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17/08/2012

Je, demain_ (blason #1)


(à EL)

 

c'est malin 

j'ai pris une assurance-bobo pour toutes mes carences spirituelles

et elle ne couvre pas l'usure normale des vieilles paluches

 

pourtant

si tu savais combien les mains peuvent avoir d'états d'âme

là où je bosse c'est à la graisse brûlée, de minuscules cloques presque invisibles à l'oeil nu

mais qui te rappellent à la loi chaque fois que tu attrapes quelque chose

et il y a aussi les engelures et les crevasses de froid

sans compter l'arthrose

 

la plupart du temps personne ne s'aperçoit de rien

c'est le vendredi soir que ça revient

à la fin de la dernière cigarette de la semaine et de la première du week-end

les mains redeviennent mains dans toute leur énormité leur monstruosité

et alors elles parlent d'elles-mêmes

pas moyen de les empêcher de blablater

 

si tu te rappelles bien elles avaient autre chose à dire

vers la fin des années 2000

souviens-toi c'était avant la crise

à l'époque oui j'avais des mains et c'était une autre came oui tout-à-fait certain

j'avais des mains et tu avais des fesses

ça nous faisait pour l'avenir au moins deux certitudes métaphysiques

& suffisait à faire un monde

 

mais ça ne va pas durer ces cloques

je vais partir

je vais larguer ce job et j'en trouverai un autre qui me laissera entier, le soir

et j'aurai à nouveau deux mains, demain

oui à nouveau deux j'en aurai

deux demains nouveau à j'aurai maints

 

crois-moi ou non deux mains c'est formidable

deux mains la source de tous nos mots du jour

deux mains l'hypothèse des grands changements de cap

deux mains le jour où je ferai cette grande sculpture monumentale de toi que je te promets depuis ces années-là

13/08/2012

Cap d'Agde

Se baigner à poil dans la mer de botox retraités qui grillent dans la baie

c'est moins complexer sur bide bibendum blanc en banane

& moins complexer

sur bite bidule en berne en bout de proue

 

comme

 

se raconter dans soirées spoken word en sous-sols stéphanois

c'est moins complexer sur bla-bla verbe bidon

qui bouillonne au robinet du bavoir à passion

 

comme

 

se coucher dans les vagues avec de l'eau jusqu'au mi du visage

et ne plus respirer

c'est moins complexer d'avoir été il y a longtemps une algue

et d'en garder un air de famille

03/08/2012

Cancers

Squelette, Bar, Toilettes, Vanité

 

Quand ils m’enlèveront la langue je continuerai à chanter. Je ferai du morse en claquant des dents.

 

Quand ils m’enlèveront les dents, je ruinerai votre sommeil en branchant ma glotte sur votre compteur électrique.

Quand ils m’enlèveront la peau, je laisserai mes tendons et mes muscles à disposition. Les petits enfants s’amuseront avec, et ils s’arrangeront pour souiller vos plus beaux tapis avec ma couenne et mes abats.

Quand ils m’enlèveront le nerf, je me ferai accrocher au-dessus de l’entrée des métros et chaque souffle de rame me fera tinter, macabre harpe éolienne.

Quand ils m’enlèveront les os, je viendrai hanter vos coins de fenêtre, la nuit. Vos filles à peine pubères en feront des cauchemars atroces. J’en ferai vos ennemies.

Enfin ils finiront bien par inventer une machine. Mais, quand ils m’enlèveront l’âme, je trouverai un moyen pour vous rester dans un coin de l’œil, et votre vie mal réveillée sonnera le regret comme un lundi matin éternel.


(Dessin : Lavrik Petrovitch, Scato ou porno, Court-Circuit Museum, au fond du couloir à gauche. Avec l'autorisation de l'artiste. Merci de laisser ce lieu dans l'Etat où vous l'avez trouvé.)