24/07/2014
Ce que l'enquête a révélé
Il y a eu ce moment où l'assassin s'est laissé distraire.
Il a posé son bouquin, marqué la page avec le fil de la bouilloire électrique et il est allé à la fenêtre.
Il n'a rien vu à la fenêtre, à part les assistantes maternelles qui regardaient leur portable et les enfants qui s'amusaient à manger de la terre.
L'assassin s'est refait un café. Il a compté les cuillères, rempli le réservoir avec un grand verre en plastique. Puis il est allé se rasseoir, a roulé une cigarette et repris son bouquin là où il l'avait laissé — tout ça avec fluidité, sans trembler, avec ses mains à lui.
Comme si c'étaient les mains de tout le monde.
Comme si on pouvait toucher une cafetière, une boîte à sucre ou un livre comme ça, simplement, en toute impunité.
En sortant dans la rue il s'est mis à tituber. Il n'avait pas bu. Il avait de bonnes chaussures. Mais il s'est mis à tituber.
Il y a eu ce moment où l'assassin a pris peur.
Les gens marchaient. Il faisait beau. Les gens regardaient la transparence de l'air. Il y en avait même qui souriaient tout seuls.On aurait dit que l'air avait cessé de contenir le plomb et le monoxyde de carbone.
Ce n'était pas possible.
Il y a eu ce moment où l'assassin s'est demandé comment ces gens pouvaient penser à autre chose qu'à ça, rire et manger des glaces comme si ça n'était jamais arrivé, se tenir la main comme si ça ne devait recouvrir toutes les mains de la ville d'une pellicule visqueuse.
L'assassin a regardé ses mains. À cet instant, il était prêt à recommencer.
Un klaxon a résonné, un bruit de moteur beaucoup trop proche et le couteau de soleil d'un pare-choc chromé, la pensée de l'assassin s'est abolie le temps de se jeter sur le bas-côté.
La voiture a déboîté à 80 à l'heure.
Pendant une seconde, l'assassin a vécu la pure joie d'être toujours vivant.
Pendant cette seconde il a vécu exactement comme si ça n'avait pas existé.
Et puis un soleil pesant des tonnes lui a fait réaliser qu'on le voyait.
Et il a rentré la tête dans les épaules.
08:00 Publié dans Gueules de bois | Tags : l'assassin, il y a eu ce moment, la solitude la plus totale, les autres gens | Lien permanent | Commentaires (0)