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02/11/2014

Pour une débénabarisation du quotidien

Cher monde cruel,

 

Tu peux constater, si tu jette un coup d'œil sur ta droite, qu'une nouvelle catégorie vient d'apparaître sur ce blog. Elle s'intitule :

POUR UNE DÉBÉNABARISATION DU QUOTIDIEN.

Cela mérite quelques explications.

Il y a quelques jours, j'étais accoudé au comptoir d'un lieu qui s'appelle le Périscope, et qui est ce qu'on a trouvé de mieux pour écouter de la poésie. Je buvais une bière avec deux mecs de ma générations. Je te laisser cliquer dans les liens que tu vois sur ta droite, sous les catégories, et essayer de deviner de qui je parle. Et on agitait une question d'importance : comment intégrer la notion de mouche-bébé dans la poésie contemporaine ? Et sans faire du Bénabar ?

Pas par rejet de principe de l'individu qui se fait appeler Bénabar, note bien. Il y a quelques très bonnes chansons sur son premier album : je me souviens d'une en particulier, une histoire de taré amoureux d'une majorette dans un contexte de fanfare de village dans le Nord*. Mais pour l'essentiel, ce monsieur s'est fait connaître pour des textes dont la portée spirituelle revenait à dire que l'enjeu du XXIè siècle résidait dans le choix de la couleur d'une bibliothèque Billy. 

Or, quand Bénabar chante le monde Ikea, c'est comme quand Houellebecq réduit le sens de l'histoire contemporaine au tourisme en Asie du sud-est : c'est terriblement réducteur.

Certes, beaucoup d'entre nous sont concernés par l'ameublement suédois, et certes, des retraités bourrés aux as vont se faire tripoter les bourrelets à Bangkok.

Mais dans les labyrinthes géants que ces putains de grands blonds foutent dans leurs magasins comme derrière le sourire impassible des masseuses thaïes, il passe chaque jour des drames, des tragédies, des vaudevilles, des décisions irrévocables et des rêves.

Note bien que je ne prétends pas à l'originalité. Il y a toujours eu des artistes pour plonger dans un tas de factures et de chaussettes sales pour en sortir de l'or. Quand HFT chante que "ça sent la vieille guenille et l'épicier cafard dans ce chagrin des glandes qu'on appelle l'amour"**, ce n'est pas moi de quotidien qu'il s'agit que quand le précité Bénabar propose à sa moitié d'annuler un dîner pour se vautrer devant TF1. Mais ça me semble plus riche. En tout cas, moi, ça m'aide incomparablement plus à vivre.

Donc, je me lance. Je vais procéder sous formes de liste, par sous une forme brève que dans un recueil encore inédit j'ai appelé la connerie (et dont on reparlera dans quelques mois si tout se passe bien). 

Et ça ira où ça voudra aller.

À demain.

 

 

*Je ne crois pas que le Nord soit cité dans la chanson, mais si je voulais trouver des tarés ET des majorettes pour mon 11 novembre, c'est quand même là que j'irais.

**Je ne précise pas d'où sort cette citation, exprès. Cherche. Et si tu es obligé d'écouter tout Thiéfaine pour trouver, tu me remercieras.

 

 

20/05/2013

Cher Michel Thomas

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Cher Michel Thomas,

Quand je t'ai aperçu le mois dernier sur la couverture d'un magazine culturel au-dessus de tout soupçon d'un point de vue purement postmoderniste, je t'avoue que ma première réflexion a été celle-ci : " Tiens, ils ont déterré la momie de Burroughs. Elle va moins bien qu'avant... " 

Et puis j'ai compris que c'était de toi qu'il s'agissait. Un choc.

Jusque là, j'avais entretenu une relation tellement ambivalente et compliquée avec ton oeuvre, faite de haine et d'intérêt malsain, qu'il semble incroyable que tu ne sois pas ma ville natale. On disait que tu étais un poète, le dernier à la fin du millénaire à enfiler les syllabes en comptant sur tes doigts pour arriver à huit à tomber à plat de rime en fin de vers. Ce n'était pas vraiment bon. Ce n'était pas vraiment sincère. Ça sentait le cahier d'écolier et la posture dix-neuvièmiste réchauffée au micro-ondes. Pourquoi j'aimais ça ? J'ignore si je pourrai un jour répondre à cette question, ni si c'est vraiment souhaitable. Disons que j'étais trop jeune. À cet âge on a besoins de repères.

Et quel autre repère aurais-je pu voir à l'époque? Tu bouchais le paysage. Tu t'étais fait un nouveau nom, visible comme un zona au milieu de la figure, avec des C et des Q entrechoqués au mépris de nos respirations difficiles. Un nom facile à référencer, des années avant la généralisation d'internet. Un nom qui allait bien avec ta voix traînante, tes yeux mornes-whisky et ta manière particulière de tenir ta cigarette, entre majeur et annulaire. Tout en toi était si furieusement marketing, que pendant dix ans, on n'a vu que toi sur les étalages, dans les rayons, aux pages de pubs des pires émissions de variétés... 

Et il y avait tes romans. Tes romans, parlons-en : tellement intelligents, tes romans. Tellement structurés par l'esprit de synthèse, que le monde visible - pas que ton monde, le nôtre aussi, par contrecoup - s'était brusquement réduit aux dimensions de tes poignées d'amour pâlottes.

Nous étions tous devenus des cadres moyens en manque affectif.

Sale période de ma vie : c'est difficile de vivre en cadre moyen blasé quand on culmine à 800 euros par mois. Et c'est difficile de croire en la vie comme un parc d'attraction sous la pluie quand on connaît la joie intense de fumer des clopes illicites au soleil, près du broyeur à cartons d'une usine agroalimentaire. J'ai même failli arrêter d'écrire.

Et voilà que tu reviens à la poésie. Si on était face à face, j'en rougirais probablement, mais là, dans le secret confessionnel de ce blog, je peux l'avouer : ça m'a remonté le moral. Pas que la vue de ta maigreur soudaine m'ait contrarié outre mesure - les grands hommes, ça meurt, c'est même comme ça que ça se solidifie. Mais enfin, depuis le temps, obliger les critiques littéraires parisiens les plus branchouilles à lire et à chroniquer du vers, et même pas du vers libre, c'est déjà un spectacle qui vaut son prix en papier.

J'ai longuement hésité avant de me procurer ton recueil. Beaucoup de tes collègues méritaient davantage que je consacre mes maigres deniers à leurs droits d'auteurs anorexique. Des VRAIS poètes, pour certains. Et des romanciers de bonne foi. Et des nouvellistes soucieux d'un minimum de forme.

Je n'y ai pas tenu. J'ai fini par céder. Mieux que ça : je l'ai ouvert, ton recueil.

Et c'est là que le miracle s'est produit : en quatorze ans, tu n'as pas progressé d'une époque ou d'un traité de versification. Ce sont toujours les mêmes octosyllabes poisseux et les mêmes rimes de dictionnaire. Le contenu non plus n'a pas changé. Refus du mystère. Morne sexualité. Prosodie digne d'un guide de montage IKEA. Bref, une poésie réconfortante comme un sex-shop en face du cimetière.

Qu'est-ce que tu y auras gagné ? Pas d'argent, certes. Ni de gloire. Mais peut-être, à l'approche du dernier rivage, un petit rab d'adolescence.

Je te comprends.

Moi aussi, je me ferai baptiser sur mon lit de mort.