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03/06/2015

Thelonious

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 Photo : W Eugene Smith

 

 

En général ça commence bien.

Puis tes notes se maravent. Puis ton rythme a la goutte.

Toujours la sixte diminuée pour contrarier.

Paie ta montée chromatique.

Saigne des doigts et de la tête.

Ça bloque. Appelle la société.

Depuis ta botte, je pisse rose. C'est un rose doux et triste sous ses airs excentriques.

Exactement comme toi.

Et il collectionne les chapeaux. Exactement comme toi.

Mais depuis ton chapeau, j'ai pris de l'assise et de l'audace,

Et je déclare que ceux qui à cinquante ans n'ont pas tes rides sur le visage,

Gravées façon vinyle,

Et ton surpoids et ton tournis,

Ceux qui n'ont pas déjà bazardé quarante ans d'épargne

Pour des promesses en vrai vent,

Son mal barrés.

Mais on peut toujours se refaire.

Moi, par exemple, depuis toi,

Je déclare.  

Toujours toutes les conneries qui me passent par la tête — les premières

Étant les plus fraîches — les dernières, les plus électriques.

C'est pas un truc. C'est une éthique.

Quand tu joues,

Je pense des trucs sur la société.

Je pourrais sauver le monde.

Je pourrais expérimenter dans le suicide collectif.

Je pense tout et son contraire,

Mais j'en suis sûr : je pense.

C'est le moment où tu te lèves et te mets à tourner sur toi-même.

Paraît que tu fais flipper dans ces moments-là.

Moi je m'en fous.

Même si je sais qu'il faudra le payer de dix ans de silence,

Je danse.

 

23/05/2015

Baise de vieux couple

j'ai vu ce film — L'Exercice de l'Etat

c'est un film de Pierre Schoeller

avec Olivier Gourmet dans un premier rôle

ce qui n'est pas si fréquent

vous n'allez pas me contredire

Olivier Gourmet y joue un ministre des transports en train de devenir une bête politique froide et efficace

c'est à dire un type normal qui cherche à faire une carrière normale dans un milieu particulier

bref

le dernier type auquel je serais tenté de m'identifier

 

à un moment

on voit le ministre dans sa chambre

habillé comme pour aller serrer des mains à des émirs du pétrole

devant sa femme endormie

il se penche vers elle

bon anniversaire mon cœur à ce soir

avec la voix usée du type qui est déjà rentré au milieu de la nuit

on sent bien la fatigue le petit matin le manque de tout

et tout ce qui est en train de se déliter

et nous spectateurs sommes prêts à l'accepter

comme une convention réaliste du cinéma français

mais pas sa femme

elle fait cet effort magnifique

elle se révolte

contre le sommeil et la fatalité des agendas

elle se force

elle agrippe son costume de ministre

elle le tire vers elle

on sent qu'elle fait un effort

qu'elle s'extirpe d'un sommeil profond

mais elle le sait quand même parce qu'elle sait qu'elle ne le reverra qu'à la nuit tombée

et encore, si elle a le courage de l'attendre

alors elle le tire vers elle et colle sa bouche à la sielle

et lui tout indisponible qu'il est

se laisse attirer et coller

parce qu'il l'aime et qu'il veut faire exister cet amour même pour trente secondes

les mouvements sont rapides et efficaces

le crescendo calculé au millimètre

le plan est serré

on ne les voit qu'à partir de la poitrine

elle — en vieux T-shirt informe

lui — en costume de ministre

on devine qu'ils ont entrebâillé juste assez de vêtements pour que les sexes se rejoignent

mais les respirations s'accélèrent selon le plan prévu

et quand elle agrippe la tête du lit c'est déjà une victoire pour l'amour

ça dure moins d'une minute en tout mais ils jouissent à la même seconde

parce qu'ils sont un vieux couple

qu'ils se connaissent à fond

et que cette seconde est le seul espace où l'oubli et l'amour ont leur droit dans cette organisation de vie

et certes

le reste du film montrera le ministre faire une par une les choses désagréables qui feront de lui ce salopard avec une vraie stature politique

en trahissant son seul idéal et son seul ami

mais cet amour

à cette seconde

aura existé

et je ne crois pas avoir vu

de scène de baise plus forte dans un film

 

21/05/2015

Mon coiffeur

mon

coiffeur aimerait bien que

je puisse terminer une phrase sans dire

pédé

ou

enculé

ou

Arabe Juif Tchétchène — mon

coiffeur

considère que

les mots ce ne sont pas que

les mots

ce sont

des serpillères à saloperies idéologiques

et qu'après

personne ne veut les essorer

(car personne n'aime avoir les doigts qui puent)

c'est trop facile de se laisser couler avec le climat d'une époque

c'est trop facile de faire résonner les mots de l'oppresseur

 

(il sait de quoi il parle

ce qui roule qui va vite et qui n'accroche pas mais en met plein la vue il connaît il a

été adepte du patin a roulette pendant des années)

 

si les mots devaient servir à des causes politiques

on leur offrirait un équipement paramilitaire ultramoderne

on les enverrait survivre dans des conditions extrêmes et

on leur écrirait des chansons

 

ce n'est pas ce que dit mon coiffeur

ce n'est pas ce qui tombe à mes pieds en touffes brunes

 

ce qu'ils veut lui

c'est des mots-nourrissons qui considèrent le monde pour la première fois

avec un son tout neuf

 

je veux bien moi

et je veux bien qu'on cause de Suétone et de Charles Péguy alors que perdant deux kilos gagnant trois centimètres

je constate qu'il a raison

puisqu'il tient le rasoir et que j'ai les bras entravés sous leur espèce de blouse sans manches

 

le problème

c'est que tout le monde a raison

tout le monde a raison que c'en est épuisant

que c'en est contradictoire

que c'en est péremptoire

je veux bien faire plaisir à tout le monde mais faudra le rasoir

 

pourtant j'aime mon coiffeur

c'est mon meilleur ami

et se faire tripoter le cuir chevelu

reste un pur plaisir physique

sans désir ni regret