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01/07/2015

Pour une débénabarisation du quotidien (250-263)

Suite de la saga politico-diariste en duel avec Emanuel Campo. Épisode précédent ici.

 

250) Pour les siphons encrassés nous avons des produits. Pour les révolutions qui montent lentement le long de la colonne verticale, nous avons des produits. Pour les matins difficiles, nous avons des produits. Il suffit de demander. Il suffit d'acheter.

 

251) 7h30.

 

252) C'est ton organisme qu'il faut persuader qu'il a eu assez d'heures de sommeil. Il y a un effort rhétorique à faire. Les mots existent quelque part. Il suffit de chercher.

 

253) Mettons que l'enjeu de la poésie contemporaine soit une affaire de compléments alimentaires. Et alors ? Est-ce que la fédération a émis une liste de produits dopants interdits ?

 

254) Tout ça, l'alcool et les stéroïdes. Merde. Comme si de naissance on n'était pas tous accro à quelque chose. Je me lève et je fais les gestes, je reste sobre jusqu'à 11h-11h30. Et alors je sens violemment monter en moi le manque d'une assiette de macaronis. C'est impérieux et je pourrais vous clouer à la table à coups de fourchette pour ça.

 

255) ... votre programme de désintoxication, pour le macaroni ?

 

256) 14h.

 

257) Je flotte. Le collègues croient que puisque je suis devant mon ordinateur, que j'ai adopté la gueule du mec qui, je suis là, avec eux, en train de réinvestir en énergie l'argent du contribuable. En fait, je vogue.

 

258) Je suis installé sur un trône en sacs plastiques. Mes pieds sont maintenus à une hauteur idéale pour la circulation, sur des coussins en sacs plastiques. Je contemple la plage, satisfait. De là je vois débarquer l'un de mes équipages. On va compter le butin. Mais je prends mon temps. Ce n'est pas si facile d'arrimer un bateau à une crique en sacs plastiques.

 

259) Ce île en sacs plastiques, j'en suis le roi. J'ai été élu à l'unanimité et à main levé, seuls les vétérans amputés des deux mains ont demandé un recomptage des voix. De temps en temps, ils protestent encore. J'attends la révolution.

 

260) La révolution se produit à 18h55. Tous les jours. Dans tous les estomacs en même temps. Quelque chose éclate dans les têtes. Soudain il se produit une accélération et tout le monde est debout.

 

261) 18h59 : les derniers clients dérivent vers les caisses. Sur les retardataires il y aura carnage.

 

262) 19h01 : les estomacs se dénouent - on a trouvé une solution pacifique à la crise. Pour tous, c'est un soulagement. Marie-Pierre a un regard perdu. Je ricane, comme un gros phoque mongolien.

 

263) 19h05 : habillés, harnachés, prêts à rebrancher l'alarme. Et puis métro. Et puis soirée à occuper. Nouvelle crise de manque. Cette fois il faudra quelque chose de gras pour que ça passe. Les estomacs se nouent. Jusqu'à la prochaine révolution.

 

 

10/06/2015

Pour une débénabarisation du quotidien (227-237)

Nouvelle manche du Roland-Garros scripturaire avec Emanuel Campo. Service, jeu et set précédent ici. Ugh.

 

227) Faut que ça bouge. Faut que ça passe. Tes fils, le mien, nos femmes, toi moi, Kim Jong-un. Vecteurs et lieux passagers.

 

228) À quoi bon essayer d'accrocher au passage des livres, des phrases entendu, une image de minijupe. À quoi bon essayer le par cœur. Il y aura toujours plus de matière à l'entrée et à la sortie.

 

229) Maintenant on bricole dans l'abstrait, dans le cosmogonique. Tout là-haut tout là-haut il y a les sphaignes, les lichens et les enfants. Sur les trottoirs, nous qui essayons de nous souvenirs de comment c'était. Ayant perdu le sens du pur gonflage-dégonflage, quelque part, il y a quelques années, dans un accès d'hormones.

 

230) Il n'est pas tellement question que ça soit triste, ou qu'on en ressente une douleur physique. C'est notre sens du ridicule qui est en cause. Un jour on se rendra compte que nous portons des costumes et que nous employons des mots de grandes personnes. Comme ça, pour le jeu, pour voir si les autres y croient.

 

231) Évidemment que les autres y croient. Les autres sont comme nous dans leurs costumes dans leurs mots dans la conspiration internationale des gens qui font comme si. Ce à quoi ça tient s'appelle : la foi. Pour les récalcitrants il y a : l'asile psychiatrique.

 

232) Nos bras sont devenus flemmards et puis nous ne voulons plus rien toucher à cause des bactéries. Aussi, pour nos transvasements quotidiens nous avons inventé le métro.

 

233) La culture sauvage aime le métro. Surtout avoir sa place assise à elle toute seule ou tenir la barre. Et puis faire semblant de se faire chier comme tout le monde. Pour l'instant c'est la santé mentale : il y a jeu et conscience du jeu. Mais elle est sur la mauvaise pente.

 

234) Et moi je dis : C'est bien, c'est bien mon chéri.

 

235) Il y a une contradiction gênante à élever des gosses. On passe sa vie à dire C'est bien, c'est pas bien en parlant de choses qui n'ont rien à voir avec la morale. On inculque, on transvase. On a passé l'adolescence à tout remettre en question, on sait à présent ce qui est vraiment important et ce qui ne tient que de convenances arbitraires, mais voilà, mais voilà. C'est notre enfant. On n'a aucune envie que les autres se mettent à lui jeter des pierres.

 

236) D'un paquet d'atomes à un paquet d'atomes il y a transvasement d'amour. Qui ajoutera quelque chose de censé à cette constatation gagnera un médaille en chocolat.

 

237) (Un jour, je prendrai tous les présents de vérité générale du monde, et les miens en premier. Je les mettrai dans un grand sac. Et je prendrai un bateau. Oui. Un jour. Un bateau.)

 

07/03/2015

Pour une débénabarisation du quotidien 167-174

Suite du poésie-contest en temps réel et sous vos applaudissements avec Emanuel Campo. Livraison précédente ici

 

167) En 86 je transformais lentement ma propre nature sauvage en nébuleuse de culture sauvage. En 86 je n'avais rien à foutre du département 86, qui est la Vienne, qui est en Poitou-Charentes, et dont le chef-lieu est Poitiers. En 86 je n'avais même pas l'idée de bouter les Sarrasins hors du royaume des Francs. En 86 si je voyais un marteau, je m'en saisissais, je tapais, sur tout et n'importe quoi, sans distinction de race ni de religion. En 86 j'étais dans l'égalitarisme et je bavais beaucoup.

 

168) En 86 ma grande sœur me mettait dans ma poussette me poussait jusqu'au couloir et me balançait droit devant direction la porte des voisins. Je riais à m'en éclater les vaisseaux sanguins et j'écartais les jambes juste avant le choc. Ce fut mon expérience de la confiance totale. 

 

169) En 86 il n'y avait qu'aujourd'hui et la veille de demain et ça durait des siècles. Cela dit, j'étais déjà insomniaque. Trop de choses à faire, à voir, à mettre à la bouche. Mes parents payent encore leurs nuits sans sommeil à l'heure qu'il est. Mais ils étaient encore capables de se lever, de résister à la tentation de m'envoyer par la fenêtre et de retourner se coucher en évitant de voir ce que le mitterandisme était déjà devenu. Il n'y avait pas encore eu de chanteur ironiquement générationnel pour leur enfoncer le nez dans leur trivialité. Ils faisaient ce qu'ils pouvaient. Ils y croyaient.

 

170) 86 : De gueule au pâle ondé d'argent accompagné de cinq châteaux d'or maçonnés de sable et donjonnés de trois tourelle de même ordonnés en sautoir et brochés sur le tout. Voilà à peu près ce que je comprenais quand vous disiez devant moi autre chose que lait, rot, purée, caca, doudou, grande sœur.

 

171) Ton film continue. Ton acteur américain s'instille en moi doucement, gentiment, juste à côté de ma migraine et de mon année 86. Si tu savais combien de siècles elle a duré, cette année où je suis descendu de mon arbre, où j'ai découvert le feu, inventé des outils, commencé à enterrer mes morts, fait commerce ou la guerre ou les deux avec mes voisins, inscrit des stèles dans une langue réservée aux prêtres, sacrifié à des dieux rapidement passés de mode. Je me replonge dedans, et je me prends à rêver. Un long chant monte en moi. Quarante choristes en uniforme soviétique évoque la jeune fille simple sur son rivage, avec son aigle et les lettres de son héroïque fiancé. En 86, j'ai toujours l'espoir que ce soit lui, lui en particulier, qui s'occupe du cas de ton acteur américain dans une cave anonyme des faubourgs de Moscou, avec une fraise de dentiste, des cisailles, une faucille et un marteau.

 

172) Je sens ton corps opérer un déplacement presque imperceptible sur le canapé. Tu te grattes, une petite vague affleure à la surface du duvet vert qui nous recouvre. D'ici, je ne sais pas quelle partie de ton corps tu grattes, mais quelle qu'elle soit j'ai envie d'y porter les lèvres. Mais pour être tout à fait honnête, je t'aimerais avec moins d'anxiété si, une fois, juste une fois, ton acteur Américain en sortait sans nez ou les couilles en moins.

 

173) L'autre jour un copain à moi qui revenait de Russie m'annonce : Je sais que tu aimes la Russie et la guerre, j'ai un cadeau pour toi. Et il m'offre une demi-douzaine d'insignes de l'armée rouge, marine, aviation artillerie, danse cosaque, tout. J'ai de moins en moins de certitudes sur la notion de hasard.

 

174) Ô Katioucha ! Quand ton aimé reviendra de mes fantasmes, de ma migraine et de mon acteur américain, quand il se jettera sur toi puant la viande et la vodka, pense à ton amour, à ce à quoi il ressemblait quand tu le chantais seule sur la berge, même s'il est recouvert d'écailles et qu'il vomit des trucs vert fluo. Nous sommes en 1986 et ton amour s'en revient d'Ukraine. Mais je ne m'en fais pas : fatigue, nostalgie, sarrasins, acteurs américains pour salons de dimanche soir, le nuage, comme on dit, s'est arrêté à nos frontières.