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21/12/2016

Kshatriyas

Elle dit Notez bien au passage que je ne mourrai pas brûlée vive

ce sera les fumées.

Elle dit Ce sera les fumées le bois vert le monoxyde de carbone

et toutes les étapes

soigneusement décrites

par la médecine moderne :

 

d'abord je

tousserai

puis je

suffoquerai

ensuite encore je

vomirai

et cependant pisserai

tout ce que je peux.

 

Puis

l'asphyxie.

 

Elle dit C'est marrant cette expression,

brûlée vive.

Vous m'aurez morte,

brahmanes.

Vous me brûlerez cadavre et vous suffoquerez, Kshatriyas.

Vous aurez des hoquets, Vaishyas.

Vous aurez des haut-le-cœur, des relents, des mouvements de gorge,

et vous vomirez, elle dit.

 

Elle ajoute Par les narines.

Votre repas, le mien, ce que nous en auront fait,

par les narines.

 

 

C'est douloureux, elle dit.

On étouffe.

On en viendrait à croire que ça ne s'arrêtera jamais on voudrait mourir.

Ça brûle.

Et vous sentirez,

de vos vomissures, des miennes,

des chairs brûlées,

de ce bois vert qui brûle mal,

vous sentirez l'intouchable.

 

Intouchable, elle dit.

C'est marrant intouchable.

Morte à un seul, morte à tous,

vomie sur un brasier mais par toutes les bouches,

par toutes les couches.

Perdue pour tous.

Si fouillant les cendres vous trouvez un bijou,

il sera d'or fondu.

Si vous trouvez une dent ou un morceau d'os,

il vous laissera une cloque pour les quinze jours ouvrables.

 

Intouchable. Pour de vrai intouchable.

Ne pas toucher. Je brûle.

Ne pas faire un pas en avant.

Se couvrir la figure en cas de vent.

 

Pourtant j'avais encore des seins, elle dit.

un cul

un ventre.

Ils auraient pu servir.

 

On aurait pu manger

on aurait pu dormir.

On aurait pu faire tant de choses ensemble.

 

J'avais un sexe aussi

et des pensées.

Et tant de gens

tant et tant de petits peuples outragés

dormant dedans.

 

Sans même le savoir.

Sans même y croire.

Sans se douter

qu'ils seront peut-être les premiers

à dégueuler en me voyant brûler.

 

Elle dit L'homme est un fils de pute.

Mais pas plus que l'iguane

pas plus que ces varans qui par ennui

se bouffent entre eux.

Pas plus qu'un trou noir

qui finit son assiette sans un rot

et sans un merci.

Pas plus que la planète et pas plus que l'étoile

qui se hausse le col en géante rouge

et rebat les atomes sans laisser un espoir en suspension

autour d'elle.

 

Elle dit mais même en cendres.

Même en cendres la mort vous n'y connaissez rien.

Vous connaissez le vent

vous savez qu'il rabat les cendres sur les curieux

qu'il leur obstrue

les voies respiratoires.

Mais vous ne connaissez rien des atomes

et vous ne savez pas qu'en milliards de milliards

je volète par-ci par-là par vous

jusqu'à la terre jusqu'aux champs

que j'engraisse les légumes que je nourris les arbres

que je suis dans l'air dans les fruits

comme une mélodie dont vous n'arriverez pas à vous défaire

 

je suis en tout, elle dit.

Dans la gorge dans les poumons

et l'estomac et la rate et le foie.

 

Je dis et je redis je suis

en tout.

Et ce n'est pas une métaphore mystique.

Je vous parle d'atomes — je vous parle de votre nourriture

de votre plaisir de votre soulagement

et de vos résurrections infinies.

 

Non, vraiment, elle dit

vous n'avez pas fini.

Vous n'avez pas fini de m'entendre causer.

Allumez le bûcher.

Réglez les formalités.

Partagez l'héritage.

Réglez mon sort comme on règle un problème économique.

Et rentrez chez vous.

Mangez si vous pouvez.

Écoutez le vent.

Et ayez peur, elle dit.

Ayez peur.

 

 

 

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