21/12/2012
Dernier jour
alors ça pour ce qu'on l'attendait ce jour
on va pas se mettre à paniquer parce que ça commence à tanguer
hein
depuis le temps
que Pincemi et Pincemoi attendent la reprise du trafic
hein
on va pas se mettre à faire les bégueules
tenez-vous prêt
vomissez là où on vous dira
et à part ça
tout va bien, merci
à part que c'est long
on s'emmerde encore un peu
et puis merde on ne va pas se lamenter parce qu'on enlève 366 jours aux années bissextiles
3 millions de chômeurs de moins rien qu'ici
dis-toi
on va pas chialer
non
ce qui va se passer aujourd'hui
aucun sorcier ou astronome maya ne l'avait prévu
quand même
ils avaient
plus de respect d'eux-même
08:16 Publié dans Conneries | Tags : titanic, fin du monde, mayas, emmerdement, pincemi & pincemoi | Lien permanent | Commentaires (0)
20/12/2012
Chemises II
Conversation avec Steve. Il vient d'apprendre qu'on lui a refusé ses vacances. Il avait la tête baissée, il ne regardait pas sa clope se consumer, et c'est une erreur. Il y en a qui meurent de ça. À la place, il préférait regarder le halo brun sur sa chemisette blanche. Le halo était bien central, placé plexus solaire, comme si quelque chose battait encore en-dessous, quelque chose de plus important qu'une cigarette. Et le halo était là parce que Steve avait dû remplir un distributeur de ketchup de la main droite pendant qu'il étiquetait des bacs à salade de la main gauche. Et il faisait l'ambidextre parce que, bien sûr, ce jour-là, où on l'avait appelé en catastrophe à sept heures dix pour remplacer le manager d'open à sept heures, il y avait en plus deux absents pour cause de grippe. La grippe grève plus les effectifs que la grève, chez Meecoy. Et crève les managers par intérim.
Steve avait accepté de venir. Pas manager, mais bien managé-mangé de l'intérieur du cerveau, bien dressé, mais pas sur ses ergots, il prend ses trois quarts par semaine et avec ça il demeure mon frère de paye, voilà la vérité : et en le voyant assis là, la tête entre les genoux, j'ai eu moi aussi une grande bouffée-plexus, un grand halo, mais je ne l'ai pas étalé sur mon polo parce que c'était de la compassion et que Steve était assez humilié comme ça. Je me suis assis à côté de lui, j'ai allumé ma cigarette à moi, et j'ai attendu qu'elle agisse sur son transit verbal.
— Incompétent. Jipé a dit incompétent. Mais ce qui fait le plus mal, c'est le petit rire de Gerald.
— Et tu en tires quoi comme conclusion ?
— J'ai pas fini à l'heure. J'ai pas réussi. C'est tout.
— T'es vraiment con...
Je m'en suis voulu. Mais à la réflexion, le terme ne paraît pas totalement improductif, philosophiquement parlant. J'en ai tiré une petite théorie, qui, j'espère, sera reconnue à la hauteur de son sérieux terminologique. La voici.
Théorie définitive de darwinisme anthropologique appliqué à Meecoy
Les managers (et assimilés) se divisent en deux catégories : les cons et les enculés.
Il existe des signes par lesquels un spécialiste peut, d'un seul regard-manager, savoir à qui il a affaire. Et en premier lieu, le signe chemisier :
Les cons ont une chemise tachée.
Les enculés ont une chemise propre.
Il est à noter que les enculés ne sont pas forcément des enculés. Je veux dire, ils sont pas tous forcément du genre à se jeter à l'eau pour faire les poches de l'homme qui se noi. Mais on remarquera qu'ils ont toujours les bons plannings, qu'ils obtiennent les dates de congés payés qu'ils désirent, qu'ils ont une facilité surnaturelle à gravir les échelons, et qu'ils éteignent leur portable la nuit, condition propédeutique indispensable à leur non-corvéabilité pour les imprévus de l'open.
On sait peu de choses sur les causes génétiques ou sociologiques qui font de tel ou tel manager un con ou en enculé pour l'ensemble de sa carrière, mais tout porte à croire que cette orientation est, sinon innée, du moins déterminée très tôt, avant le début du parcours professionnel, et dérive d'un ensemble de traits comportementaux qualifié vulgairement de personnalité. Ce qui nous amène au deuxième signe infaillible d'enculage :
Les cons regardent leurs chaussures. Les enculés bombent le torse. Comme les membres de l'équipe de direction.
L'état actuel de nos recherches ne nous permet pas d'établir avec certitude si le bombage de torse est une cause ou une conséquence, mais les faits sont là : un enculé d'un mètre soixante-dix fait une tête de plus qu'un con d'un mètre quatre-vingt-quinze.
La machine Meecoy, pour fonctionner, a besoin des deux : les enculés fournissent le contingent des futurs directeurs et directeurs-adjoints, et offrent une plus-value d'image à l'entreprise. Les cons font tourner la machine, assurent les remplacements, rustinent les avaries.
J'aimerais bien me compter moi-même parmi eux. Être un vrai con, bien franc, bien taché, bien nettement du côté des victimes. Mais là un épouvantable doute m'étreint : est-ce que je peux vraiment être un con, si j'en suis conscient ?
Encore que la conscience ne suffise pas. Steve n'est pas assez con pour ne pas savoir qu'il est con. Mais jamais il ne le dira. C'est ça qui le sauve.
Extrait de Fast Food, work in progress.
08:00 Publié dans Conneries | Tags : chemise, connerie, manager, fast food, cons & enculés, théorie définitive, travail | Lien permanent | Commentaires (0)
19/12/2012
Chemises
Il l'avait dit dans son mail : A bientôt pour d'autres aventures. Parce qu'il y en a, à raconter...
Je m'étais imaginé des trucs épiques ou dramatiques, des intrigues espagnoles, une femme, un sursaut d'activisme révolutionnaire, un marsoin, une symphonie, un VRAI boulot qui ne laisse pas chaque soir des cloques sur les mains... P., je le connaissais du fast-food, on était devenu amis dans des cuisines gluantes, il avait exercé en France et en Belgique, survécu à tout ça sans jamais dépasser le grade de Chargé de Formations, un statut intermédiaire entre équipiers et managers, qui permet de s'épargner les corvées de chiottes pour 3 centimes de plus de l'heure, mais sans émerger vraiment de la masse... Survivre, quoi.
Je lui ai illico téléphoné, ce qui est contre nos principes, mais là, l'enjeu était trop important.
- Alors, c'est quoi ? Un ticket gagnant au loto ? Une série de tableaux abstraits ? Un casoar ? Dis-moi vite !
- Eh bien, voilà : si tu reviens bouffer à M., un de ces quatre, tu nous verras en chemise, B. et moi.
- Comment ?... En chemise ?... Tu veux dire que tu... que vous passez managers ?...
(Je les vois déjà à quarante ans, exténués, répétant dans leur sommeil des pardon et des s'il vous plaît sans suite, pendus à des crocs de bouchers par des aimables clientèles, les mains attachées derrière le dos avec des guirlandes de tickets de caisse.)
- Non, non, t'en fais pas, c'est juste que les chargés de formations ont des chemises et des cravates, maintenant.
J'ai poussé un soupir de soulagement. J'étais même un peu déçu. Et puis, j'ai réfléchi.
C'est un événement considérable.
Tout ce que j'ai connu, moi, en trois ans de fast-food, tout ce en quoi j'ai cru, balayé.
Ah les salauds.
08:53 Publié dans Bouts de peau | Tags : chemise, manager, fast food | Lien permanent | Commentaires (0)