01/08/2014
Un été/un bobo
c'est rigolo la codéine
ce n'est pas que ça efface ça douleur
ça fait un nœud à la douleur et ça la pend bien haut avec les ustensiles de cuisine
on peut regarder la douleur
la tourner dans tous les sens
la mâchouiller la faire rebondir sur les murs
tester son élasticité
se faire des bracelets brésiliens
la coller à l'oreille et entendre la mer
c'est rigolo la douleur
avec
on a un corps
(il faut travailler assis
régler le siège légèrement trop bas
aimer d'amour l'ordinateur
dormir dans une mauvaise position
des fois
ça demande des mois de travail)
14:27 Publié dans Bouts de peau | Tags : été, bobo, la somatisation amusante, codéine, torticolis | Lien permanent | Commentaires (0)
28/07/2014
La boule que je contiens
la boule que je contiens est du même modèle que celles qui pendent aux grues sur les gros chantiers de démolition
elle est en train de bousiller mon quartier
bientôt je n'aurai dans le ventre qu'une esplanade avec espaces verts et emplacements de vélos
des familles d'architectes paysagistes s'y promèneront soulagées qu'on puisse laisser courir les enfants sans risque
moi j'aurai toujours mal au ventre
on a déjà délocalisé mes Roms et mes chômeurs
dans quelques jours il n'y aura plus que des fondations à vif
mais pour l'instant c'est cool les ouvriers sont en vacances ils ont laissé des chiottes de chantiers
pour l'instant on boit des bières d'épicerie on touche le RSA
et je souris mais
j'aimerais pouvoir te faire à manger
sans le goût de la boule qui rend métallique mêmes mes sauces les plus réussies
c'est mon ambition
c'est ce que je compte faire les dix prochaines années
la séparation de la boule est mon projet professionnel
et je le ferai
parce que je t'aime et parce que le goût de tes lèvres est comme notre vie dans notre quartier et ma sauce la plus réussie
bien meilleur sans la boule
24/07/2014
Ce que l'enquête a révélé
Il y a eu ce moment où l'assassin s'est laissé distraire.
Il a posé son bouquin, marqué la page avec le fil de la bouilloire électrique et il est allé à la fenêtre.
Il n'a rien vu à la fenêtre, à part les assistantes maternelles qui regardaient leur portable et les enfants qui s'amusaient à manger de la terre.
L'assassin s'est refait un café. Il a compté les cuillères, rempli le réservoir avec un grand verre en plastique. Puis il est allé se rasseoir, a roulé une cigarette et repris son bouquin là où il l'avait laissé — tout ça avec fluidité, sans trembler, avec ses mains à lui.
Comme si c'étaient les mains de tout le monde.
Comme si on pouvait toucher une cafetière, une boîte à sucre ou un livre comme ça, simplement, en toute impunité.
En sortant dans la rue il s'est mis à tituber. Il n'avait pas bu. Il avait de bonnes chaussures. Mais il s'est mis à tituber.
Il y a eu ce moment où l'assassin a pris peur.
Les gens marchaient. Il faisait beau. Les gens regardaient la transparence de l'air. Il y en avait même qui souriaient tout seuls.On aurait dit que l'air avait cessé de contenir le plomb et le monoxyde de carbone.
Ce n'était pas possible.
Il y a eu ce moment où l'assassin s'est demandé comment ces gens pouvaient penser à autre chose qu'à ça, rire et manger des glaces comme si ça n'était jamais arrivé, se tenir la main comme si ça ne devait recouvrir toutes les mains de la ville d'une pellicule visqueuse.
L'assassin a regardé ses mains. À cet instant, il était prêt à recommencer.
Un klaxon a résonné, un bruit de moteur beaucoup trop proche et le couteau de soleil d'un pare-choc chromé, la pensée de l'assassin s'est abolie le temps de se jeter sur le bas-côté.
La voiture a déboîté à 80 à l'heure.
Pendant une seconde, l'assassin a vécu la pure joie d'être toujours vivant.
Pendant cette seconde il a vécu exactement comme si ça n'avait pas existé.
Et puis un soleil pesant des tonnes lui a fait réaliser qu'on le voyait.
Et il a rentré la tête dans les épaules.
08:00 Publié dans Gueules de bois | Tags : l'assassin, il y a eu ce moment, la solitude la plus totale, les autres gens | Lien permanent | Commentaires (0)