prévu

quand même

ils avaient

plus de respect d'eux-même


20/12/2012

Chemises II

Steve.jpg

Conversation avec Steve. Il vient d'apprendre qu'on lui a refusé ses vacances. Il avait la tête baissée, il ne regardait pas sa clope se consumer, et c'est une erreur. Il y en a qui meurent de ça. À la place, il préférait regarder le halo brun sur sa chemisette blanche. Le halo était bien central, placé plexus solaire, comme si quelque chose battait encore en-dessous, quelque chose de plus important qu'une cigarette. Et le halo était là parce que Steve avait dû remplir un distributeur de ketchup de la main droite pendant qu'il étiquetait des bacs à salade de la main gauche. Et il faisait l'ambidextre parce que, bien sûr, ce jour-là, où on l'avait appelé en catastrophe à sept heures dix pour remplacer le manager d'open à sept heures, il y avait en plus deux absents pour cause de grippe. La grippe grève plus les effectifs que la grève, chez Meecoy. Et crève les managers par intérim.

Steve avait accepté de venir. Pas manager, mais bien managé-mangé de l'intérieur du cerveau, bien dressé, mais pas sur ses ergots, il prend ses trois quarts par semaine et avec ça il demeure mon frère de paye, voilà la vérité : et en le voyant assis là, la tête entre les genoux, j'ai eu moi aussi une grande bouffée-plexus, un grand halo, mais je ne l'ai pas étalé sur mon polo parce que c'était de la compassion et que Steve était assez humilié comme ça. Je me suis assis à côté de lui, j'ai allumé ma cigarette à moi, et j'ai attendu qu'elle agisse sur son transit verbal.

Incompétent. Jipé a dit incompétent. Mais ce qui fait le plus mal, c'est le petit rire de Gerald.

Et tu en tires quoi comme conclusion ?

J'ai pas fini à l'heure. J'ai pas réussi. C'est tout.

T'es vraiment con...

Je m'en suis voulu. Mais à la réflexion, le terme ne paraît pas totalement improductif, philosophiquement parlant. J'en ai tiré une petite théorie, qui, j'espère, sera reconnue à la hauteur de son sérieux terminologique. La voici.

 

Théorie définitive de darwinisme anthropologique appliqué à Meecoy

 

Les managers (et assimilés) se divisent en deux catégories : les cons et les enculés.

Il existe des signes par lesquels un spécialiste peut, d'un seul regard-manager, savoir à qui il a affaire. Et en premier lieu, le signe chemisier :

Les cons ont une chemise tachée.

Les enculés ont une chemise propre.

Il est à noter que les enculés ne sont pas forcément des enculés. Je veux dire, ils sont pas tous forcément du genre à se jeter à l'eau pour faire les poches de l'homme qui se noi. Mais on remarquera qu'ils ont toujours les bons plannings, qu'ils obtiennent les dates de congés payés qu'ils désirent, qu'ils ont une facilité surnaturelle à gravir les échelons, et qu'ils éteignent leur portable la nuit, condition propédeutique indispensable à leur non-corvéabilité pour les imprévus de l'open.

On sait peu de choses sur les causes génétiques ou sociologiques qui font de tel ou tel manager un con ou en enculé pour l'ensemble de sa carrière, mais tout porte à croire que cette orientation est, sinon innée, du moins déterminée très tôt, avant le début du parcours professionnel, et dérive d'un ensemble de traits comportementaux qualifié vulgairement de personnalité. Ce qui nous amène au deuxième signe infaillible d'enculage :

Les cons regardent leurs chaussures. Les enculés bombent le torse. Comme les membres de l'équipe de direction.

L'état actuel de nos recherches ne nous permet pas d'établir avec certitude si le bombage de torse est une cause ou une conséquence, mais les faits sont là : un enculé d'un mètre soixante-dix fait une tête de plus qu'un con d'un mètre quatre-vingt-quinze.

 

La machine Meecoy, pour fonctionner, a besoin des deux : les enculés fournissent le contingent des futurs directeurs et directeurs-adjoints, et offrent une plus-value d'image à l'entreprise. Les cons font tourner la machine, assurent les remplacements, rustinent les avaries.

J'aimerais bien me compter moi-même parmi eux. Être un vrai con, bien franc, bien taché, bien nettement du côté des victimes. Mais là un épouvantable doute m'étreint : est-ce que je peux vraiment être un con, si j'en suis conscient ?

Encore que la conscience ne suffise pas. Steve n'est pas assez con pour ne pas savoir qu'il est con. Mais jamais il ne le dira. C'est ça qui le sauve.  

Extrait de Fast Food, work in progress.