19/10/2019
Jean-Claude requiem III
Et vous savez le pire ? Ce n’est pas si grave. Ou alors chaque homme que nous croisons, chaque femme, chaque élément du mobilier urbain tenant la main devant les bureaux de tabac vendant au black de la bonne conscience de qualité standard, chaque amibe, chaque larve, chaque corbeau, chaque boulette de papier aurait un droit imprescriptible au centre de nos préoccupations, à notre attention, à nos insomnies.
Ce serait épuisant. Dieu merci les corbeaux qui tiennent leur spot rue Léon Jouhaux et place des Martyrs de la Résistance se démerdent très bien avec nos restes, sans qu’on y fasse trop gaffe.
Il y en a qui ont essayé, pourtant : Jésus, le prince Mychkine, un paquet de saints connus ou inconnus de par le monde et la littérature. Ceux-là ont très mal fini, les Évangiles et Dostoïevski sont là pour nous le rappeler. Club des 27, club des 33 : Jean-Claude est mort à cinquante-et-un ans. Je ne sais pas si ces chiffres ont un sens en numérologie médiévale, mais je sais que qui aime chaque homme chaque femme chaque corbeau chaque amibe ne manque pas de provoquer des catastrophes qu’aucun manuel en coréen n’aurait pu prévoir.
Faites comme nous : aimez tout le monde en une seule fois. Faites un pack.
Nous faisons notre boulot par vocation et nous le faisons aussi bien que nous le pouvons, mais nous ne sommes pas saints, parce que saint ou héros ou prix Nobel de la paix ou Gandhi ou Jean-Claude, il faut bien qu’il reste des témoins vivants, après.
06:01 Publié dans fins de séries, Jean-Claude | Tags : jean-claude, corbeaux, témoins | Lien permanent | Commentaires (0)
18/10/2019
Jean-Claude requiem II
Depuis la mort de Jean-Claude quelque chose de bizarre qui flotte dans l’atmosphère au boulot.
Collectivement : quelque chose a été modifié dans la consistance du réel (l’image est d’un pote à moi : initiales SS, rien à voir avec des options politiques).
Il ne s’agit pas d’un trou ou d’un manque, tout au contraire c’est comme si une chose qui n’avait jamais cessé d’être là, était toujours là. Collée aux murs – dans les bouts de mousse qui dépassent des faux plafonds – au sein des tuyauteries à vif – sur le quai de déchargement – loge des gardiens aussi, partout, à l’exception des salles destinées à recevoir le public.
Ce qui signifie que cette chose n’a rien à voir avec les extincteurs.
Jean-Claude : le gars qui avait préparé son fantôme de son vivant.
Raison de notre sidération. Collectivement : j’ai vérifié, ça fait une semaine maintenant et j’ai posé la question à une bonne quinzaine de collègues. Jean-Claude faisait partie de la vie de chacun de nous. Il est mort sans le savoir. Peut-être même qu’il est mort de ne pas le savoir. Ce qui nous met, les deux cents à deux cent cinquante que nous sommes en permanence, plus les anciens mutés dans des annexes, puis les retraitées et retraités, plus les morts et les mortes, plus les vacataires jamais rappelés, les trois ou quatre directeurs et les conservateurs d’État en détachement, - vingt-sept ans de boîte font du monde – au premier rang des assassins.
10:33 Publié dans fins de séries, Jean-Claude | Tags : jean-claude, assassins, fantôme | Lien permanent | Commentaires (0)
17/10/2019
Jean-Claude requiem
Chacun a un Jean-Claude quelque part.
Celui-ci on le connaît, on en a parlé.
Jean-Claude est celui qui hante :
Celui qu’on n’a pas entendu venir.
Quelles que fussent notre hâte et notre anxiété
Jean-Claude était là à notre arrivée.
A partir d’un certain nombre
Ça devient très compliqué de calculer les dates
A partir des directeurs qui vont qui viennent.
Mieux vaut et de beaucoup calculer en Jean-Claude –
1996 : année de la sciatique.
2002 : tendinite et lumbago au second tour.
2013 : 4000 euros sur un bourrin et voyage en Autriche.
À partir de 2017 les veines qui gonflent. Les eaux n’exsudent plus.
Jean-Claude, c’est-à-dire : le sous-sol. Les coulisses. Le service technique.
Jean-Claude : la silhouette. La bizarre voix traînante et les tournures un peu précieuses.
Jean-Claude c’est-à-dire le transpalette, compacter les cartons. Vider les caisses pour le pilon.
Jean-Claude, la peine. Et sa mère. Et le souffle. Ces putains d’assureurs privés.
Chacun a un Jean-Claude qui meurt quelque part
Pour un péché un peu minable
Dont on n’a même pas eu conscience –
Ce n’est que tard, bien plus tard,
Tout vieux tout flétris
Que nous ouvrons un œil pendant la sieste
Et nous frappons le front – Ah mais ouais ! C’était ça ?
– Rien que ça ? Quand même…
– Bah si. Ça a pu jouer.
Avant de nous rendormir.
Un Jean-Claude meurt.
Ailleurs – mais seulement si infiniment d’amour,
Seulement si infiniment de patience et de respect des procédures,
Un Enzo naît.
On appelle ça la chaîne du vivant.
Oui mais.
Sommes-nous sûrs de la dire assez ?
07:00 Publié dans fins de séries, Jean-Claude | Lien permanent | Commentaires (0)