18/06/2017
Gratos XIX
j'aime beaucoup mes glaires
elles me permettent à tout moment
d'exprimer ce que j'ai au fond de moi
j'aime beaucoup mes cigarettes
elles donnent un petit goût à mes glaires
suave et caramélisé
les premiers jours je m'amuse beaucoup
je tripote de petits objets en plastique
je retourne de jolies boîtes en carton blanc
je fais passer des choses variées à travers mon conduit oral
j'inspire, je bloque ma respiration, je me rince la bouche
je surveille les dates.
le poème s'est écrit tout seul entre mes mains -
SOLUPRED 20mg Cpr eff F1/20)
Prendre 3 comprimés effervescents le matin, pendant 3 jours
Puis 2 comprimés effervescents le matin, pendant 3 jours
Puis STOP
PARACÉTAMOL * 1G ; VOIE ORALE ; CP (3 boîtes)
Prendre 1 comprimé le matin, le midi et le soir, pendant 6 jours
VENTOLINE 100μg Susp inh F1/200d ; VOIE INHALÉE SUSP P INHAL EN FL PRESS (1 boîte)
Prendre 2 doses le matin le midi et le soir, pendant 15 jours et 2 bouffées en cas de crise de toux (au maximum 16 bouffées par jour)
SERETIDE 250 μg SUSP P INHAL EN FL PRESS (1 boîte)
Prendre 1 dose le matin et le soir, pendant 1 mois bien se rincer la bouche après
ORELOX
...
HÉLICIDINE
...
FLUTICASONE FUROATE
...
j'aime beaucoup la Ventoline - l'ai-je dit ? -
elle permet une optimisation de la nicotine malgré la bronchite
donc : glaires
donc : caramel
suavité
l'Amour passe à côté de moi
et mon obésité devient toute relative
c'est à dire
mon ventre a dégonflé
je n'étais pas là quand c'est arrivé mais
c'est indéniable :
c'est comme si quelque chose
hors binôme - plateforme - tri - camion - Chérie FM - Arlette et son nouveau brushing - Julien Doré
quelque chose toxique et malveillant
m'avait tout simplement
quitté
l'Amour et moi
l'air ambiant est soudain redevenu désiré désirant
cette chose qu'on respire - et on vit
et malgré la jambe gonflée de sang que je traîne
comme un frigo à monter au cinquième étage
suivent
roses et solennels huit jours d'inactivité.
ce n'est que peu à peu
que commence l'érosion -
c'est d'abord ma cafetière qui lâche.
ma bonne, ma vieille cafetière programmable
qui me préparait si bien les chantier du matin.
elle gît, inerte, désincarnée
voyant allumé mais traîtreusement sur le lave-vaisselle :
elle donne l'heure
mais qu'ai-je à faire de l'heure.
les premiers temps, bien.
je fais comme si son handicap n'avait aucune importance pour moi
je lui verse l'eau bouillante manuellement dans le filtre
mais bientôt je n'arrive plus à faire comme si tout était normal
et bien que je me haïsse pour ça
je passe au café soluble.
très bien, dis-je. c'est comme au camping.
on serait comme en vacances, de roses solennelles vacances impromptues.
mais ensuite
c'est mon téléphone qui lâche.
magnifique, je dis.
qu'ai-je besoin d'amis et de coups de fil ?
l'artiste a besoin de son art.
l'artiste vit avec son outil, le cajole, dort avec,
l'aime et s'il peut en être aimé en retour
que les objets connectés se vérolent que l'air devienne irrespirable
il n'aura pour eux qu'un grand ricanement.
bien sûr tout cela se passe entre deux phases de somnolence
dans les remous d'un canapé qui commence grave à perdre sa mousse
j'écris une phrase
je m'assoupis
des rats me grignotent les pieds
mais je fais face
j'y retourne
je m'acharne.
ce n'est quand le disque dur de mon ordinateur décide d'en finir
que je commence à suspecter la vérité.
pas d'affolement je me dis.
nous sommes au XXIè siècle la hotline veille.
nous ne sommes plus au temps où les machines
sont de simples objets
sans âme et sans sensibilité
aujourd'hui c'est de vie qu'il s'agit
les grandes entreprises de la bulle informatique ont saisi
l'essence religieuse de la chose
des pleines lamasseries de techniciens en position du lotus
n'attendent que mon coup de fil
pour me porter une assistance
spirituelle.
(les trois jours suivants se passent au téléphone. cris d'enfants dans le fond, regard anxieux de l'Amour, qui les fait taire et les emmène au parc.)
un jour.
je diagnostique.
deux jours.
je sauve garde.
trois jours.
je reformate.
rien à faire.
la chose est inerte.
la chose est morte.
la chose est minérale.
il fait maintenant trente degrés à l'ombre.
c'est moi
qui pourris.
le quatrième jour je tente furieusement d'insérer ma jambe droite dans l'orifice idoine de mon short
quand l'Amour me prend par la main
(il semble que j'ai de la fièvre - mais à ce moment-là
je me vois comme de l'extérieur la feuille tremblante de haut
comme me verrait un aigle avec la dalle
si ce genre de bestioles existait dans le putain de septième arrondissement)
l'Amour dit tu sais je ne voulais pas le dire comme ça
mais tu commences à ressembler à un clodo
regarde ton short
il y a des trous là et là
regarde tes chaussures
ça fait deux mois que tu marches exclusivement avec ces chaussures de sécurité
PAS MA FAUTE J'EN AI PAS D'AUTRE je dis
exclusivement avec ces chaussures de sécurité défoncées et ternies
C'EST PAS DE LA DÉFONCE C'EST DE LA VIE JE CONNAIS L'ORIGINE DE CHACUNE DE CES ÉRAFLURES TIENS PAR EXEMPLE ÇA C'EST LE TRANSPALETTE QUI M'EST PASSÉ DESSUS LE 23
ces chaussures de sécurité défoncées et ternies qui t'alourdissent et te déforment la démarche elle dit
J'AI DES CHAUSSURES DE SÉCURITÉ CAR J'AI EMBRASSÉ LA SAINTE QUALITÉ DE PROLO
ou de clodo, elle dit
qu'est-ce que Marx disait sur le sous-prolétariat ?
je t'ai bien regardé tes pieds à dix heures dix
Charlot
c'est Charlot avec moi dans les rues de la vie mais sans la canne
sans le chapeau melon
c'est Charlot, elle dit, T-shirt informe short défoncé
le dos voûté la gueule tordue les jambes dans un angle non prévu par les fabricants
il faut que tu te refasses elle dit
c'est de ton corps qu'il s'agit
tout pourrit.
je serais prêt à faire n'importe quoi pour l'Amour
je serais prêt à aller faire des stocks
Decathlon, H&M, C&A
d'une carte bleue tremblante
je traîne ma jambe malade et j'y déploie
d'immaculés pantalons
je fais tout ce qui est en mon pouvoir
mais je mets le doigt dans un engrenage
et je ne sais où il me conduira
car si je commence par les fringues
si je réanime l'ordinateur
au moyen de quelque cérémonie mystérieuse
pourquoi pas le bilan sanguin
pourquoi pas le dentiste, pour les plombages tombés en 2012
et le podologue - pour le cor, la corne plantée dans mon pied droit
qui me donne cette démarche si caractéristique
pourquoi pas la literie
OR j'ai appris il y a peu
que mes arrêts-maladie intégrés dans une société libre, sociale, démocratique, aisée
me donnent droit à un délai de carence de
(TROIS JOURS) = 150 balles
IL M'APPARAÎT soudain
qu'après une décennie de recherches
j'ai enfin trouvé LE boulot libre, social, démocratique, aisé,
alliant parfaitement le manque de temps
au manque d'argent.
08:51 Publié dans fins de séries, Gratos | Tags : magie noire, tout pourrit, charlot, ordonnance bronchite | Lien permanent | Commentaires (0)
31/05/2017
Gratos XVIII
Un jour, je fais un rêve.
Je marche dans la rue.
Je vais au boulot.
Grands cheveux bruns sur gilet orange à bandes réfléchissantes, pantalon à larges poches comme le mien, sécus, râteau municipal, rue du Lac, une fille se retourne.
Espèce de bâtard dit-elle espèce de lâche c'est pas en restant à faire suer ta viande dans l'urne de ton lit que tu feras barrage à l'extrême droite.
Elle me crache à la gueule.
Un gros mollard bien gras, élastique, roboratif.
Je continue mon chemin.
Un type à tête d'enclume mallette en cuir à la main se retourne à son tour et comme il dit.
Salaud, ordure, planqué, ça te fait rire ? Ça te fait rire de voter pour toujours les mêmes distributeurs automatiques, creusant ainsi creusant encore le lit du fascisme ???
Il me crache à la gueule.
Un mollard mélancolique, en mineur, qui ne manque pas de suavité.
Puis c'est une cycliste en k-way Lafuma, lunettes octogonales à montures violette, timide, à frange et sans gluten.
Et la prostitution ? Qu'est-ce que tu dis de la prostitution ? Et des abattoirs ? Et des passages à tabac ? Et des vitriolages de femmes ?
Elle crache un mollard ambivalent, mi-humide mi-venteux, typique des printemps pourris.
Je me réveille en sursaut.
Je suis en retard je saute dans ma cafetière je fume mes chaussures de sécu je mange mon sac
et j'arrive pour
EN RAISON D'UNE PANNE DE COURANT LA BIBLIOTHÈQUE FERMERA CES PORTES CE JOUR
MERCI DE VOTRE COMPRÉHENSION
C'est Jean-Louis au poste de garde qui m'explique.
Un machin a fait pssshhhit un truc a fait cric et puis tout a claqué.
Les lampes des salles ouvertes au public et les ampoules des distributeurs de boissons.
Là les types de la maintenance sont dessus, Pierrot et Mario, Serge et Jean-Claude.
Enfin Serge et Jean-Claude, regardent.
Mais au service technique, ça fonctionne.
Je peux donc.
J'y vais donc.
Je trie.
Au bout d'un moment, l'oiseau mort d'un détail cogne contre le double-vitrage de ma conscience.
Mon binôme.
Mon binôme n'est pas là.
Enfin mon binôme fut là mais en coup de vent disparut dans le bureau d'Orlando notre chef et ça parle.
Mais son odeur emplit la salle de tri, hésitante,
odeur de bégaiement, odeur de petit rire de nez.
C'est encore Jean-Louis au poste de garde qui m'explique.
Tout à l'heure une femme de ménage noire comme il en existe dans
toutes les institutions culturelles et sociales promouvant le partage et l'intégration a voulu prendre l'ascenseur.
C'est là que ça a fait pssshhhit.
Mon binôme était monté avec elle.
La verte lueur du bouton d'appel d'urgence devait avoir quelque chose de sexuel.
Devait.
Hormonalement.
Pulsionnellement.
Telluriquement.
La pauvre fille a vu soudain fondre sur sa bouche deux lèvres bleues tandis que deux bras noueux enserraient sa taille et qu'une spongieuse poitrine à T-shirt Roland Garros 1995 se pressait sur ses seins,
avec sueur limite travailleur/vieux agrémentée d'haleine quenelle de la veille/filet de maquereau/café du matin.
La poitrine, c'est Jean-Louis qui la suppose.
Il ne voit pas comment il n'y aurait pas pu avoir poitrine pressée aux seins.
Et sans doute dans le faisceau du bouton d'appel il y eut rangée de dents calcaires, onctueusement jaunes.
Bref la fille s'est débattu a crié a pleuré et tout s'est arrêté là.
Sur mon binôme se confondant en excuses.
Voilà ce qui s'est passé.
Voilà ce qui a heurté la réalité réelle de la femme de ménage noire en faction ce jour-là.
Mais pas mon binôme.
Mon binôme, lui, depuis les années 70 a simplement fait l'aumône à une subordonnée de couleur d'un élan de sa virilité.
C'est ça qu'il se tue à expliquer à Roland notre chef.
Ainsi Jean-Pierre Marielle dans son temps flatta des croupes de secrétaire à l'heure du whisky.
Ainsi Jean Yanne.
Et ainsi Jean Rochefort.
Et ils disaient C'est bien mon petit.
Et on leur répondait d'un petit rire cristallin.
On leur disait Oh vous alors.
Et il n'y avait pas d'agression alors.
Il y avait de la simplicité.
Il y avait les années 70.
Du désir désirant n'ayant pas honte de désirer.
06:30 Publié dans fins de séries, Gratos | Tags : gratos, panne, ascenseur, jean-pierre marielle | Lien permanent | Commentaires (0)
19/05/2017
Gratos XVII
Adrien Dubosc.
Alexandre Naussac.
Elio Canestri.
Tanguy Gicquel.
Eddy Aubert.
Mathieu Schiller.
Alexandre Rassiga.
Stéphane Berhamel.
La jeune Sarah.
Fabien, 40 ans.
Eric Dargent.
Olivier Shorebreak.
Victimes de la beauté.
Le mercredi 14 décembre 2016, dans un centre commercial de Givors (69), le binôme de mon binôme fait un accident vasculaire cérébral.
Ce sont des choses qui arrivent.
Que sais-je de lui ?
Qu'il se tapait des boîtes de cassoulet de 800g deux fois par jour.
Qu'il jouait du piano et qu'il avait une tendance à la mélancolie congénitale, entretenue fidèlement par une tendance des femmes de sa vie à se casser subitement ne laissant derrière elles qu'un demi-bâton de rouge à lèvres et une assignation du juge des familles.
Que la dernière, avant de partir, a eu l'élégance d'appeler le Samu dès l'apparition du rictus caractéristique, et de lui éviter l'hémiplégie.
Elle a été aide-soignante.
Pour le reste, il n'est plus qu'un nom dans une liste, une épine pour secrétaire administrative, un chemin de croix de la DGRH pour rédiger mes contrats, une cause majeure de la déforestation à destination de la fabrication de feuilles de soin.
Et il ne répond pas aux textos.
Mon binôme ne comprend pas. Ni Jérôme, ni Brahim, ni Jean-Claude.
Et je reste comme suspendu ; son absence enkystée, son casier au vestiaire scellé, et moi, le pied dans le vide, ne sachant trop à quel point il me faut exister.
Un mauvais rhume surfant dans mes conduits.
Se diffuse mollement, descend dans la gorge, anoblit les bronches, pétille au larynx.
Les glaires que je crache toute la journée prennent un goût sucré et jouent leur gamme chromatique comme à la roulette.
J'ai des assoupissements.
C'est de la boue. Il est toujours six heures du soir et quelque chose nage à côté.
Puis je me réveille.
Puis : le docteur me donne un visa pour deux jours au pays des merveilles.
Deux jours de brouillard et de lit à confondre les draps avec les kleenex avec les ordonnances.
Je reviens. J'encaisse la tournée de 7 heures avec une fin de batterie. Aller, je chante. Retour, mes vêtements affalés sur le tableau de bord avec presque pas moi dedans.
Danse le quai de déchargement.
Et.
Le mercredi 13 avril 2017, le binôme de mon binôme (moi) met le pied entre le quai et la plateforme du monte-charges.
Je termine la journée malgré l'hématome qui s'arrime du fessier au genou.
Toute la cuisse gauche.
Gonflée d'un sang noir.
Mais ça, je ne le saurai que le lendemain, dans un cabinet médical bien connu.
En attendant je trier, écharpe et passe-montagne.
Je ne produis pas d'autre son qu'un claquement de dents retors qui épouse les rythmes de la radio.
Chérie FM.
MFM.
Julien Doré.
Et la pub. Même la pub.
Mon binôme ne s'en fait pas.
Ça fait trois semaines que je n'ai pas ouvert la bouche.
Il ne s'en est pas rendu compte.
20:30 Publié dans fins de séries, Gratos | Tags : gratos, le binôme de mon binôme, accident du travail | Lien permanent | Commentaires (0)