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08/05/2014

Paco

 

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Les synapses de Francisco Sanchez Gomez sont des êtres vivants.

Je le dis, parce que je n'ai vu figurer cette information dans aucune nécro.

Et pourtant c'est évident. Je le sais depuis longtemps. Depuis que j'ai l'âge de jouer No woman no cry à la guitare. Et j'ai remarqué ça sans être un aficionado du flamenco, ni même un mec que le flamenco intéresse plus d'une heure par an.

Vous me direz : cet homme a révolutionné le flamenco avant l'âge de vingt ans. Vous ajouterez : seulement on s'en fout, du flamenco. Et je serai bien de votre avis.

Mais on ne se fout pas des synapses de Francisco Sanchez Gomez.

Les synapses de Francisco Sanchez Gomez ont une histoire. Les synapses de Francisco Sanchez Gomez ont leur sensibilité. Les synapses de Francisco - et puis merde - Paco de Lucia ont, elle aussi, leur dignité d'être n'ayant pas demandé à vivre, et essayant d'exister en détruisant le moins possible autour d'elles.

Je parle des synapses à mains. Des synapses à guitaristes, de ces synapses qui président aux gammes chromatiques et aux modes espagnols.

Il fallait douze heures de travail par jour à Paco rien que pour garder le niveau, disait-on. Douze heures par jour pour que ça soit facile. Et spontané. Et naturel. Ou tout ce qu'on voudra. Duende.

Des synapses d'une sensibilité pareille ne se mènent pas au fouet. Il fallait du doigté, du tact et une patience infinie. Elles devaient connaître les tourments des génies, la peur de l'incompréhension, le trac, la terreur de décevoir après avoir été au sommet, peut-être des caprices de diva.

Maintenant qu'il est mort, qui va leur apporter cette tendresse d'apiculteur ?

Y a-t-il dans les espaces intermédiaires un service de retraitement des synapses guettant l'éclosion des guitaristes prodiges ?

Y a-t-il une métempsychose pour les transmetteurs neuronaux ?

 

07/04/2014

Métempsy & toutes ces choses

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LUI : Bonjour, je voudrais refaire ma carte de bibliothèque, s'il vous plaît.

MOI : Bien sûr, asseyez-vous. Vous auriez une pièce d'identité ?

LUI : Voilà.

MOI : Merci. (Pause) Dites... Vous êtes vraiment né le 7 avril 1968 ?

LUI : Oui, pourquoi ?

MOI : ... ça alors... formidable... ça, j'avais jamais vu...

LUI : Qu'est-ce qu'il y a de si...

MOI : Mais vous ne vous rendez pas compte ! Vous êtes sûrement la réincarnation de la guenon de Léo Ferré !

LUI : Comment ça ?

MOI : Vous connaissez Ferré ?

LUI : Oui.

MOI : Vous aimez ?

LUI : Oui.

MOI : Alors écoutez. (Là je lui chante LA PLUS BELLE CHANSON D'AMOUR JAMAIS ÉCRITE SUR UN CHIMPANZÉ)

LUI (A la fin de la chanson) : Ça alors. J'aurais pas cru...

MOI : Ben oui, ça alors.

LUI : C'est dingue.

MOI : Ben oui, c'est dingue.

 

15/10/2013

Untermensch

 

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Cher Friedrich,

C'est aujourd'hui ton 169ème anniversaire. Encore une occasion débile de me retourner sur la vieille adolescence que je me traîne comme un parachute troué.

Ça fait longtemps que je ne t'ai pas lu, à ma grande honte. J'ai dû passer trop de temps à nettoyer des sols et à briquer des casseroles. Mais j'ai de beaux restes.

Ah, le surhomme, celui qui dit oui à la vie, Dionysos, l'ivresse... J'ai toujours aimé ta verve, ton aplomb à être lyrique à une époque où on commence à se rendre compte que ça ne rapporte pas beaucoup d'argent - sauf, parfois, aux marchants d'armes. Oui, Friedrich, peu de conneries ont autant d'amplitude que la tienne. 

Tu as raison, sur le fond. On est en train de s'éteindre. On n'a même plus l'ambition de se survivre soi-même, et ça nous attaque les poumons, le foie, la conscience pour les plus chanceux.

Ça te fait marrer ? Tant mieux pour toi. N'empêche que tu ne m'ôteras pas de l'idée que c'est facile pour toi.

Tu ne sauras jamais à quel point tu as eu de la chance d'être mort en 1900, mon Fred. Tu n'as jamais participé à un génocide. Tu n'as pas eu à fermer les yeux sur deux mille petits génocides banals juste parce que c'est la coutume de glisser QUAND MÊME un bulletin dans une urne. Tu n'as même pas eu à connaître une époque motorisée où on ne trouve même plus d'humanité dans l'étreinte d'un cheval...

Quant à la pauvreté relative que tu as pu connaître vers la fin de ta vie, la maladie, l'effondrement de l'intelligence, quoi de plus simple, pour toi ? Le tragique t'était naturel. Ça faisait des générations qu'on était habitué chez toi à appeler Dieu par son petit nom. Fils de pasteur, petit-fils de parsteur, arrière-arrière petit fils, etc, de pasteurs, pur produit de la pensée religieuse la plus proche du néant.

Même l'outrageux recyclage nazi de ton oeuvre par ta petite soeur n'était pas une vraie menace - au plus, c'était une occasion de survivre et d'enflammer les débats. Et, sans que rien de ce que tu as écrit le justifie, te projeter dans une immensité de plus - celle de l'horreur pour le coup, mais qu'à cela ne tienne. Toi, tant que c'est énorme, ça te convient.

Bien, bien. Il est juste que le vingtième siècle commence au moment où tu te tais définitivement, et où tu laisses les exégètes et les idéologues jouer avec tes ambiguités pour faire exploser les quelques bouts de certitudes qui restaient du monde, à l'époque où il existait - en laissant à peu près comme seul espoir à l'humanité de pouvoir s'oublier un peu le samedi soir à la tequila et à la grosse house.

Oui, sur l'esprit de la danse comme sur le reste, tu avais raison : ça n'a pas de sens. Ça n'a pas de sens, mais ça aime quand même encore se bouger le popotin au Macumba. Et tant pis pour la gueule de bois.

Si tu nous voyais, maintenant, tu serais horrifié. On aime notre confort. On aime avoir un toit sur la tête quand on dors, on aime avoir l'estomac assez calé pour laisser nos cerveaux divaguer un peu après le travail. Accessoirement, on aime ne pas voir crever nos gosses de faim et de froid, et si c'est au prix d'un certain réalisme qu'on arrive à se dégager le temps et la liberté d'esprit de vivre et de lire un peu, et pourquoi pas tes livres, c'est assez bon pour nous.  

Il s'en est passé tellement ces 113 dernières années. On nous a menti sur l'ambition. On nous a tellement donné de l'Übermensch pour nous faire courir, sauter, pencher en avant et tousser trois fois, nous épuiser à ressembler au plus médiocre de nos petits chefs 25 heures par jour, tout ça pour une bagnole et une piscine, qu'on a fini par comprendre : si nous ne prenons pas notre part de bonheur, d'autres le feront et pour un usage discutable.

Parce que des aristocrates, des vrais, dénués de mollesse et de compassion, on en connaît beaucoup, et, crois-moi sur parole, ils ne te ressemblent en rien. D'ailleurs, ceux-là ne lisent pas tes livres.

Voilà ce que je voulais te dire.

Maintenant, je ne renierai jamais la passion avec laquelle je t'ai découvert il y a dix ans. Simplement, si je t'aime toujours, ce n'est pas vraiment pour le fond de ta pensée. C'est parce que, toujours, tu es resté un poète. Et avec un putain de flow encore.

Bisou,

Ton

Dernier homme