09/05/2017
Gratos XV
Les structures sociales de mon binôme sont à nu, à force d'encaisser les sables et les caillasses.
Et je mourrai ici.
C'est écrit en toutes lettres, dans son corps, dans sa démarche de cow-boy biker ayant connu l'époque où on emballait dans les balochess.
Dans la vibration fessière du camion, je me cogne à cette évidence et ne rends aucun son :
en tant que poète de la réalité, ma poésie est faite pour les binômes.
Les binômes ne lisent pas de poésie.
Et pourtant c'est pour eux, pour les faire advenir dans la réalité vraie et non poétique, que s'écrit la poésie des poètes de la réalité.
Pour les odeurs corporelles, les supermarchés, la campagne moche.
Et pour la journée qui avance. Pour en faire quelque chose de vivable. Ça fait plus d'un mois maintenant.
JE N'Y ARRIVE PAS.
JE SUIS BLOQUÉ.
C'EST LA FRIGIDITÉ CRÉATIVE DE LA JOURNÉE SANS ESPOIR.
*
Ce n'est pas l'âme du poète qui déteste à présent - c'est le corps du poète.
Une détestation qui est une détestation d'animal : la sueur – au stade intermédiaire de la sueur qui est la sueur entre la sueur des travailleurs et la sueur des vieux.
Quoi qu'il dise maintenant, les mots qui sortiront de sa bouche auront la même odeur.
Peu à peu, la cabine du camion est saturée.
Je ne suffoque pas. Je ne suis pas du genre à suffoquer pour si peu.
Je hume je déteste. Je ricane et je me tais. Puis j'enfouis mon appendice dans ma main ouverte. Ça sent le tabac. Je pense à la beauté.
…
Eux. Leurs couleurs. Leurs écailles. Et surtout, les jeux de lumière sur.
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Longtemps j'ai cru que la beauté se nichait seulement dans l'œil de l'homme qui regarde. Et j'ai maudit ces quantités et quantités de beauté perdue du fond des océans, des jungles, des replis des intestins, cette beauté inaccessible, perdue pour tout le monde.
Et puis j'ai compris. Binôme ou pas, on se la pète toujours à tort d'être homme. Pas un poissecaille tapi dans la barrière de corail un bout de surfer entre les lèvres qui ne comprenne pas cette chose, la beauté. Il s'agit de dimorphisme sexuel. Il en va de la reproduction sexuée.
En tant que poète de la réalité, je suis pour la reproduction sexuée.
...
Un cahot me réveille.
Maintenant c'est mon binôme qui agite ses mâchoires comme un poisson hors de l'eau. Je ricane à nouveau. Je n'ai pas mis le son mais je sais qu'il vient de me servir une de ses brillantes analyses politiques sur les chômeurs volontaires.
L'air de rien, comme si nous n'étions pas dans la même cage et que ce n'était pas un miracle qu'on ne se soit pas encore écharpés.
À cette minute, l'odeur est sans équivoque : notre guerre civile.
Mais on ne cause pas de binômes, dès lors.
On parle de hamsters.
06:20 Publié dans Bouts de peau, Gratos, Tourisme | Tags : binôme, beauté, reproduction sexuée | Lien permanent | Commentaires (0)
02/04/2016
Nous, président (extrait #2)
Faut gérer l'économie
faut gérer la beauté
faut que tout soit fait
avec la même indifférence
le même pragmatisme
faut s'assurer que l'action soit suivie
avec assez de méthode
pour qu'elle soit reproductible quels que soient les milieux naturels et les forces en présence.
Dès le lendemain quelle que soit la cuisine
dès le lendemain 6h30
mais avec assez de mobilité pour arriver à en être
un peu surpris quand même ―
il faudrait trouver un type assez élastique
pour défiler avec un masque de moi sur le visage
et un masque de toi et un du petit et un du chat
et comme ça tous les 14 juillet
et que ça fasse vrai.
Il faudrait un type assez solide pour assumer
les soirs où on est trop fatigués pour baiser
et les séries à finir avant de les rendre à la bibliothèque
et les heures de sommeil qui rétrécissent
le temps pas plus solide pour autant.
Il faudrait un mec assez consciencieux
pour ne pas éluder le vrai problème.
Là-haut ils ont dû lui faire une note de synthèse
il sait que je regarde des défilés militaires russes sur internet
que tu as ce problème avec le monstre du dimanche soir
et là il ne s'agit pas d'économie
il s'agit de fantasme.
Il faudrait un président
des petits soldats et des visions nocturnes
un
médicament pour la vie — et si ce n'est pas possible
un
traitement du symptôme — et si ce n'est pas possible
un
patch anti-cauchemars
quelque chose ou quelqu'un qu'on puisse se coller contre la poitrine
là où ça fait
vide
et qu'on puisse le faire collectivement.
07:58 Publié dans fins de séries | Tags : nous, prédident, défilés militaires, économie, beauté, extrait d'un travail en cours | Lien permanent | Commentaires (0)
13/07/2014
Le type que je cherche
il est exactement de l'autre côté de la terre
en Nouvelle-Zélande ou quelque part dans l'océan
il agite ses palmes et ressort son tuba exactement toutes les cinquante-trois secondes
le type que je cherche
et comme ça en économisant son souffle il peut tenir des heures entières
dans cette beauté qui n'est ni la terre ni exactement autre chose
et qui annule d'avance tout ce qu'on voudrait essayer de dire sur son compte
les filles au collège disaient que chacun de nous a sept sosies dans le monde
mais ce n'est pas ça que je veux
le type que je cherche ne me ressemble pas
et de toute façon qu'est-ce qu'on aurait fait des six autres
les filles disaient aussi qu'on n'a qu'une âme sœur et qu'on avait
un bol pas permis si on mettait la main dessus
mais ce n'est pas ça non plus
ce que le type a à me dire n'a rien avoir avec
le fait de s'endormir entre deux seins odorants
une nuit parfaite après une éjaculation parfaite
la terre est ronde disaient encore les filles du collège
elle fait dans les 40 000 km de circonférence
ce sont des faits
pour le reste
comment le type que je cherche
pourrait-il me dire les mots dont j'ai besoin
avec un tuba dans la bouche et tant de beauté muette autour des reins
08:30 Publié dans Bouts de peau | Tags : le type que je cherche, nouvelle-zélande, 40000 kilomoères, sosies, âme-soeur, beauté | Lien permanent | Commentaires (0)