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24/08/2020

Mon truc du moment

en ce moment mon gros truc au boulot consiste à insérer des blagues dans mon fichier Excel.

c'est un fichier Excel partagé : j'y renseigne des titres de guides de voyage

qui vous auraient indiqué un charmant petit bistrot à Kuala Lumpur

si vous étiez capable d'envoyer un avatar de vous en 2013 à Kuala Lumpur. 

j'y rentre tout ce que vous devez savoir : titre, ISBN, année de publication

avant d'envoyer le bouquin dans les grandes fabriques de PQ recyclé qui sont

le Paradis des bouquins - car en poésie on revient toujours aux choses fondamentales.

ma collègue et camarade m'a donné cette tâche et je l'accomplis de tout mon coeur toute mon âme -

le fichier Excel est partagé même s'il devient clair que la collègue et camarade me fait assez confiance

pour ne plus jamais avoir à y mettre jamais le nez

jamais le nez de son vivant

car ma collègue et camarade se bouffe assez de pixels comme ça c'est un fait. 

pourtant de tout mon coeur toute mon âme je continue à y insérer des blagues.

Dieu sait - s'il existe un dieu de la blague - si quelqu'un les lira un jour.

sans doute que non. sans doute suis-je et resterai à jamais unique émetteur-récepteur de ces blagues.

d'où la question : une blague est-elle une blague si l'émetteur et l'unique récepteur sont la même personne ? 

une blague existe-t-elle comme ça, en potentialité ? 

une blague existe-t-elle en-dehors du social ?

y a-t-il une énergie de la blague qui serait indépendante du contexte d'énonciation ? 

qui serait un peu comme l'énergie d'une prière qu'on se dit à voix basse rien que pour soi-même ? 

et par-là même y a-t-il un dieu de la blague ?

qui tient nos comptes à jour ?

nous les met de côté pour plus tard ? 

pour les périodes de disette humoristique de la vie ? 

pour les moments de grand stress partagé ? 

afin de nous absoudre un peu pour chaque moment où nous avons osé nous prendre au sérieux ? 

croire que les choses que nous faisions étaient des choses importantes ? 

et ce faisant je recommence à écrire des poèmes en forme de questions.

c'est pas très joli d'écrire des poèmes en forme de questions.

j'en suis conscient. ne croyez pas que je l'ignore. ne croyez pas que ça ne me pose pas de problème.

 

19/08/2020

Dards

Les guêpes remontent lentement la paroi de la bouteille en plastique. À ce stade elles ne sont plus la métaphore de quoi que ce soit - de temps en temps, l'une d'elles tente une sortie : quelque chose bloque, qu'elle ne comprend pas.

Elle refait un saut vers le bas, la surface sirupeuse, reprend quelques milligrammes de glucose, quelques forces, mais pourquoi faire ? Quelquefois une autre agonise, glucose et épuisement, cocktail impitoyable.

Les pattes prises dans des convulsions illisibles, elle fait circuler une onde de joie dans notre moelle épinière.

Nous - quatre adultes, autant d'enfants - soupçonnons, que ça nous vient d'une partie très ancienne du cerveau, tronc, hippocampe, qu'en savons-nous ? Personne n'a emporté une encyclopédie anatomique et ici ça ne capte pas.

Puis nous pensons à l'histoire du XXè siècle, à l'ébauche de XXIè, et nous nous demandons, vraiment, nous nous demandons.

 

06:43 Publié dans Exotisme | Lien permanent | Commentaires (0)

17/08/2020

Afriques

J'ai élevé cet enfant avec tout mon amour, mon temps, mon énergie.

Il n'a pas été très compliqué de le faire grandir dans un monde extraordinaire : au parc, par exemple, chaque fois que nous voyions une limace, je lui disais : girafe

"Ki'ya", il répondait. Et il était bien content.

Quand nous croisions une coquille d'escargot vide, séchée par le vent et le soleil, je disais : hippopotame.

Et pour un pinson qui nous survolait : crocodile.

"Coco'il", il répondait.

Et ainsi de suite. 

Au cours de nos voyages, il connut la gazelle, l'ibis idiot et hiératique, le zèbre. Il contourna le sourire des hyènes sans se faire remarquer, s'amusa du phacochère, faillit caresser le scorpion. Et il scruta les oiseaux charognards, qui sont partout ce qu'ils sont.

Ainsi fut-il habitué dès son plus jeune âge à survivre dans la rude savane - un jour, longtemps après, je lui apprendrais à appeler démocratie un consortium de lobbies financiers jouant aux marionnettes et liberté un grand choix de chili con carne dans un magasin de centre-ville.

En attendant, mon enseignement lui serait d'une utilité immédiate - entre les petits auxquels il se mélangeait au parc et la race fière et menaçante qu'il allait connaître à son entrée en maternelle, dans même pas deux mois, il aurait vite à apprendre à se débrouiller dans l'infinité sauvage.

 

06:25 Publié dans Exotisme | Lien permanent | Commentaires (0)