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17/01/2015

Pour une débénabarisation du quotidien 111/117

111) Il faut que je t'emmène mais il ne faut pas que je te casse. Il faut que ça défile mais il ne faut pas que je t'enrhume. Il faut que le paysage par la fenêtre ne soit qu'une traînée abstraite de prés de poteaux de vaches de maisons de garde-barrière mais il ne faut pas faire d'amalgame. Il faut que je sache, que je sois sûr, mais il ne faut pas que je sois injuste.

 

112) Je te tiens, tu me tiens. Bien. S'il n'y a qu'un parachute on tombera ensemble. C'est déjà ça.

 

113) Éteins cette télé, s'il te plaît. C'est notre ennemi.

 

114) Notre ennemi n'est pas notre ennemi par les idées qu'il véhicule. Ce ne sont pas les rires enregistrés qui rongent nos cerveaux. Et mes reins. Et tes seins. C'est son flamboiement. Les ondes de lumière. Les vibration. Le feu est dans la grotte, et nous, homo sapiens, trop contents mais trop faux-culs, trop contents d'avoir exterminé le dernier terroriste néandertalien mais trop faux-culs pour reconnaître que c'est le sens de l'extermination qui nous fait hommes, nous sommes tout au feu, tout à la vibration, tout à l'ennemi, serrés les uns contre les autres. C'est le rite, et l'attention qu'elle nous suce. L'hypnotisme. Ce bouillon d'endorphines. Auprès de toi, ma belle, je me suis habitué à être ce corps compliqué avec son système neuronal de récompense. Que ce soit plein d'endorphines et qu'on appelle ça l'amour. Que ce soit ce canapé, ces odeurs, et cette certitude que ce coup-ci on ne nous enlèvera pas le monde autour.

 

115) Enlève-moi cette certitude. Elle me fait grossir.

 

116) TENIR. Se réveiller avec cette voix. Tu t'es endormie tout de suite et je t'entends ronfler et mon rêve le plus fou c'est soulager ma vessie et bouger ma jambe gauche. J'ai une crampe. Mais là est l'espoir, ma belle. Ce film est incompréhensible. Il n'a pas de morale pas de projet de vie. Il n'a qu'un murmure.

 

117) Silencio, ma belle.

 

Vous avez raté l'épisode précédent ? Il est ici, chez Manu Campo.

12/01/2015

Pour une débénabarisation du quotidien 101/105

101) Génial le Poême ne sait plus dans quelle direction aller. Il improvisera, comme d'habitude.

 

102) Le réveil est toujours un moment piégé. Le réveil modifie le réel. Parfois c'est plus léger. C'est même pour ça qu'on s'en sert si souvent. Aujourd'hui tout pèse des milliards de tonnes. Il faut faire un pas plus un pas plus un pas. Aller à la cuisine.

 

103) Aujourd'hui il ne fallait pas allumer la radio. Il le savait, il l'a fait, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même.

 

104) La radio a quelques problèmes avec la notion de genre. Elle ne sait pas si elle fait de la poésie de la science-fiction ou de l'épique macabre. C'est très dangereux, une radio. Et c'est la même éclaboussure de marc de café dans la même poubelle trop pleine. C'est la même nausée, comme si tout était normal.

 

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(pas encore morts. Pas tout à fait, pas tous, pas comme ça. Les nouvelles la proximité des tirs les hélicos de l'armée. Un jour plus un jour plus une         pause)

 

105) Aujourd'hui il est l'homme qui a rêvé qu'il descendait les poubelles et qui s'aperçoit au réveil que tout est à refaire.

 

L'épisode précédent ici, toujours chez Manu Campo.

 

14/12/2014

Pour une débénabarisation du quotidien 93/99 *

93) Ce qu'aimerait ma connerie pour noël c'est une tranchée et un bel uniforme. Ce qu'aimerait ma connerie pour s'incarner c'est autre chose que Génial le Poète. Quelque chose comme ma boue, par exemple. Mes rats. Ma censure officielle. Mon quart de gnôle et mon moral des troupes. Ma connerie aimerait te confectionner de jolies cendriers avec des culs d'obus de 75, mon amour. Te réclamer toujours, toujours plus de lettres. Te promettre une permission pour dans six mois et la perdre dans un accès de furie meurtrière. Alors passer noël en première ligne, dans la disciplinaire, s'offrir un œil de Boche dans le fond d'une cuillère et vers minuit aller jusqu'à s'avouer qu'elle est tout de même bien contente de ne pas s'être fait chier à chercher une nuisette à ta taille dans des magasins bonder.

 

94) Le lendemain tout redeviendrait crade. Désespéré. Monde en peau de monde. Ma connerie t'écrirait deux lettres : une pour t'agonir d'injures, te dire sale traînée qui n'es pas morte de tristesse. L'autre pour s'aplatir en repentir.

 

95) C'est beau comme elle sait jouer de l'autoflagellation, ma connerie. C'est beau comme elle sait me transformer en petite flaque tremblante. As-tu vu les étoiles à ma surface irisée ? As-tu vu le cosmos danser ? C'est tout l'univers qui est là. IL y a César. Il y a Borgia. Et Roosevelt. Et mon extinction de voix. Et les jouets de la nature sauvage. Et le linge sale, tout le tas. Et ma honte.

Et toi.

 

96) Mais dans l'ensemble on serait essentiellement masturbatoires dans nos lettres, moi et ma connerie. On détaillerait sur des pages et des pages les parties de ton corps, même celles qui n'existent pas encore, même celles qui ne sont sur aucune carte. Puis on se ferait des scénarios dignes des pornos des années 70, l'époque où tout était moins lisse. On s'exciterait comme ça, pour la pure joie de se consumer froid, pour l'explosion de la fusée au décollage. Puis on s'ingénierait à imaginer les regards des planqués, chefs de bureaux, chefs d'entreprises, anciens combattants, pieds-plats, réformés des poumons mais sûrement pas de la bite, de tous les salauds restés à l'arrière, de leur regards que tu voudras bien s'il-te-plaît reproduire sur tes parties non cartographiées précitées en te faisant aider d'un adulte. 

 

97) (Et dans le for intérieur des tréfonds de nos archives secrètes là où seuls lisent toi Dieu et tous les préposés à la censure de l'administration militaire, on les saurait, ces planqués, capables de te faire accepter de faire ça, comme ça, à cet endroit-là et dans cette position. Et c'est ça qu'on te cracherait à la gueule, mon amour. Tu y penserais chaque fois que tu croiserais un mec en uniforme, chaque fois que quelque chose te rappellerait moi et ma connerie. Et tu nous haïrais, et tu ne pourrais plus voir une enveloppe avec cachet de l'armée sans un haut-le-cœur. Tu aurais la phobie des boîtes aux lettres et des facteurs, et de cette haine, et de cette peur, tu t'en voudrais, parce que nous sommes au front, moi et ma connerie. Mais justement, cette culpabilité était ce que nous cherchions. Et tu n'aurais pas le droit de nous en vouloir. C'est la guerre qui nous a fait ça. Et la nature sauvage. Et la poésie.)

 

98) En se réveillant, Génial le Poème n'a toujours pas fait la guerre mais il a une intuition bizarre. 

Il n'y a pas longtemps, il a lu un article sur internet qui parlait d'un nom de domaine peu connu mais toujours en usage : . SU     c'est à dire SOVIET UNION, un nom de domaine créé juste avant l'effritement du bloc soviétique, et désormais laissé à l'abandon, aux nostalgiques du goulag, aux néonazis de tous les pays unis, aux mafieux de tous ordres et aux illuminés en cyrillique ou autre.

Génial le Poème a été très content sur l'instant.

C'était chouette de savoir qu'on pouvait en un clic acheter des esclaves nucléaires ou des têtes sexuelles même quand on n'avait ni les moyens ni la place dans son salon. Mais peu à peu une idée s'est fait jour en lui, qui l'a amusé, diverti, intéressé, poussé dans les retranchements de ses certitudes, et, bientôt, obsédé.

Et maintenant, il a un doute.

Il n'est pas impossible que tous les rêves tous les fantasmes et tous les souvenirs vécus au jour le jour par les grandes fatigues se soient agglomérés ici.

Que la pensée produise une sorte d'énergie qui, par frottement, par vibration, soit capable de produire des caillots.

Que ces caillots se soient mis à tournoyer sur eux-mêmes, toujours en augmentant, toujours en se cherchant des semblables, au point qu'il qu'il suffise qu'une caissière s'imagine une seconde sur une plage nudiste avec Georges Clooney pour donner naissance à un nouvel astre - forcément monstrueux, forcément inavouable.

Il n'est pas impossible qu'internet serve aussi à ça. Je veux dire, à libérer de la pure énergie fantasmatique dans des univers parallèles, pour survivre. Et alors, se dit Génial le Poème, que serait un nom de domaine en .su sinon l'immense décharge à rêves d'une humanité au bout du rouleau ?

 

99) Génial le Poème a très envie d'ajouter un rêve à la Grande Décharge. Au lieu de ça, il descend les poubelles.

 

 

 

 

* Eh oui ! Les numéros 83 à 92 sont chez Emanuel Campo.