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15/02/2015

Égorgez une chèvre pour Allonneau...

allonneau2.jpg

... ou alors, si vous avez la fibre trop brigittebardesque pour faire du mal aux animaux, allez sur le site du Pédalo Ivre et achetez son bouquin. Ou mieux. Posez une semaine de congés et harcelez votre libraire préféré, un jour avec une fausse barbe, le lendemain avec une perruque blonde, le surlendemain en Burqua, pour qu'il commande des stocks dignes de ce nom de ce petit chef-d'œuvre intitulé La Vie est trop vraie — c'est peut-être un peu grossier comme ruse, mais des fois les libraires sont moutonniers. 

Et pourquoi donc ? Parce qu'Allonneau, ce petit jeune d'à peine mon âge qui fait du skate du côté de Lille, est un poète comme il s'en compte sur les doigts de la main gauche d'un Django Reinhart qui serait atteint de lèpre. Un poète qui me fait remettre en cause tout ce que je croyais savoir sur la poésie. Ceux qui ont lu son Polder paru en 2013 et préfacé par rien que moins que Pennequin sont déjà au courant, mais là il enfonce le clou.

Une preuve ? Voilà :

 

mon chat se promène toute la journée en murmurant le chat c'est vraiment un truc génial (p.53)

 

Mais encore ?

 

moi

je ne suis pas arrogant

un conducteur roule à contresens. je ne demande même pas aux policiers s'il est ivre

je me tais et je meurs (p.8)

 

L'absence de majuscules est d'origine, et d'ailleurs, comme me l'a dit récemment son directeur de collection, on n'aime pas trop les majuscules au Pédalo. De toute façon, dans le monde d'Allonneau, rien ne mérite de majuscule. Il y a évidemment dans son bouquin quantité de textes plus longs que ceux que je viens de vous citer, mais 1) je ne suis pas payé pour faire cette critique, moi qui n'en fais jamais, je n'ai donc aucune raison de me faire chier à recopier du texte, et 2), je ne voudrais pas vous déflorer la lecture de ce livre.

De toute façon, vous avez déjà compris : depuis qu'Allonneau publie, le scandale de la mort de Topor est un peu moins douloureux.

 

08/02/2015

Osez la poésie, saison 2

Osez la poésie.png

02/02/2015

Pour une débénabarisation du quotidien 123/129

Reprise du web-feuilleton poétique à quatre mains, dont celles de Manu Campo. Ici l'épisode précédent.

 

123) MESDAMES & MESSIEURS VOTRE ATTENTION S'IL VOUS PLAIT - EN RAISON D'UN INCIDENT TECHNIQUE, CETTE RAME EST ARRÊTÉE POUR UNE DURÉE INDÉTERMINÉE - MERCI DE NE PAS TENTER D'OUVRIR LES PORTES - EN CAS DE PANIQUE, NE PANIQUEZ PAS - LES PERSONNES SUSCEPTIBLES DE SOUFFRIR DE CLAUSTROPHOBIE OU DE SPASMOPHILIE SONT PRIÉS DE SE RAPPROCHER DU DÉFIBRILLATEUR SE TROUVANT À L'AVANT DE CETTE RAME - MERCI DE VOTRE

 

124) C'est comme une mélodie dans la tête. On le sait depuis les Grecs, chacun a besoin d'une mélodie pour survivre à sa journée. Quand le niveau de vibration statique émise par l'ensemble des cerveaux d'une société baisse, les autorités envoient un petit stimulus et la machine repart. Les cœurs battent. Et les cerveaux s'en retournent à leurs occupations. D'abord la bouffe. Puis le papier peint. Après, l'amour. Tu vois mon fils, pour le droit des peuples à disposer et toutes ces jolies choses, on a le temps, on a le temps.

 

125) (La Nature Sauvage me regarde d'un œil ensommeillé. Il écoute, je ne sais pas ce qu'il comprend. Pour lui, AMOUR, ça veut dire la même chose que MANGER. Il faut faire gaffe au parc. Il a déjà arraché un bras à deux assmats et unijambé une fliquette municipale. Les pédiatres disent que c'est normal, qu'il faut bien le laisser s'exprimer, tant qu'il ne perturbe pas la minute de silence il n'y a pas lieu de s'alarmer. Et puis tout le monde le trouve si mignon. Nous, on se dit qu'il vaut mieux AMOUR avec membre arraché que pas d'amour du tout.

 

126) (Au square) Les gens sont là. Les gens sont vivants. Les gens sont tout à fait capables de vivre malgré tout. Ils engueulent leurs gosses comme si le plus urgent était les bonnes manières et pas les abris antiatomiques. Je cours pour épousseter la Nature Sauvage. Je m'excuse auprès de la dame. Pas de problème, elle dit, il lui a seulement bouffé son bonnet. C'était un vieux bonnet, il avait fait son temps. Et puis, il est mignon, il a vos yeux, non ?

 

127) Les yeux de la Nature Sauvage ont présentement l'aspect du goûter que j'ai oublié. S'il savait ce que je sais, il serait aussi allé au square, mais il se serait posé tranquillement sur un banc et il aurait ouvert une 8.6. Et il n'aurait pas loupé la chaleur d'un cm² sur sa peau.

 

128) Ce que je sais de cet enfant : comment ne pas exhaler ma peur. Comment être certain, même devant un détecteur de mensonge. Comment choisir au pif une réaction possible et s'y tenir comme si c'était ce qu'on appelle la bonne. Comment garder les clés de la marche du monde et n'en laisser filtrer qu'une pincée après l'autre, toujours avec miroir déformant. Comment commencer à haïr ce qui ne semble pas normal. Comment recongeler le monde après l'avoir décongelé en attendant qu'une autre génération fasse l'effort d'aller au magasin. Comment faire comme si mes doutes et mes tares génétiques étaient de simples marques de caractère, bien pardonnables, bien pardonnables. Comment entendre parles de crédits et de placements à la pause de midi et comment ne cracher sur personne.

 

129) Chérie, tu le croiras jamais. J'ai rêvé que je parlais comme un vrai connard. Je sais, je sais. Mais comme un vrai connard qui sait. Qui ne doute pas. Qui nous aurait réglé ça en deux temps et dans le sang s'il était le gouvernement. Alors chérie, je peux le dire, maintenant je sais ce que c'est la vivre sans la boule dans l'estomac. Je sais, maintenant. Ce que c'est que la détente. Et tu sais pas le plus fort ? J'étais le meilleur pour allumer un barbecue.