01/10/2014
Cher Daniil Abramovitch Rozoumov
Cher Daniel Darc,
Tu m'excuseras de te refiler le nom que tu aurais porté si ton grand-père était resté en Russie, mais l'objet du présent article est justement de remettre les choses à leur place et d'en finir avec un malentendu que tu as toi-même contribué à créer.
Non, Daniel Abramovitch, tu n'es pas qu'une belle histoire pour critiques mythophiles. Tu n'es pas qu'une pop-star avec un pseudonyme un peu con qui a arrêté la came et trouvé Dieu.
Si j'étais capable d'efforts suivis, "arrêter la came et trouver Dieu" serait une rubrique à part de ce blog. Il y aurait des beaux portraits à faire : Cash, Cave, Zimmerman, etc. Mais tu es le seul qui t'en sois bien sorti*.
Reprenons : à vingt piges, tu avais tout — la notoriété, la thune, une image de fondu à cravate prêt à s'ouvrir une veine pour faire décoller un concert qui rame, et un succès éhonté avec des tubes du genre "Cherchez le garçon", tellement accrocheurs musicalement qu'ils en étaient presque putassiers, mais dont le romantisme crade des textes contredisait le son en plastoc dès que tu ouvrais la bouche.
À distance, et derrière les nappes de synthé, quelle est la différence entre une chanson de Taxi Girl et une daube de, mettons, Indochine ?
La réponse est du côté de la poésie, mon pote.
Car on le sait peu, mais de ton vivant, tu as publié une dizaine de bouquins, sans compter les ouvrages collectifs. Principalement de la poésie et des hommages à des écrivains et musiciens cramés des années 50. Tu as traduit Burroughs et Ferlinghetti (et les traductions de Ferlinghetti en français sont tellement rares que si j'avais été le CNL, je t'aurais filé une rente à vie).
En enregistrement, tu testais ton micro avec les premiers versets de Howl de Ginsberg. Quant à tes idoles rock, les Morrison, Lou Reed et autres Iggy Pop, ce sont tous de grands paroliers. Je ne suis pas loin de te considérer comme une sorte de Patty Smith à la française, et pourtant ton rapport au texte a été presque systématiquement occulté par les critiques.
Qu'est-ce que tu veux, un critique rock, c'est un peu con. Et un peu midinette. Et un peu trop amoureux des mythologies. Comme toi et moi, tu me diras. Mais eux n'ont pas d'excuse. Leur boulot nécessite quand même un minimum de recul. Et d'analyse, si ce n'est pas trop demander.
Or, ce qui fait l'intérêt de tes albums ant- et posthumes (surtout les derniers, de Crèvecœur à Chapelle sixteen), ce n'est ni "le chant du signe d'un désespéré flamboyant", ni "la lueur d'espoir d'un miraculé". C'est que tu y as renouvelé la chanson en créant un rapport inédit entre le texte et la musique que je qualifierai de poétique de l'inachèvement.
Je pense aux morceaux de prose, aux adaptations de psaumes, aux intermèdes scandés, à la voix d'Arletty, aux chutes de studio où tu cherches la bonne feuille, etc..., tout ce qui peut donner une idée approximative de ce que serait un album de poésie orale, bordélique, ouvert. Et toujours dans une contradiction féconde avec les productions léchées qui portent le tout.
Car il est là, le coup de génie : si tu avais fait ça sur du free jazz, ça aurait été parfaitement inécoutable. Là, avec les playbacks impeccables, l'impression de débordement des textes devient une force.
Thiéfaine avait fait quelque chose de comparable avec ses chœurs de gosses dans Dernières balises avant mutation. Nick Cave avec Grinderman I avait aussi cherché dans cette direction : déluge sonore, larsens et approche minimaliste dignes de Tupelo ou des éructations de The Birthday party, mais intégrés dans des chansons construites.
Cher Danilka (tu permets que je t'appelle Danilka ?), tu le sais, l'expérimental, plus ça "fait" expérimental, plus c'est convenu. Le bordel ne dit rien sur le bordel. De même que la maîtrise absolue ne dit rien sur rien. Et que la pure démarche conceptuelle est un vaccin universel contre le feeling.
Tu fais donc partie des mecs, avec Léotard, Bashung** et quelques autres, qui me redonnent foi en la poésie quand je me suis trop pris d'hommages à Bonnefoy ou Char dans le gueule en me baladant sur des site spécialisés.
C'est sans doute plus facile pour toi que pour moi, vu qu'on n'emmerde pas les chanteurs pop avec des interrogations à la con sur la modernité.
Ce que vous avez fait est une possible réponse à la question : comment rendre le chaos comestible ?
Je ne sait pas pour toi, mais moi, je ne connais pas de meilleure définition de l'art.
* Je ne sais pas si Nick Cave a repris la came, mais il semble qu'il avait un peu perdu Dieu quand il a sauvé le rock'n'roll avec le premier Grinderman.
** Collègue poète, réécoute L'Imprudence avant de hurler.
11:36 Publié dans Gueuloir, Musique | Tags : daniel darc, plus de russes, don pour l'admiration, arrêter la came et trouver dieu, thiéfaine, bashung, philippe léotard, nick cave, grinderman, patty smith | Lien permanent | Commentaires (0)
27/09/2014
Bergson
ma conception du temps
est toute relative
j'oscille
je dévisse
je culbute
entre le
merde déjà le 27 mon manuscrit s'est paumé quelque part
et le
ouf déjà le 27
encore un interdit bancaire que les Boches n'auront pas
et c'est comme ça tous les mois
merci Bergson
merci les sphères
merci le Big Bang
mais à un moment il va falloir ranger
08:00 Publié dans Bouts de peau | Tags : bergson, temps relatif, déjà le 27, la vie d'artiste | Lien permanent | Commentaires (1)
25/09/2014
Kate
j'ai horreur du name dropping
alors quelqu'un peut-il m'expliquer
ce que fout Kate Moss dans mon ordinateur
ce qu'elle a à mendier ma conjonctivite
avec son flacon
avec son bâton
comme si elle ne savait pas aussi bien que moi ce que je fous à cette heure-ci devant mon écran
Kate
écoute
dans quelle merde t'es-tu fourrée pour avoir besoin de vendre des aspirateurs
est-ce qu'on t'oblige désormais à payer tes lignes de coke
tu n'es pas encore vieille
tu n'es pas encore flasque
pour peu qu'il reste un photographe sachant manier un logiciel de retouche
ou que la dernière raclure britannique venue soit encore capable de croire que tu es vivante
et que c'est toi le rock'n'roll
non Kate
du moment qu'elle a un minimum de classe et une tête à chapeaux
rien n'est perdu
le monde est encore prêt à fantasmer sur la décadence
alors ne te frotte pas comme ça
je ne suis pas concerné
ce n'est pas mon métier
et d'abord qu'est-ce que tu sais de moi
je me brûle les yeux depuis ce matin 7 heures
et la poésie
ça contient des germes
des bactéries
tu ne devrais pas venir la renifler de si près
j'ai une femme
des enfants
un univers caricatural peuplé de clodos et de chamanes
qui sont souvent les mêmes personnes
alors retourne d'où tu viens
tu aurais vite fait de te retrouver changée en une pauvre gamine de la banlieue de Londres
vendue à l'étal depuis l'âge de 14 ans
avec des flashes au cul
des seaux à champagne
et l'obligation contractuelle de trouver ça merveilleux
16:00 Publié dans fins de séries | Tags : name dropping (horreur du), kate moss, pub, dior, poésie, vrp en aspirateurs & fournisseur de gaz | Lien permanent | Commentaires (0)