18/08/2012
Dernier Fast-Food après la bombe
Vous vous souvenez de ce que vous étiez en train de faire quand la guerre a éclaté ?
Si je m'en souviens. J'étais ici, au restaurant. Devant la sortie de secours. Je fumais une cigarette. Je me faisais sécher au soleil. C'était une belle, une très belle journée.
Moi je dormais. C'est une explosion qui m'a réveillé. Le bruit des vitres soufflées d'un coup. Le grondement grave et majestueux qui vient des fondations.
Nous, c'est un gamin qui nous l'a appris. Il venait manger avec son papa. Il jouait à un jeu de guerre sur sa DS. À un moment il s'est arrêté, a levé la tête, éclaté de rire. Il a dit : vous savez ce que mon papa il m'a dit ? C'est la vraie guerre ? C'est chouette !
C'est tout ?
C'est tout. Le premier missile n'est arrivé aux abords du restaurant que des mois plus tard. (Pause.) « C'est chouette ! C'est chouette ! », vous vous rendez compte ? Comment est-ce qu'on les élève, à notre époque ! Il n'aurait pas pu dire « de la balle », « Chanmé », « Classe », au moins ?
(Il se gratte la tête, regarde le ciel, mon uniforme, l'entrée du restaurant, puis encore le ciel. Il faut que je le relance. Il faut que je le relance, sinon il va partir. Un de plus. Parler à un être humain. L'occasion est trop précieuse.)
Il y en a qui prétendent qu'ils la font durer exprès. Que s'ils avaient voulu, avec les moyens d'aujourd'hui, tout aurait été fini en un quart d'heure. Vous y croyez ?
Je ne sais pas.
(Encore le ciel, encore mon uniforme, encore l'entrée. Relancer, relancer toujours.)
Ça vous chiffonne que je porte encore le logo à deux arches et le polo bleu marine au lieu du casque et de la tenue de camouflage ? C'est comme ça. Il faut des planqués aussi. Si vous saviez combien de soldats, et des deux camps, ont été heureux de retrouver le logo chéri de leur enfance et moi derrière avec ma tenue de cuisine. Tous, il revenaient d'égorger mais devant le logo deux arches et l'aire de jeu rouillée, les voilà mioches à nouveau. Tous. Des fois, il n'y a rien, rien du tout, alors ils prennent un gobelet d'eau chaude et ils restent des heures, qu'il pleuve ou qu'il vente. Et pourtant la toiture fuit. Et ils exigent d'avoir leur ticket de caisse. Tous. Parce qu'il y a le code pour la porte des toilettes. Il leur faut le code. Alors qu'il y a longtemps que la porte a été défoncée.
(Pause. Mon récit n'a pas l'air de l'émouvoir autant qu'escompté. Il a autre chose en tête.)
Il y en a aussi qui disent que c'est très bien, que c'est dans les guerres que reparaissent les hommes, les vrais, que c’est avec ça qu’on les fait, du fer et du foutre, et du sang et des outres, des outres qu’on crève et dont on embrasse la fente, ivre.
Au début nous étions tout excités, comme l'enfant. Enfin quelque chose qui se passait, vous vous rendez compte ! Puis il y a eu l’inquiétude. Vous savez, il y a bien longtemps qu'aucune camionnette de fournisseur n’ait été signalée dans le secteur. Pour l'instant je me débrouille, je pêche les quelques rats et serpents qui s'aventurent jusqu'ici mais si un jour le quartier est inondé, je ne sais pas. Et puis surtout, depuis que l'excitation des débuts est passée, c'est comme si tout était revenu au point de départ. On s'emmerde.
Pourquoi ne partez-vous pas ?
(C'est l'instant
que j'attendais depuis le début
Je vais être beau dans le couchant
pile la lumière pour sortir mon meilleur profil
et faire ce que je sais faire de mieux depuis le début de la crise
hausser les épaules en regardant au loin
des fois qu'il s' trouve quelque chose de vraiment classe énorme
et dire: )
Oh vous savez. J'ai toujours un contrat.
12:01 Publié dans Bouts de peau | Tags : fast-food, guerre, fin du monde | Lien permanent | Commentaires (0)
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