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27/02/2015

Fin de série 27/02/15

voilà

je suis l'homme devant le distributeur qui fouille dans les tréfonds du portefeuille

l'homme au rayon frais avec les aisselles moites

l'homme devant un bel étal de charcuterie qui se demande si l'incinération est la solution la plus propre

voilà

on est au XXIè siècle et je suis l'homme

qui vient de cramer ses meilleures heures de sommeil sur un courrier en accusé de réception

avec un poème coincé dans la gorge

un gramme de paracétamol

et une citation de Karl Marx

toujours la même depuis qu'on m'a offert le Manifeste du parti communiste en 1998 dans la traduction agréée par la IVè internationale

voilà

on trace les décennies en faisant crisser les pneus et je suis l'homme qui marche

qui regarde les mecs parler seuls dans la rue comme un Babibel regarde un roquefort

et leur colle des embrouilles avec Zeus et des passés de mercenaires au Soudan

parce que ce serait vraiment trop triste

je suis l'homme qui n'a pas fini de se faire du souci pour le trou au genou de son jean depuis trois jours que les collègue ne disent rien

je suis l'homme qui lit un livre sur les rapports de la culture et de la religion dans le métro en planquant sa couverture pour éviter les amalgames

qui reçoit sa première lettre d'insultes pour le zizi de Jésus

et qui s'use et qui s'use

à remontrer qui est le chef à une paire de chaussettes dépareillées

à un marc de café sauteur

à une vieille flemme d'après-midi

(mais traitez-moi encore d'acteur économique et vous verrez vous verrez)

voilà

la journée est presque passée et je suis l'homme qui a plus de gènes communs que prévu avec Neandertal

qui peine à redéfinir son identité dans un contexte de sécularisation athée

qui se pose des questions sur le monophysisme et sur la manière de faire pour que ce putain de siphon arrête de fuir

je suis l'homme

qui a envie d'aller te piquer quelques cellules mortes dans la balle à linge pour s'offrir un peu d'air frais mais qui se dit qu'il faudrait revoir l'instrumental et la traduction de Katioucha avant le cours de mercredi prochain

qui a des chantiers dans la tête et des promoteurs qui se barrent avec la caisse

qui n'a pas encore vu Twin peaks ni Six feet under mais qui ne désespère pas de l'accident du travail

........................................................................................................................................................................................................................................................

voilà

ça pourrait continuer longtemps comme ça

mais on est au XXIè siècle et pour l'instant je suis l'homme

que voilà

 

 


 

... et joyeux anniversaire à Yolande Moreau !

 

23/02/2015

Jamais de conneries

La première connerie qui te passera par la tête

sera la bonne, dit le sage.

C'est fou ce que je rencontre de sages dans la vie quotidienne.

Et ils ne disent jamais de conneries

ils ne disent jamais de conneries et je l'atteste

cachet de poste & intime conviction

puisque c'est ma tête

qui les secrète.

La première pensée à peu près articulée qui fera deux mètres sans se prendre les pieds dans le tapis sera avalisée,

dit le dingue.

Le dingue, je le secrète aussi, je le reconnais, je l'adoube,

mais lui, il n'a même pas besoin d'avoir une tête de vieux Chinois à momification anthume

ni de certificat d'hospitalisation ni de mot d'excuse de son addictologue pour que je le croie,

car il ajoute :

tant que tu arrives à tenir l'ironie facile et le mépris à distance raisonnable.

Je ne suis pas particulièrement doué pour la raison,

ni pour la distance.

Mais je travaille.

J'ai parfois du mal,

mais je travaille.

Parfois l'enculé sort de moi avec sa misanthropie et son attaché case,

et je m'en veux.

C'est les moments où j'ai l'impression de porter un costard en-dedans.

Et les mecs en costard me font peur.

Les mecs à attaché-case me font peur.

Les mecs costard-attaché-case qui ont le permis de conduire et une maison à la campagne me paniquent.

Mais j'ai le sage, mais j'ai le dingue.

Et je les serre contre moi.

Et ils me murmurent à l'oreille.

N'importe quelle connerie.

N'importe quelle connerie et je m'endors rassuré.

 

18/02/2015

Pour une débénabarisation du quotidien 136-142

Suite du feuilleton poético-collaboratif avec Emanuel Campo. Pour l'épisode précédent, c'est ici.

 

136) Ça caille. Ça caille et ça fait mal. Ça caille et ça fait mal et c'est sans illusions. Le froid c'est en métal. Les doigts y accrocheraient que ça les rendrait cassants comme des extrémités de lépreux en sucre. Du moins c'est ce qu'on dit. Et pour tout ça, j'ai quoi, une médaille ? En vraie morve séchée ? Vaut mieux faire comme si les passants les contrôleurs du métro les collègues de bureaux le voyaient pas. Tout. Tout sauf des regards entendus. J'ai repris du service.

 

137) En arrivant au MI6 j'ai mis ma carte dans le lecteur présenté ma rétine pour fond de l'œil vérifié mes empreintes digitales. M. m'a reçu avec un excellent cognac et m'a demandé si ça allait, si les rhumatismes s'atténuaient si j'étais encore prêt à sauver le monde. Une vieille blague entre M. et moi. Je me suis envoyé un martini-vodka et j'ai entamé les dossiers. Tentative de coup d'État au Burkina ? Je largue une bombe à hydrogène. Bouygues reconnaîtra les siens. Assaut des forces rebelles en Afghanistan ? J'arrive dissimulé sous une burka, j'arrose le marché au FAMAS et je règle leur compte aux derniers boss façon kung-fu. Quelques crypto-anarchistes fomentent une manif non autorisée sur le tracé du Lyon-Turin ? Je leur offre une immolation maison, malgré l'absence regrettable de la télé. Au retour M. m'offre un Perrier tranche et m'annonce que j'ai mis huit secondes de plus que la dernière fois. J'encaisse mais c'est toujours la médaille qui m'obsède. J'ai laissé ma veste à l'analyse. Je sais déjà ce que les experts vont dire.

 

138) Ce qu'il y a, ce que les experts de la balistique vont me confirmer, c'est que la Nature Sauvage n'est plus. Il a muté en une petite nébuleuse nerveuse de culture sauvage. Il me regarde, et déjà ce qu'il pige à tout ça ne m'échappe plus totalement. Ses mots ont cessé d'être des jouets de matière pure, uniques, sans objet. Ils ont commencé à se généraliser, ses mots. A s'amalgamer. A opérer des synthèses. Ils sont réutilisables à l'infini. Il me regarde, et il y a quelque chose de social dans sa nouvelle façon de faire le malin. Je connais ce regard. Je sais d'avance, et les experts de la balistique me l'ont confirmé, qu'à partir de maintenant et pendant un énorme paquet d'années sa vie va graviter autour de deux notions uniques :

EDUCATION SEXUELLE. DINOSAURES.

 

139) Le Tyrannosaurus Rex était un gros poulet avec des moignons de pattes pas encore transformées en ailes. Il est probable qu'en période de rut il était capable d'un COCORICO flamboyant. Le Tyrannosaurus Rex emmerde Steven Spielberg. Mais ce dernier ne s'en fait pas. Il sait (et les experts de la balistique n'en finissent pas de soupirer) que les enfants sont plus gonflés de certitudes que l'Académie française au grand complet.

 

140) Je montre un pigeon, je dis Regarde ! Un dinosaure ! Et le regard revient.

 

141) Il croit que je me fous de sa gueule. Ça y est, c'en est fini du temps où nos moments à nous me servaient de bonne excuse pour correspondre enfin à l'image que j'aimerais me faire de moi-même. J'ai une pensée furtive pour tous les mecs bien que j'ai connus, tous les bons pédagogues qui se sont usé à essayer de nous purger un peu de la merde que nous avions dans la tête. Tous les mecs à qui je me suis juré jour après jour d'envoyer le faire-part de naissance de la Nature Sauvage, du temps où elle l'était. Tous les mecs qui sont morts depuis, un jour où je ne faisais pas gaffe. Je prends un coup de regret, un coup de remords, et malgré la fatigue je n'arrive pas à être totalement bourré. Je ne sais pas s'ils sont morts avant ou après le retour officiel de l'apocalypse dans les grands médias, et j'essaie d'en tirer une leçon sur le temps qui s'enfuit à l'attention de la Nat... Culture Sauvage...

 

142) ... et je préfère ravaler ma leçon avec un gros caillot de glaire. Le regard, ce coup-ci, j'ai dû me hisser très haut, déplier l'escabeau et me mettre sur la pointe des pieds pour le croiser. Culture sauvage cligne de l'œil et je rétrécis encore d'un pouce.

Il sait déjà.