03/03/2015
Pour une débénabarisation du quotidien 149-160
Suite du ping-pong poétique avec Emanuel Campo. L'épisode précédent ici.
149) Il faut manger. Il faut se ravitailler. La journée sera encore longue. Pourquoi est-ce tu ne soulèves pas cette fourchette, mec ?
150) Il y a que votre amour m'encombre tous les bras disponibles. Ce n'est pas qu'il soit lourd. Mais je ne sais pas dans quel sens le prendre. Il n'y a pas marqué HAUT et BAS. Il va falloir aller dans le métro avec. Il va falloir déranger une veille dame. Faire déplacer une poussette et éviter les regards en représailles. Il va falloir faire attention à ce qu'il ne touche pas le sol. Je ne sais pas s'il est fragile. Il n'y a rien marqué à ce sujet. Je ne sais pas s'il est encore sous garantie. De toute façon je perds toujours les bons de garantie. Il doit y avoir erreur. Pourtant, c'est bien mon nom qu'il y a sur l'étiquette. Et je ne sais pas comment je vais sortir mes clés de ma poche. Sans doute que je devrai le coincer entre ma hanche et le mur. Je risque de l'écraser un peu. Et ça durera, je tiendrai la porte à la dame du 1er, aux trois gosses, à sa belle-sœur deux cents mètres plus loin. Ils ne se presseront pas, ils ne se presseront pas. Encore un coup à finir en sueur.
151) LA SUEUR. Si je ne vaux rien pour la comédie romantique c'est en grande partie parce que les déodorants me filent des boutons. Je ne rigole pas. Je ne suis pas amoureux de l'humanité entière. Je ne tends pas les bras. Je les tiens en équilibre parce que mes aisselles sont boursouflées de bubons douloureux.
152) Et pourtant nous revenons à l'amour, toujours.
153) Je ne comprends pas votre amour. Je ne sais pas en quelle langue il est écrit. Je ne sais pas dans quel sens on doit lire. S'il faut faire des pauses entre le paragraphes. Je ne sais pas ce que j'ai fait pour le mériter. Je ne sais même plus de quoi on parlait, quand on parlait. Vous vous en souvenez ? On parlait. À ce moment-là c'était une activité en soi. C'était même la seule activité qui comptait. Avec les bouquins. Alors on vivait dans les bars. On lisait jusqu'à ce que les caractères s'aplatissent et deviennent pâteux. Et alors on les sortait de leurs pages et on parlait.
154) Aujourd'hui le bar c'est surtout un endroit où j'ai envie de pisser pendant des heures dans un couloir avec la langue pâteuse et une migraine insidieuse. Avec la même sueur aux aisselles. Mais sans savoir trop quoi dire à la personne qui est en face de moi, et qui, dans la quasi-totalité des cas, est une femme. Et qui, dans la quasi-totalité des cas, est habillée pour sortir. Et qui, dans la quasi-totalité des cas, me tire une gueule de rescapé de Guantanamo parce qu'elle soupçonne une raison sexuellement dégueulasse au fait que je ne la drague pas.
155) En attendant, nous avons quand même vécu ensemble une exceptionnelle évolution du pâteux.
156) Et là-dessus, je m'empâte.
157) On ne parlait jamais de notre physique, avant. On ne faisait pas gaffe à ce qu'on bouffait. Les artères étaient comme éternelles. On pensait qu'entre les livres et la parole on mobilisait assez de muscles. Mais j'ai fait un rêve un jour. Tu étais dedans, mon amour. C'était bien quinze ans avant que je te connaisse, je devais être en CE2, mais j'ai tout vu : la chambre d'enfants, le tapis de jeux, les Legos étalés partout. Et toi, qui rentrais avec ta mallette et ton tailleur. Les enfants étaient deux. Et moi, j'étais gras comme deux fois moi-même. Les cheveux tondus, comme aujourd'hui, sans doute parce que c'était plus pratique. La barbe. Le T-shirt de trois jours sans forme. ET LE CONTENTEMENT. LA PLÉNITUDE.
158) Je me suis réveillé en sursaut. C'est vraiment là, à huit ans, que j'ai compris le danger du bonheur.
159) Pour l'instant les gnocchis dorment. Et toi, tu mérites qu'on se comporte avec toi en homme responsable, digne de confiance. Tu es là, avec ton amour sans date de péremption. Tu es le contentement. La plénitude.
160) Je vais aller m'ouvrir une 8.6.
07:00 Publié dans fins de séries, Pour une débénabarisation du quotidien | Tags : débénabarisation du quotidien, emanuel campo, amour, contentement, rêve, s'empâter, 8.6 | Lien permanent | Commentaires (0)
01/03/2015
Ouste n°23
Y a pas que les mauvaises nouvelles dans la vie, camarades : L'Ouste nouveau est arrivé. Comme d'habitude, c'est copieux, c'est costaud, c'est éclectique — et avec ça, ça reste cohérent. Une excellente raison de passer sa vie au chiottes, donc, et pour moi, un petit plaisir chauvin, vu que les poètes du 6-9 y sont vachement bien représentés. Bref, 12 euros port compris, c'est vraiment pas cher payé.
Merci à Hervé Brunaux et vivent la création et l'exagération !
07:00 Publié dans Publications, Revues | Tags : ouste, hervé brunaux, grégoire damon, revue, béatrice brérot, charles pennequin, armand le poète, samantha barendson | Lien permanent | Commentaires (0)
27/02/2015
Fin de série 27/02/15
voilà
je suis l'homme devant le distributeur qui fouille dans les tréfonds du portefeuille
l'homme au rayon frais avec les aisselles moites
l'homme devant un bel étal de charcuterie qui se demande si l'incinération est la solution la plus propre
voilà
on est au XXIè siècle et je suis l'homme
qui vient de cramer ses meilleures heures de sommeil sur un courrier en accusé de réception
avec un poème coincé dans la gorge
un gramme de paracétamol
et une citation de Karl Marx
toujours la même depuis qu'on m'a offert le Manifeste du parti communiste en 1998 dans la traduction agréée par la IVè internationale
voilà
on trace les décennies en faisant crisser les pneus et je suis l'homme qui marche
qui regarde les mecs parler seuls dans la rue comme un Babibel regarde un roquefort
et leur colle des embrouilles avec Zeus et des passés de mercenaires au Soudan
parce que ce serait vraiment trop triste
je suis l'homme qui n'a pas fini de se faire du souci pour le trou au genou de son jean depuis trois jours que les collègue ne disent rien
je suis l'homme qui lit un livre sur les rapports de la culture et de la religion dans le métro en planquant sa couverture pour éviter les amalgames
qui reçoit sa première lettre d'insultes pour le zizi de Jésus
et qui s'use et qui s'use
à remontrer qui est le chef à une paire de chaussettes dépareillées
à un marc de café sauteur
à une vieille flemme d'après-midi
(mais traitez-moi encore d'acteur économique et vous verrez vous verrez)
voilà
la journée est presque passée et je suis l'homme qui a plus de gènes communs que prévu avec Neandertal
qui peine à redéfinir son identité dans un contexte de sécularisation athée
qui se pose des questions sur le monophysisme et sur la manière de faire pour que ce putain de siphon arrête de fuir
je suis l'homme
qui a envie d'aller te piquer quelques cellules mortes dans la balle à linge pour s'offrir un peu d'air frais mais qui se dit qu'il faudrait revoir l'instrumental et la traduction de Katioucha avant le cours de mercredi prochain
qui a des chantiers dans la tête et des promoteurs qui se barrent avec la caisse
qui n'a pas encore vu Twin peaks ni Six feet under mais qui ne désespère pas de l'accident du travail
........................................................................................................................................................................................................................................................
voilà
ça pourrait continuer longtemps comme ça
mais on est au XXIè siècle et pour l'instant je suis l'homme
que voilà
... et joyeux anniversaire à Yolande Moreau !
17:21 Publié dans fins de séries | Tags : l'homme du xxi siècle, acteur économique, monophysisme, yolande moreau, miossec, 30 ans | Lien permanent | Commentaires (0)