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18/11/2023

Cette méthode s'appelle

Cette méthode s’appelle : MIRACLE MORNING.

Elle : consiste à se lever une heure plus tôt, à commencer chaque jour comme si c’était le matin de noël de ton enfance. En faisant six choses : silence, affirmations, visualisations, lecture, écriture, activité physique.

Je me lève à 5h du mat depuis 1998. Je fais des trucs avec le silence la lecture l’écriture. Mais je dois jouer le jeu. Suivre la méthode. Il en va de ce livre. Il en va de notre édification.

5h : réveil. Pantoufles. Cuisine. J’appuie sur le bouton de la cafetière qui râle mais je sais qu’au fond elle m’aime beaucoup.

5h05 : je me rends sur mon balcon. Ce sera le décor principal de nos prochaines aventures : un temple ou un ring d’un mètre de large sur six mètres de large, occupé d’un côté par les vélos et trottinettes de l’autre par toutes les merdes non encore emmenées à la déchetterie. S’ouvre devant moi (l’espace infini d’un cosmos qui pourrait être néant) une cour carrée ceinturée par des résidences La cour est séparée en deux par un grillage, de mon côté c’est du HLM, la cour est revêtu d’un ragréage dégueulasse massacré de l’intérieur par des racines, de l’autre c’est du parc privé avec de charmants bouts de pelouse ombragés.

Mais à 5h du mat tout ceci n’existe pas encore : la pollution lumineuse laisse à peine distinguer trois pins qui foutent une tête aux immeubles, un cerisier (toujours de bon ton quand on s’attaque à un truc vaguement japonais) et derrière, la barre de l’immeuble d’en face où s’allument et s’éteignent alternativement d’autres vies d’autres insomnies d’autres abonnement Netflix d’autres corps. Juste avant l’aube c’est le moment idéal pour être seul et pas vraiment seul – de jour on voit surtout passer des corbeaux et des pigeons mais ce n’est pas eux qu’on entend. Juste avant l’aube c’est une magnifique variété de chants que je ne sais pas identifier, je le regrette mais ce n’est pas le moment de me piquer d’ornithologie j’ai du boulot : café, cigarette, respiration ventrale.

Je fais durer le silence. Une table de camping, un tabouret pliant : mon royaume.

5h10 : affirmations. Là je dois me dresser fièrement dire à vois sonore JE SERAI VOTRE GUIDE ! JE SERAI L’HOMME QUI A ÉCRIT CE BOUQUIN, QUE VOUS AVEZ ENTRE LES MAINS. !!! JE SERAI CELUI À QUI VOUS DONNEZ VOTRE POGNON, HAHA !!!!! Les problèmes commencent : sur le balcon d’à côté le voisin joue sur son portable expulse un kilo de glaires. Un petit fil de voix tout geignard sort de ma bouche –

Le chat à me regarde bizarrement.

5h15 : visualisations – euh... qu’est-ce que je dois visualiser ? Moi terminant héroïquement ce bouquin ? Vous le dédicaçant ? Encaissant des droits d’auteur à cinq chiffres ? Chauve, en robe safran, un rouleau à la main ? Parlant – de quoi, devant qui ?

(Apnée)

5h20 : c’est facile, pompes, tractions australiennes, squats. Quelque chose se passe : l’oxygène me parcourt, mes muscles reprennent de leur superbe, le dos un semblant de verticalité. Sueur en grosses gouttes sur le carrelage, je crève de soif – mais content.

5h25 : lecture – des choses inspirantes, Elrod préconise. Un œil sur ma bibliothèque : Leonard Cohen, Le Livre du désir, ça devrait aller.

5h27 : sans surprise oui ça va. Oui ça inspire.

5h28 : j’accompagne l’inspiration d’une défécation purificatrice.

5h30 : écriture – nous voilà enfin réunis.



5h46 : Putain que j’ai la tête dans le cul.

17/11/2023

Elrod montre ses tripes

Elrod montre ses tripes.
 
Elrod est un individu de type nord-américain qui commença sa vie comme on la finit dans une comédie romantique : le héros roule confiant vers l’avenir, avec lui santé bonheur être aimé réussite aux examens, lorsqu’au volant de sa Ford Mustang il se prend les grosses lettres du générique de fin –
 
son lobe frontal s’écrase alors contre sa boîte crânienne, le toit de sa voiture lui fend le crâne sectionne un oreille énuclée un œil. Un bras fracturé, coude en miettes, nerf radial sectionné, bassin en trois morceaux le fémur en deux.
 
Dans la comédie romantique le générique finirait sur un écran noir les spectateurs s’étonneraient que la salle ne se rallume pas – les plus perspicaces s’étonneraient même de ne pas avoir lu la mention selon laquelle aucun animal n’a été blessé pendant le tournage, c’est normal car Elrod est dans le coma, sa respiration a cessé son coeur ne bat plus.
 
Presque mort quitté par l’être aimé cerveau en bouillie, pas sûr de remarcher, Elrod prend alors la responsabilité de revenir à la vie. Finit 6ème meilleur vendeur sur 60 000 chez Cutco, une grosse boîte qui vend des couteaux, raconte son histoire dans les lycées, passe directeur commercial bat les records annuels. Envisage de devenir coach en développement personnel mais c’est trop tôt : lors de la conférence annuelle de Cutco il réalise qu’il n’a jamais été dans le top 2 des vendeurs et n’a donc jamais reçu la récompense suprême des vendeurs qui est une Rolex. Alors il y retourne, se jure de sortir de son royaume de médiocrité terriblement confortable, de doubler son chiffre de vente et d’écrire un livre sur son expérience.
 
Il commence à vendre ses services de coach. Retrouve l’amour. C’est magnifique : on va pouvoir déguster un second générique de fin sortir du ciné aller se coucher –
quand soudain la crise de 2008. Coup de grâce. Elrod s’effondre. Il accumule les dettes, sombre dans la dépression. Jusqu’au jour où un ami le convainc d’aller courir.
 
Ce sera le moment crucial de sa vie car c’est pendant ces foulées de la dernière chance (écoutant au casque un livre audio de développement personnel) qu’Elrod a l’illumination : il lui faut une méthode. Une méthode inédite. Une méthode qui lui permettrait de reprendre sa vie en main ne pas grossir les rangs de loosers du rêve américain qui retournent chez leurs parents ruminer en peignoir leur défaite – une méthode qui lui permettrait de se réenrichir.
 
Cette méthode consistera – qui y aurait pensé – à se lever une heure plus tôt. Conserver cette avance sur l’étourdissante course des choses. Mais pas se lever pour se gratter les parties – pas se lever pour travailler. Ou alors. Se travailler SOI.

 

16/11/2023

De la tripe

Maintenant il faut que vous compreniez bien une chose à propos des livres de développement personnel : c’est un genre. Un genre littéraire : rappelez-vous ça. C’est important.

Comme tous les genres littéraires – de même que comme toutes les formes vies traînent un code génétique – les livres de développement personnel ont un ensemble de caractéristiques distinctives : une poétique.

Les livres de développement personnel s’adressent directement à la lectrice au lecteur. Parfois en tutoyant, parfois pas – ça dépend du degré de vernis pseudoscientifique. Dans le cas des Amerloques c’est le choix du traducteur et de l’équipe éditoriale. Mais les livres de développement personnel s’adressent à vous. À toi. Personnellement.

Les livres de développement personnel commencent par un récit. C’est mieux si c’est autobiographique mais c’est le récit qui compte. Le récit doit être simple, concis, orienté vers la résilience : handicap, misère, OK, viols, mauvais traitements, accidents, super, un immense effort de volonté puis cocotiers limousine passages télé.

Nous lecteurs nous lectrices du XXIè siècle, c’est fou ce que nous avons la dalle de vies de saints et d’ouvrages édifiants.

Nous voulons qu’on nous berce. Qu’on nous dorlote. Qu’on nous sussure. Qu’on nous emmène d’un point A à un point B avec toutes les structures narratives que nous connaissons si bien. Nous savons comment ça se terminera mais c’est si bon à la veillée. C’est comme ça que nous comprenons le monde. C’est de ça que nous vivons. C’est comme ça que notre attention, notre bienveillance, sont disponibles pour toutes celles tous ceux qui sauront en faire usage.

Après seulement vient la matraque télescopique des présents de vérité générale.

Deux-trois concepts-clés deux-trois groupes de mots reviennent tout le temps. Comme un refrain. Comme un chant chamanique pour enfourcher la transe. Comme une anaphore dans une performance de poésie, un débat présidentiel.

On peut mettre des exercices pratiques à la fin des chapitres. Faire des résumés « à retenir ». Isoler des bouts de phrases en pleine page police 28 pour bien enfoncer le clou dans matière molle et grise.

Il faut des études scientifiques mais pas de contextualisation. Et puis des citations. Einstein. Teresa. Gandhi. Tous les autres. Et surtout : de l’aplomb. Jamais de doute.

Mais de la tripe. Beaucoup.