14/12/2014
Pour une débénabarisation du quotidien 93/99 *
93) Ce qu'aimerait ma connerie pour noël c'est une tranchée et un bel uniforme. Ce qu'aimerait ma connerie pour s'incarner c'est autre chose que Génial le Poète. Quelque chose comme ma boue, par exemple. Mes rats. Ma censure officielle. Mon quart de gnôle et mon moral des troupes. Ma connerie aimerait te confectionner de jolies cendriers avec des culs d'obus de 75, mon amour. Te réclamer toujours, toujours plus de lettres. Te promettre une permission pour dans six mois et la perdre dans un accès de furie meurtrière. Alors passer noël en première ligne, dans la disciplinaire, s'offrir un œil de Boche dans le fond d'une cuillère et vers minuit aller jusqu'à s'avouer qu'elle est tout de même bien contente de ne pas s'être fait chier à chercher une nuisette à ta taille dans des magasins bonder.
94) Le lendemain tout redeviendrait crade. Désespéré. Monde en peau de monde. Ma connerie t'écrirait deux lettres : une pour t'agonir d'injures, te dire sale traînée qui n'es pas morte de tristesse. L'autre pour s'aplatir en repentir.
95) C'est beau comme elle sait jouer de l'autoflagellation, ma connerie. C'est beau comme elle sait me transformer en petite flaque tremblante. As-tu vu les étoiles à ma surface irisée ? As-tu vu le cosmos danser ? C'est tout l'univers qui est là. IL y a César. Il y a Borgia. Et Roosevelt. Et mon extinction de voix. Et les jouets de la nature sauvage. Et le linge sale, tout le tas. Et ma honte.
Et toi.
96) Mais dans l'ensemble on serait essentiellement masturbatoires dans nos lettres, moi et ma connerie. On détaillerait sur des pages et des pages les parties de ton corps, même celles qui n'existent pas encore, même celles qui ne sont sur aucune carte. Puis on se ferait des scénarios dignes des pornos des années 70, l'époque où tout était moins lisse. On s'exciterait comme ça, pour la pure joie de se consumer froid, pour l'explosion de la fusée au décollage. Puis on s'ingénierait à imaginer les regards des planqués, chefs de bureaux, chefs d'entreprises, anciens combattants, pieds-plats, réformés des poumons mais sûrement pas de la bite, de tous les salauds restés à l'arrière, de leur regards que tu voudras bien s'il-te-plaît reproduire sur tes parties non cartographiées précitées en te faisant aider d'un adulte.
97) (Et dans le for intérieur des tréfonds de nos archives secrètes là où seuls lisent toi Dieu et tous les préposés à la censure de l'administration militaire, on les saurait, ces planqués, capables de te faire accepter de faire ça, comme ça, à cet endroit-là et dans cette position. Et c'est ça qu'on te cracherait à la gueule, mon amour. Tu y penserais chaque fois que tu croiserais un mec en uniforme, chaque fois que quelque chose te rappellerait moi et ma connerie. Et tu nous haïrais, et tu ne pourrais plus voir une enveloppe avec cachet de l'armée sans un haut-le-cœur. Tu aurais la phobie des boîtes aux lettres et des facteurs, et de cette haine, et de cette peur, tu t'en voudrais, parce que nous sommes au front, moi et ma connerie. Mais justement, cette culpabilité était ce que nous cherchions. Et tu n'aurais pas le droit de nous en vouloir. C'est la guerre qui nous a fait ça. Et la nature sauvage. Et la poésie.)
98) En se réveillant, Génial le Poème n'a toujours pas fait la guerre mais il a une intuition bizarre.
Il n'y a pas longtemps, il a lu un article sur internet qui parlait d'un nom de domaine peu connu mais toujours en usage : . SU c'est à dire SOVIET UNION, un nom de domaine créé juste avant l'effritement du bloc soviétique, et désormais laissé à l'abandon, aux nostalgiques du goulag, aux néonazis de tous les pays unis, aux mafieux de tous ordres et aux illuminés en cyrillique ou autre.
Génial le Poème a été très content sur l'instant.
C'était chouette de savoir qu'on pouvait en un clic acheter des esclaves nucléaires ou des têtes sexuelles même quand on n'avait ni les moyens ni la place dans son salon. Mais peu à peu une idée s'est fait jour en lui, qui l'a amusé, diverti, intéressé, poussé dans les retranchements de ses certitudes, et, bientôt, obsédé.
Et maintenant, il a un doute.
Il n'est pas impossible que tous les rêves tous les fantasmes et tous les souvenirs vécus au jour le jour par les grandes fatigues se soient agglomérés ici.
Que la pensée produise une sorte d'énergie qui, par frottement, par vibration, soit capable de produire des caillots.
Que ces caillots se soient mis à tournoyer sur eux-mêmes, toujours en augmentant, toujours en se cherchant des semblables, au point qu'il qu'il suffise qu'une caissière s'imagine une seconde sur une plage nudiste avec Georges Clooney pour donner naissance à un nouvel astre - forcément monstrueux, forcément inavouable.
Il n'est pas impossible qu'internet serve aussi à ça. Je veux dire, à libérer de la pure énergie fantasmatique dans des univers parallèles, pour survivre. Et alors, se dit Génial le Poème, que serait un nom de domaine en .su sinon l'immense décharge à rêves d'une humanité au bout du rouleau ?
99) Génial le Poème a très envie d'ajouter un rêve à la Grande Décharge. Au lieu de ça, il descend les poubelles.
* Eh oui ! Les numéros 83 à 92 sont chez Emanuel Campo.
20:29 Publié dans Pour une débénabarisation du quotidien | Tags : débénabarisation du qutidien, emanuel campo, guerre de 14, tranchées, connerie, culpabilité, .su, où acheter de l'uranium, décharge à rêves, génial le poème | Lien permanent | Commentaires (0)
12/12/2013
Chatterton
Dans la vie à partir de maintenant ça sera comme ça, gamin :
Un poème, un carton, un poème, un carton, un poème...
Et à partir de maintenant je te préviens,
Je vais me mettre à te raconter mes guerres.
Tiens, passe-moi la lampe.
Comment, c'est ça que tu appelles emballer ?
Allons, passe-moi le journal, je vais te montrer.
Pis tu prendras ce que tu voudras, tu porteras le reste chez Cash Converters,
Et si c'est pas assez bon pour eux y a Emmaüs juste en face,
Ou, au pire, l'enfer de la Bibliothèque nationale...
Enfin tu verras.
C'est toi qui verras.
Tu feras ce que tu voudras.
Moi, non, ça me gênait pas que mon vieux ait fait ni les tranchées ni Dien Ben Phu ni 68.
Il me reste juste à retrouver le gendarme qui l'a giflé en 83.
Je lui fais le coup de l'accident de voiture,
Et ce sera tout bon pour moi.
On y bouchera 2-3 trous ils n'y verront que du feu à l'état des lieux.
Après, tu feras ce que tu voudras.
Enfin, tu verras.
Tiens, passe-moi le chatterton.
09:57 Publié dans Bouts de peau | Tags : chatterton, emballer, déménagement, dien ben phu, 68, tranchées, gendarme, cash converters, emmaüs, bnf | Lien permanent | Commentaires (0)