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03/12/2012

Fauteuil

la plus belle chose que j'aie vue à la BM de L... cette semaine

avait dans les quatre-vingt-sept ans selon le calendrier

en vigueur

& dormait sur un des sofas rouges qu'on trouve entre les BD & les revues

 quelques journaux éparpillés autour des pieds

 

dormir sur les sofa rouges du département Littératures

c'est traditionnellement le travail des clodos ici

pas celui des retraitées bon teint tavelures

et permanente façon caniche


sa bouche était ouverte

paisible

 

immobilité poitrine

cassure si naturelle du poignet immobilisée au-dessus du dernier journal

immobilité de la bouche ouverte

à gober le secteur Littératures et nous avec

mais ne le faisant pas

si c'est ça le bouddhisme

j'en veux bien un chez moi

 

autour d'elle on lisait les journaux

on cherchait une référence

on s'activait

on faisait la queue pour les ordinateurs


je ne pouvais m'empêcher d'aller voir et revoir ce bloc d'éternité

ce sommeil plus sûr que les murs de la bibliothèque

plus sûr que tous les livres

plus sûr que le fonds ancien

...

à bien scruter l'immobilité de la poitrine

je me suis demandé si

mais

c'était tellement parfait

je ne l'ai dit à personne

 

02/12/2012

Nourriture intellectuelle

Aujourd'hui

j'ai fait quelque chose d'extraordinaire

&

je suis peut-être le premier

j'ai fait

de la présence réelle avec

une métaphore éculée


j'ai 

acheté un recueil de poèmes 

avec des tickets-resto

je jure 

que c'est vrai



01/12/2012

Peau de langue

Je n'aurais jamais pensé en arriver là, mais l'autre jour, un ami à moi m'a envoyé un mail qui contenait ces substances :

" De manière générale je crois que ça tient à ma défiance envers la poésie, que j'explique un peu même si c'est rapidement et sur un mode farcesque dans le texte que je t'avais envoyé sur la poésie emmerde le peuple. 
[...]
Je reste donc attiré par le genre de choses qu'elle représente ou plutôt qu'elle permet mais ça m'emmerde qu'elle soit à ce point pour peu de monde. 
C'est-à-dire que je me pose toujours le problème du rapport entre le bon peuple et la poésie. "

Bonne question, Sam. 

Il faudrait quand même remarquer que ce que nous faisons, nous, comme sport, avant de tomber raides dans le domaine public, c'est rien d'autre que de l'autodéfense en climat lexical hostile. Et ça, le bon peuple, ça le concerne tout entier.

Celui qui ne sait pas tout le boulot qu'il faut, et tous les cendriers, et toutes les nuits blanches et toute la calvitie pour approcher ne serait-ce qu'un peu la spontanéité, celui-là, il n'a jamais écrit de sa vie.

L'homme naît vieux. Il a cette particularité. Il a l'âge de la vieille civilisation d'occase qui l'a engendrée, et, avant d'avoir évacué toutes les carcasses de son cerveau, qui sont des carcasses de pensée mais surtout des carcasses de mots, il est incapable de se faire une époque à lui.

Si je dis :

" Les politiques publiques de développement culturel doivent être menées en partenariat avec les acteurs locaux dans un but d'intégration de l'action sur le territoire ",

j'ai usé plein de peaux de langue.

Si je dis :

" Mon coeur en toi se repaît d'âme et flotte dans la rose autant que dans la femme ", 

j'ai aussi usé plein de peaux de langues.

Dans les deux cas, j'ai dit la même chose.

J'ai dit :

" J'accepte. J'accepte vos peaux de langues à vous, ou votre cuir, ou votre corne, enfin quelque chose de bien épais. J'accepte de ne pas exister ".

Or, nous sommes quelques-uns à être trop grandes gueules pour accepter ça.

Nous n'avons pas inventé la poudre.

Nous n'avons pas inventé la bombe à neutrons.

Nous n'avons même pas inventé l'épître dédicatoire en alexandrins dédiée à notre conseiller Pôle Emploi.

Mais si nous nous n'étions pas là pour dire ce que c'est que la poudre, en 2012, et la bombe, et la lèche, c'est la poudre, la bombe et la lèche qui parleraient à notre place.

D'ailleurs, c'est ce qu'elles font. Et elles savent les mots qu'il faut éviter, elles. Elles ne se posent pas de questions d'humanité.

C'est la raison pour laquelle, en poésie, comme dans toutes les disciplines qui brassent un peu de sens, un peu de tripe, un peu de morale, il faut, tous les trente ans, répéter ce qui a déjà été dit, avec un peu moins de mots que la dernière fois.