17/02/2017
Gratos VI
au fond tout au fond
où le turquoise avale toute couleur
et la recrache en fantasmagorie
au fond tout au fond
là où l'oxygène se change en méthane
là où la pression n'est pas un vain mot
là si nos cœurs sont solides
si nous pouvons suivre la ligne droite
si le silence ne nous effraie pas
alors
on est ouvert à la découverte
la banquise : surpoids
les pôles : sudation
entrer dans le spongieux
faire des pointes de ballerine dans l'ascenseur
et sourire
Jean-Claude passe
vingt ans de Ville
l'aventure pas lavée
gilet et transpalette
les doigts glissent
comme s'il ne voulait pas adhérer au poème
mais celui qui ne mérite pas un poème de moi n'est pas encore né alors
j'agrippe l'absence
comme une pellicule graisseuse
Jean-Claude passe
c'est son métier
si Jean-Claude disparaît
c'est que Jean-Claude va revenir
son transpalette c'est son chien
son ami
sa femme
il est complet Jean-Claude
mais il y aura toujours un moment où il aura besoin de mon binôme
pour les vérités fondamentales
la planque, c'est les autres
le quinté même dans le désordre
vous requinque un conquérant
mise tout sur un bourrin
et embrasse le soleil
ça et les blagues
approximatives et rouges cent vingt kilos comme lui et sudation excessive
mais pas tellement plus que celle de Lacan
c'est une expérience exigeante mais depuis que je suis ici
j'ai appris à tout encaisser avec un sourire
à part ça le soir sa mère dans la soupière et retaper la vieille DS de papa
et quand il s'ennuie
des fois un tour en voiture jusqu'au Lidl de Saint-Fons
au fond tout au fond
il y a une épaisseur de la solitude que tu ne connais pas si tu n'as pas été un Noir dans un commissariat
ou si tu n'as pas été Jean-Claude
tout s'abolit
les faux plafs gouttent
on entre dans la non-temporalité
celle dont causent les bouddhistes
les chevaux en ont marre de manger tous seuls
les chevaux en ont marre de mourir tous seuls
le reste du temps
il n'a pas le temps
alors il s'en va laissant un murmure dans la bouche de mon binôme
c'est vrai que Jean-Claude est radin
et qu'on l'a vu porter un truc tous les 29 février
mais j'aimerais parfois être une prostituée ukrainienne
belle jeune fraîche comme un poulain de deux ans
et courir tout Jean-Claude en pôle position
jusqu'à la ligne d'arrivée
et me la péter ensuite
belle
jeune
fraîche
et par-dessus tout
une vraie chrétienne
06:14 Publié dans Gratos | Tags : jean-claude, temporalité abolie, lidl de saint-fons | Lien permanent | Commentaires (0)
12/02/2017
Gratos V
...
vers 2007-2008
j'ai renoncé au malheur
à la déprime
et à l'angoisse
je trouve
que c'est une faute de goût
je ne comprends pas
comment encore en 2017
on peut
perdre son boulot
se faire rétamer la gueule par un éboulement de crédits à la conso
partir en dépression
se souvenir soudain de la bite de son oncle
ou faire des fausses-couches.
aussi moi
j'aime un peu tout
par exemple
j'aime bien travailler
car je
m'intéresse au travail
ça ne veut pas dire
que je m'intéresse à mon travail
mais que j'aime découvrir les coulisses
les coins à rouille et à moisissures
non destinés au public
le matériel vétuste
les gars qui se lavent après le boulot
je trouve ça distrayant
exotique
drôle
je trouve
que le dernier des agents d'entretien salafistes qui embauche à deux heures du matin
l'ultime appariteur diabétique qui vit avec sa mère
le plus riquiqui des agents de sécu couperosé obsédé sexuel
mérite qu'on lui écrive un livre
seulement
on ne peut pas tout le temps s'amuser dans la vie
à un moment
il faut apprendre le russe
relire les passages soulignés au crayon dans les deux Bertin
voir ce qu'il y a à piquer
répondre au mail d'Ivar
partir se cramer le cul
dans l'Océan Indien
...
06:00 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : tout aimer, s'intéresser au travail, les choses sérieuses | Lien permanent | Commentaires (2)
11/02/2017
Gratos IV
...
je traîne des transpalettes car cela est bon
je salue Michel au poste de garde car cela est bon
je demande la clé du quai car cela est bon
je préfère la machine à café du 4è car cela est bon
je tords la bouche aux blagues de Jean-Claude car cela est bon
je rêve aux noms des chevaux car cela est bon
j'apprends à me connaître grâce aux matraques de Chérie FM car cela est bon
j'ouvre le micro-ondes trop tard car cela est bon
je trie les stocks en parlant d'accidents vasculaires cérébraux car cela est bon
je scotche les caisses fendues car cela est bon
je fais la vaisselle dans les toilettes car cela est bon
je perds les clés du monte-charges car cela est bon
je règle mon bras sur le bras de mon binôme car cela est bon
j'ouvre je respire j'écoute car cela est bon
...
06:36 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : transpalette, monte-charges, jean-claude, eh les mecs qui a remarqué que c'est un sonnet | Lien permanent | Commentaires (0)