Tu n'es pas du genre

tu n'es pas du genre à t'apitoyer sur ton sort tu ne fais jamais trente fois la même blague au cours de la même soirée pour être sûr que tout le monde a bien entendu tu ne prends jamais d'engagement en sachant pertinemment que tu ne pourras pas t'y tenir
tu n'es pas du genre envieux tu n'as pas emprunté cette perceuse juste avant le passage à l'euro - mais à qui déjà ? - tu ne t'es pas fait baptiser un lendemain de cuite juste pour te faire pardonner tes trous de mémoire

tu n'as jamais simulé de crise d'épilepsie juste parce que cette fille fait des études d'infirmière tu ne t'es jamais branlé dans les toilettes de la piscine municipale tu n'insultes personne même quand il fait moche et qu'on est samedi soir tu ne vomis pas dans le métro ton chat ne connaît pas le numéro du SAMU tu n'as jamais changé une couche bourré tu sais très bien où en est ton compte en banque

tu ne t'es jamais laissé divertir par une tranche de jambon au point de te demander sérieusement ce que tu aurais fait sous l'occupation tu n'as jamais refilé un faux itinéraire à une étudiante sud-américaine paumée en centre-ville tu n'es pas allé voir ta grand-mère à l'hôpital parce qu'il te manquait cent balles pour une paire de baskets

tu n'as pas coupé les ponts avec quelqu'un que tu aimais parce que tu avais peur que sa poisse devienne contagieuse

tu n'as jamais dit je t'aime à une meuf pour qu'elle te laisse dormir tu ne l'as pas quittée pour une autre le jour où tu t'es aperçu que la mère de celle-ci faisait du filet de boeuf tous les dimanches tu n'es pas retourné chez la première lui faucher une culotte sale avant de lui rendre ses clés tu n'es jamais allé à un enterrement juste pour te taper un vin d'honneur gratos

tu n'as jamais profité d'une gueule de bois pour haïr l'humanité jusqu'à ce que ton pyjama te colle aux couilles

... et tu crois que ça te donne le droit de nous juger ???

 

Des questions pratiques en langue vulgaire

puisque nous sommes en faillite

avec le coeur en récession

et nos âmes velléitaires

accrochées aux tétons austères —

puisqu'on nous voit le bout de notre résilience

et qu'on sera bientôt trop gris

trop cernés fatigués variqueux

pour se fourguer à la bourgeoise

entre teckel et géranium

 

dites-nous donc

o arrêtés municipaux

où donc garer la caravane

où exposer nos os

dans quelle région continentale mourir

d'autre chose que de pneumo

 

o nymphes o faunes o agents de sécurité

dites-moi

qui écrira le guide de la vie en grand air

le Michelin des cours d'immeubles le Routard des portes cochères

le conseil de gourmet de la soupe populaire

 

où planter une tente où poser un carton

ramasser des mégots

sans se faire ramasser par la municipale

devant quel temple à cathos de gauche tendre la main

pour thésauriser l'amour fait humain

 

les villes ne sont les villes que la nuit

après l'extinction des fêtards

et encore, avant les camions-poubelles

tant que les rats sont là nous ne risquons rien

 

 

 

Donne tout

Déferle-moi noie-moi enfouis-moi des Afghans soumets-moi la Crimée à référendum mange-moi des termites analyse-moi macroéconomiquement discute-moi tes compétences supranationales alerte-moi sur les dangers climatiques fête-moi le travail fête-moi la journée de la femme fête-moi la santé fête-moi un coureur F1 mort canonise-moi deux papes délimite-moi comme zone sans gros relous comme moi triomphe-moi la droite aux européennes mange-moi sur la tête enterre-moi plante des géraniums dessus mange mon pain baise mon chat ou le contraire à ta guise annonce-moi avec regrets que mon profil n'est pas compatible aime-moi comme tu peux explique-moi à ton psy après suis-moi la finale Rennes-Guingamp menace-moi la Russie de sanctions trouve-moi un air de famille avec les deux éléphantes du parc tâte-moi le pouls avec des gants ignifugés invite-moi d'honneur au festival de Cannes classe-moi parmi les espèces en voie de disparition fais-moi une tentative de reproduction en captivité abaisse-moi l'espérance de vie sors-moi de tes statistiques sur les demandeurs d'emploi déclasse-moi sous les auspices de la voie lactée joue-moi la vierge effarouchée sur l'échiquier géopolitique transperce-moi de sarcasme joue-moi à la roulette mets-moi dans les décimales à quantité négligeable oublie-moi sur la liste de mariage bats-moi comme un tapis avec un ustensile prévu à cet effet juge-moi raille-moi flagelle-moi tue-moi si ça rentre dans ton emploi du temps oublie-moi si vraiment ça rouille en ce moment abandonne-moi sur le parvis des église vide-moi des centre-villes à coups d'arrêtés municipaux MAIS PAR PITIÉ laisse-moi dormir une heure de plus.