18/02/2015
Pour une débénabarisation du quotidien 136-142
Suite du feuilleton poético-collaboratif avec Emanuel Campo. Pour l'épisode précédent, c'est ici.
136) Ça caille. Ça caille et ça fait mal. Ça caille et ça fait mal et c'est sans illusions. Le froid c'est en métal. Les doigts y accrocheraient que ça les rendrait cassants comme des extrémités de lépreux en sucre. Du moins c'est ce qu'on dit. Et pour tout ça, j'ai quoi, une médaille ? En vraie morve séchée ? Vaut mieux faire comme si les passants les contrôleurs du métro les collègues de bureaux le voyaient pas. Tout. Tout sauf des regards entendus. J'ai repris du service.
137) En arrivant au MI6 j'ai mis ma carte dans le lecteur présenté ma rétine pour fond de l'œil vérifié mes empreintes digitales. M. m'a reçu avec un excellent cognac et m'a demandé si ça allait, si les rhumatismes s'atténuaient si j'étais encore prêt à sauver le monde. Une vieille blague entre M. et moi. Je me suis envoyé un martini-vodka et j'ai entamé les dossiers. Tentative de coup d'État au Burkina ? Je largue une bombe à hydrogène. Bouygues reconnaîtra les siens. Assaut des forces rebelles en Afghanistan ? J'arrive dissimulé sous une burka, j'arrose le marché au FAMAS et je règle leur compte aux derniers boss façon kung-fu. Quelques crypto-anarchistes fomentent une manif non autorisée sur le tracé du Lyon-Turin ? Je leur offre une immolation maison, malgré l'absence regrettable de la télé. Au retour M. m'offre un Perrier tranche et m'annonce que j'ai mis huit secondes de plus que la dernière fois. J'encaisse mais c'est toujours la médaille qui m'obsède. J'ai laissé ma veste à l'analyse. Je sais déjà ce que les experts vont dire.
138) Ce qu'il y a, ce que les experts de la balistique vont me confirmer, c'est que la Nature Sauvage n'est plus. Il a muté en une petite nébuleuse nerveuse de culture sauvage. Il me regarde, et déjà ce qu'il pige à tout ça ne m'échappe plus totalement. Ses mots ont cessé d'être des jouets de matière pure, uniques, sans objet. Ils ont commencé à se généraliser, ses mots. A s'amalgamer. A opérer des synthèses. Ils sont réutilisables à l'infini. Il me regarde, et il y a quelque chose de social dans sa nouvelle façon de faire le malin. Je connais ce regard. Je sais d'avance, et les experts de la balistique me l'ont confirmé, qu'à partir de maintenant et pendant un énorme paquet d'années sa vie va graviter autour de deux notions uniques :
EDUCATION SEXUELLE. DINOSAURES.
139) Le Tyrannosaurus Rex était un gros poulet avec des moignons de pattes pas encore transformées en ailes. Il est probable qu'en période de rut il était capable d'un COCORICO flamboyant. Le Tyrannosaurus Rex emmerde Steven Spielberg. Mais ce dernier ne s'en fait pas. Il sait (et les experts de la balistique n'en finissent pas de soupirer) que les enfants sont plus gonflés de certitudes que l'Académie française au grand complet.
140) Je montre un pigeon, je dis Regarde ! Un dinosaure ! Et le regard revient.
141) Il croit que je me fous de sa gueule. Ça y est, c'en est fini du temps où nos moments à nous me servaient de bonne excuse pour correspondre enfin à l'image que j'aimerais me faire de moi-même. J'ai une pensée furtive pour tous les mecs bien que j'ai connus, tous les bons pédagogues qui se sont usé à essayer de nous purger un peu de la merde que nous avions dans la tête. Tous les mecs à qui je me suis juré jour après jour d'envoyer le faire-part de naissance de la Nature Sauvage, du temps où elle l'était. Tous les mecs qui sont morts depuis, un jour où je ne faisais pas gaffe. Je prends un coup de regret, un coup de remords, et malgré la fatigue je n'arrive pas à être totalement bourré. Je ne sais pas s'ils sont morts avant ou après le retour officiel de l'apocalypse dans les grands médias, et j'essaie d'en tirer une leçon sur le temps qui s'enfuit à l'attention de la Nat... Culture Sauvage...
142) ... et je préfère ravaler ma leçon avec un gros caillot de glaire. Le regard, ce coup-ci, j'ai dû me hisser très haut, déplier l'escabeau et me mettre sur la pointe des pieds pour le croiser. Culture sauvage cligne de l'œil et je rétrécis encore d'un pouce.
Il sait déjà.
07:00 Publié dans Pour une débénabarisation du quotidien | Tags : débénabarisation du quotidien, emanuel campo, nature sauvage, culture sauvage, mi6, tyrannosaurus rex, certitudes | Lien permanent | Commentaires (0)