21/05/2015
Mon coiffeur
mon
coiffeur aimerait bien que
je puisse terminer une phrase sans dire
pédé
ou
enculé
ou
Arabe Juif Tchétchène — mon
coiffeur
considère que
les mots ce ne sont pas que
les mots
ce sont
des serpillères à saloperies idéologiques
et qu'après
personne ne veut les essorer
(car personne n'aime avoir les doigts qui puent)
c'est trop facile de se laisser couler avec le climat d'une époque
c'est trop facile de faire résonner les mots de l'oppresseur
(il sait de quoi il parle
ce qui roule qui va vite et qui n'accroche pas mais en met plein la vue il connaît il a
été adepte du patin a roulette pendant des années)
si les mots devaient servir à des causes politiques
on leur offrirait un équipement paramilitaire ultramoderne
on les enverrait survivre dans des conditions extrêmes et
on leur écrirait des chansons
ce n'est pas ce que dit mon coiffeur
ce n'est pas ce qui tombe à mes pieds en touffes brunes
ce qu'ils veut lui
c'est des mots-nourrissons qui considèrent le monde pour la première fois
avec un son tout neuf
je veux bien moi
et je veux bien qu'on cause de Suétone et de Charles Péguy alors que perdant deux kilos gagnant trois centimètres
je constate qu'il a raison
puisqu'il tient le rasoir et que j'ai les bras entravés sous leur espèce de blouse sans manches
le problème
c'est que tout le monde a raison
tout le monde a raison que c'en est épuisant
que c'en est contradictoire
que c'en est péremptoire
je veux bien faire plaisir à tout le monde mais faudra le rasoir
pourtant j'aime mon coiffeur
c'est mon meilleur ami
et se faire tripoter le cuir chevelu
reste un pur plaisir physique
sans désir ni regret
09:08 Publié dans Bouts de peau, fins de séries | Tags : mon coiffeur, littérature engagé, arabe pédé juif, mots-nourrissons | Lien permanent | Commentaires (3)