20/05/2013
Cher Michel Thomas
Cher Michel Thomas,
Quand je t'ai aperçu le mois dernier sur la couverture d'un magazine culturel au-dessus de tout soupçon d'un point de vue purement postmoderniste, je t'avoue que ma première réflexion a été celle-ci : " Tiens, ils ont déterré la momie de Burroughs. Elle va moins bien qu'avant... "
Et puis j'ai compris que c'était de toi qu'il s'agissait. Un choc.
Jusque là, j'avais entretenu une relation tellement ambivalente et compliquée avec ton oeuvre, faite de haine et d'intérêt malsain, qu'il semble incroyable que tu ne sois pas ma ville natale. On disait que tu étais un poète, le dernier à la fin du millénaire à enfiler les syllabes en comptant sur tes doigts pour arriver à huit à tomber à plat de rime en fin de vers. Ce n'était pas vraiment bon. Ce n'était pas vraiment sincère. Ça sentait le cahier d'écolier et la posture dix-neuvièmiste réchauffée au micro-ondes. Pourquoi j'aimais ça ? J'ignore si je pourrai un jour répondre à cette question, ni si c'est vraiment souhaitable. Disons que j'étais trop jeune. À cet âge on a besoins de repères.
Et quel autre repère aurais-je pu voir à l'époque? Tu bouchais le paysage. Tu t'étais fait un nouveau nom, visible comme un zona au milieu de la figure, avec des C et des Q entrechoqués au mépris de nos respirations difficiles. Un nom facile à référencer, des années avant la généralisation d'internet. Un nom qui allait bien avec ta voix traînante, tes yeux mornes-whisky et ta manière particulière de tenir ta cigarette, entre majeur et annulaire. Tout en toi était si furieusement marketing, que pendant dix ans, on n'a vu que toi sur les étalages, dans les rayons, aux pages de pubs des pires émissions de variétés...
Et il y avait tes romans. Tes romans, parlons-en : tellement intelligents, tes romans. Tellement structurés par l'esprit de synthèse, que le monde visible - pas que ton monde, le nôtre aussi, par contrecoup - s'était brusquement réduit aux dimensions de tes poignées d'amour pâlottes.
Nous étions tous devenus des cadres moyens en manque affectif.
Sale période de ma vie : c'est difficile de vivre en cadre moyen blasé quand on culmine à 800 euros par mois. Et c'est difficile de croire en la vie comme un parc d'attraction sous la pluie quand on connaît la joie intense de fumer des clopes illicites au soleil, près du broyeur à cartons d'une usine agroalimentaire. J'ai même failli arrêter d'écrire.
Et voilà que tu reviens à la poésie. Si on était face à face, j'en rougirais probablement, mais là, dans le secret confessionnel de ce blog, je peux l'avouer : ça m'a remonté le moral. Pas que la vue de ta maigreur soudaine m'ait contrarié outre mesure - les grands hommes, ça meurt, c'est même comme ça que ça se solidifie. Mais enfin, depuis le temps, obliger les critiques littéraires parisiens les plus branchouilles à lire et à chroniquer du vers, et même pas du vers libre, c'est déjà un spectacle qui vaut son prix en papier.
J'ai longuement hésité avant de me procurer ton recueil. Beaucoup de tes collègues méritaient davantage que je consacre mes maigres deniers à leurs droits d'auteurs anorexique. Des VRAIS poètes, pour certains. Et des romanciers de bonne foi. Et des nouvellistes soucieux d'un minimum de forme.
Je n'y ai pas tenu. J'ai fini par céder. Mieux que ça : je l'ai ouvert, ton recueil.
Et c'est là que le miracle s'est produit : en quatorze ans, tu n'as pas progressé d'une époque ou d'un traité de versification. Ce sont toujours les mêmes octosyllabes poisseux et les mêmes rimes de dictionnaire. Le contenu non plus n'a pas changé. Refus du mystère. Morne sexualité. Prosodie digne d'un guide de montage IKEA. Bref, une poésie réconfortante comme un sex-shop en face du cimetière.
Qu'est-ce que tu y auras gagné ? Pas d'argent, certes. Ni de gloire. Mais peut-être, à l'approche du dernier rivage, un petit rab d'adolescence.
Je te comprends.
Moi aussi, je me ferai baptiser sur mon lit de mort.
17:15 | Tags : poésie, michel thomas, cadres moyens, houellebecq, lit de mort, william burroughs | Lien permanent | Commentaires (1)
18/05/2013
Considérations
on va tous crever
on va tous crever
on va tous crever parce que je déteste plus le type avec lequel j'ai eu des mots au bureau de tabac pour une question de priorité que mes Présidents de la République présents et passés
on va tous crever
parce qu'en quatre Présidents de la République de mon vivant le seul pour qui j'ai voté est le seul que je n'arrive absolument pas à imaginer en train de faire l'amour
on va tous crever
on va tous crever parce qu'on est vendredi qu'il fait moche que Chômage me paraît être le seul nom de Dieu encore valable
on va tous crever parce que j'ai un bouquin à écrire et que je ne sais pas ce qui va gagner en moi du besoin de poésie du besoin de soleil du besoin de
faire l'amour
on va tous crever
parce que même en s'y mettant maintenant
aucun Président de la République passé ou présent n'aura le temps de faire l'amour
à chacun de ses électeurs
au soleil
en lui récitant de la poésie
08:00 Publié dans Gueules de bois | Tags : file d'attente, considérations, on va tous crever, présidents de la r | Lien permanent | Commentaires (1)
16/05/2013
Envoûtements & contre-envoûtements
contre l'instant où je comprends que tout n'est pas si tragique
je chante
contre la réalité de ma boîte aux lettres
je chante
contre la mort et la mauvaise haleine
je chante
contre la rime pauvre qui fait son beurre chez les assonances
et contre le mal de terre dans les couloirs aux heures de pointe
je chante
contre l'impossibilité d'être seul
je chante
contre les timbres qui n'affichent pas Tombouctou ou Zanzibar
je chante
contre la tentation de m'écrouler au prochain tour de Terre
je chante
contre la molesse des pieds et les séries de pompes remises à demain
je chante
contre toutes les réactions où je reconnais un autre que moi
je chante
contre ma prière silencieuse chaque fois que je prends l'ascenseur
contre l'écho de ma voix dans la cour
je chante
contre l'animal tapi sous mon lit malgré dix déménagements
je chante
contre mon filet de voix à perpétuité prépubère
parfois je danse
20:50 Publié dans Conneries | Tags : chamane, envoûtements, je chante | Lien permanent | Commentaires (0)