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18/06/2023

BOUDDHISME - LE BORDEL

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C’est un vieux et quand je dis un vieux je veux dire un très vieux disons genre cent quatre ans. C’est un vieux à la mode du Japon, il a peu bouffé de trucs qui font mourir, je veux dire qui font mourir jeune. Il est chauve, par ailleurs il a fait peu de mouvements dans sa vie et toujours les mêmes toujours dans le même ordre, mesurés au millimètre.
 
Il est deux heures du matin et deux chauves beaucoup plus jeunes que lui le désencastrent de son lit l’installent dans un fauteuil roulant. Lui mettent un petit chapeau genre Grand Schtroumpf mais doré. C’est une histoire d’encastrement cette histoire car ils le promènent dans quelques couloirs, le posent sur un coussin où il termine de s’encastrer lui-même : pied droit sur la cuisse gauche, pied gauche sur la cuisse droite. La position réclame une souplesse des jambes dont nous nous croyons incapables – nous touristes, occidentaux, individualistes – mais ça fait quatre-vingt-quinze ans qu’il passe plusieurs heures par jour dans cette position.
 
On est maintenant dans une pièce très belle très dépouillée, comme tout ce qu’on a vu depuis le début du reportage : une rangée d’autres chauves est assise face au mur, tête baissée mais pas trop, yeux mi-clos mais pas trop, ils contemplent.
Ce sont des moines. Quelque part crame de l’encens, c’est normal : on est dans un monastère. Le monastère Eihei-ji, dans la préfecture de Fukui, au Japon, haut lieu de l’école Sōtō, un des principaux courants du Zen – Zen comme dans la chanson de Zazie : soyons Zen. Comme dans mon offre box internet-mobile-télé numérique : Open Zen Orange + Livebox fibre.
 
Il est deux heures du matin et même pour eux c’est raide, de temps à autres un crâne (chauve) décrit un arc de cercle, articulé qu’il est sur une colonne vertébrale et c’est bien naturel, nous le serions à moins. Alors un chauve debout derrière et dont c’est la tâche aujourd’hui assène un coup de bâton très beau très dépouillé sur chaque épaule relié au cou trop souple.
 
Pourquoi font-ils tout ça ? Parce qu’un type, il y a deux mille cinq cents ans, s’est assis sur une pierre et est resté sans bouger pendant quarante-neuf jours.
 
À l’endroit où l’on s’asseoit, on étend un support épais et on y place un coussin rond. On s’asseoit soit dans la posture du lotus, soit dans celle du demi-lotus. Dans la posture du lotus, on place d’abord le pied droit sur la cuisse gauche, puis le pied gauche sur la cuisse droite. Dans celle du demi-lotus, on ne presse que le pied gauche sur la cuisse droite. Le kesa et la ceinture doivent être noués sans être serrés et convenablement arrangés. Puis on place la main droite sur le pied gauche et la main gauche sur la main droite. Les pouces se pressent l’un contre l’autre.
 
Ce n’est pas Ekiho Miyazaki, père supérieur du monastère Eihei-ji, dans la préfecture de Fukui, au Japon, et adepte de cette pratique depuis quatre-vingt-quinze ans qui me l’a glissé dans le creux de l’oreille mais Dōgen (1200-1253), fondateur de l’école Sōtō zen et premier supérieur en titre du temple Eihei-ji, premier d’une lignée de quatre-vingt patriarche, il l’a dit ça dans « Fukan zazengi », un texte parmi des milliers d’autres écrits car il fut un écrivain très prolifique, et qu’on trouve cette traduction par Eric Rommeluère dans Les Fleurs du vide : anthologie du bouddhisme soto zen, trad., Grasset, 1995, et que moi je l’ai découverte dans un bouquin intitulé Zen et punk de Brad Warner, moine zen et bassiste punk, fondateur et premier supérieur en titre du Angel City Zen center à Los Angeles, États-Unis d’Amérique.
 
Alors on redresse le corps et on s’assoit droit. On ne doit pencher ni à gauche, ni à droite, ni en avant, ni en arrière. Il faut que les oreilles soient alignées avec les épaules et que le nez le soit avec le nombril. La langue est placée contre le palais. Les lèvres et les dents se joignent. Habituellement, les yeux doivent être ouverts. La respiration passe imperceptiblement par le nez. La posture étant alors assurée, on respire une fois la bouche entrouverte puis on se balance de droite et de gauche. Immobile, sis dans le samadhi on pense le fond de cette non-pensée. Comment penser le fond de la non-pensée ? Sans penser. Tel est l’art essentiel du zazen.
 
Et puis ? Et puis que dalle. On reste comme ça et on observe ce qui se passe.
Je fais ce qu’on me dit. Je m’asseois. Ce n’est pas une mince affaire parce que je n’ai pas un coussin rond comme en fabriquent les Japonais, je n’ai pas non plus la souplesse des membres inférieur d’un vieux qui a passé quatre-vingt-quinze ans à faire zazen mais je m’en sors avec mon pied droit, ma cuisse gauche. C’est raide au niveau des lombaires et il faut que je pense sans arrêt à coller ma langue au palais, puis ce sont ma vessie, une vieille envie de cigarette qui s’invitent, sans compter les pensées qui se tirent la bourre pour s’imposer toutes en même temps.
 
Mais je continue. Il s’agit de faire confiance. D’après ce que j’ai lu, si je suis le programme, si je m’astreins à la pratique, à un moment, c’est obligé, tous les bouddhas du passé du présent du futur viendront se perche sur mon épaule droite, à regarder avec bienveillance ce que je vais pouvoir faire de tout ça. Alors je fais ça : zazen. Et je lis.
 
Je lis Zen et punk de Brian Warner.
 
Je lis Agir et penser comme un maître zen de François Busson.
 
Je lis Les Dévots du bouddhisme et Qu’ont-ils fait du bouddhisme ? de Marion Dapsance.
 
Je lis Questions à un Maître Zen de Taïsen Deshimaru.
 
Je lis Dharma et créativité de Chödiam Trungpa.
 
Je lis La Pérégrination vers l’ouest de Wu Cheng'en.
 
Je lis un prospectus du Centre Bouddhiste Kadampa Lamrim Lyon Vaise, trouvée dans un magasin de thé.
 
Je mate Un maître du Sōtō zen - 1902-2008 - 95 ans de zazen, diffusé sur Arte en 2014.
 
Je me rappelle les mots d’un ami – il est chauve, il écrit des livres, mais pas de développement personnel – les gens qui commencent à s’intéresser aux spiritualités ont toujours un moment bouddhiste au début. Parce que le bouddhisme, à la base, c’est l’histoire d’un gars qui se prend la réalité dans la figure.
 
Je lis des pages Wikipédia. Des pages Wikipédia. Des pages Wikipédia.
 
J’apprends : que le bouddhisme est une religion qui tire ses fondements d’un type qui aurait vécu vers le VIè ou le Vè siècle avant Jésus-Christ, dans un petit royaume situé peut-être en Inde, peut-être au Népal. Le type rejeton d’une famille royale, s’appelait Siddhārtha du clan Gautama, on l’appellera au Shakyamuni, Bouddha, et de plein d’autres noms, traduits dans plein d’autres langues. Qu’il était – Inde, temps jadis – issu d’une caste guerrière, que son père pour un tas de raisons qui font que nous les pères faisons un tas de conneries en croyant bien faire pour nos enfants, l’avait surprotégé, le maintenant vingt-neuf ans durant dans l’ignorance de tout ce qui aurait pu lui donner envie de se faire ermite – souffrance, maladie, mort, toutes ces choses désagréables. Mais à vingt-neuf ans justement, au cours d’une balade, il aurait rencontré je vous le donne en mille : un vieillard, un malade, un cadavre, un ermite.
 
Ce fut une révélation :
 
QUI VIT, EN CHIE.
 
Siddhārtha quitte tout – sécurité, thune, confort, famille – pour se faire ermite lui-même. Se met à pratiquer des trucs assez extrêmes – faim, soif, mortifications, méditations marathon – pour se libérer de la souffrance. Court les maîtres spirituels, premier de la classe à chaque fois et invité par le maître à lui succéder, décline chaque fois, n’a pas atteint l’Éveil – une espèce de connaissance façon flash éblouissant non-conceptuel de tout et pour toujours que vous trouvez des fois quand vous passez assez de temps assis ou à meurtrir votre corps – augmente la dose de faim, soif, mortifications toujours plus extrêmes jusqu’au jour où il faillit en crever et décide, enfin, de se remettre à bouffer dormir, et de se concentrer sur la méditation.
 
Il y a ensuite l’histoire d’un arbre, sous lequel il s’asseoit. Un bol de riz au lait qu’on lui donne, un démon qui vient le tenter, d’autres trucs, et bref il le connut, enfin, l’Éveil, on l’appela désormais BOUDDHA sans surprise ça veut dire : l’éveillé.
Puis, comme d’autres sages par le monde et l’histoire, par exemple on va dire, JÉSUS SOCRATE et d’autres, rassembla des disciples enseigna des trucs, et comme JÉSUS SOCRATE et d’autres, n’écrivit pas de trucs, se fia à l’exemple à la parole, pourquoi pas, ça le regarde mais le problème de la transmission orale est le problème de l’évolution des sens et des mots dans les langues est le problème du téléphone arabe, et lorsque plus tard bien plus tard Gautama Bouddha accéda au parinirvāṇa, c’est-à-dire la chose que vous feriez vulgairement et que vulgairement vous appelleriez mourir, lorsqu’il fut enfin débarrassé de la souffrance la vieillesse et le mort et tous les autres phénomènes qui nous pourrissent la vie donc, et quand plus tard bien plus tard ses disciples ou les disciples de ces disciples ou les disciples de ceux-ci comme pour JÉSUS SOCRATE décidèrent de se mettre d’accord pour fixer un enseignement qu’il n’avait donné que par bribles, aphorismes, voire des gestes cryptés très très très subtils afin d’en faire un tout cohérent à transmettre aux suivants, ce fut
 
LE GROS BORDEL
 
et comme pour ceux et celles qui se réclamèrent de (JÉSUS SOCRATE d’autres) ce bordel dure toujours.
 
On peut passer sa vie à étudier ça. Apprendre des langues anciennes. Des langues asiatiques. Comparer des sources, tâter de la philologie, de l’anthropologie, de l’archéologie. Remuer des vieilles pierres, vivre avec des jeunes bonzes au Tibet, en Birmanie, au Laos. Passer sa vie dans les bibliothèques les avions, courir les colloques, publier des thèses diriger des ouvrages collectifs, débattre âprement sur des points minuscules. Moi je n’ai pas le temps, je ne suis pas universitaire, je suis poète, je dois penser à votre âme, à votre pognon.
Alors, je continue à lire de tout, au hasard, dans n’importe quel ordre. Ce n’est pas la méthode la plus rapide pour arriver à l’Éveil mais du point de vue de la bibliothèque je suis né sous le signe du rat. C’est ma joie, ma malédiction. Et comme pour la vie, je comprends quand même quelques trucs, superficiels et approximatifs, par la bande.
 
Je comprends qu’il y a un tas de gens qui relèvent que dans de nombreux pays le bouddhisme est une religion très structurée et hiérarchisée avec un clergé strict et un patrimoine économique et immobilier plus balaise que le Vatican et un tas d’autre gens qui rétorquent SURTOUT PAS !!! CE N’EST PAS UNE RELIGION, C’EST UNE PHILOSOPHIE !!! Mais que pas grand monde ne s’attarde à définir ce qu’est RELIGION ou PHILOSOPHIE ou à me dire si ces concepts existent en sanskrit en pali ou en chinois médiéval. Que comme pour JÉSUS SOCRATE la vie et les enseignements de Shakyamuni Gautama Bouddha ont donné lieu à une PUTAIN DE PROLIFÉRATION DE CENTAINES DE MILLIERS DE TEXTES au cours des siècles et de l’export dans différents pays différentes langues, PIRE QUE LA PRODUCTION ACTUELLE DE LIVRES DE DÉVELOPPEMENT PERSONNEL, et que c’était fatal cette prolifération de textes a donné lieu à une prolifération de courants et d’écoles qui reconnaissent tel texte ou tel texte mais pas celui-ci ou pas celui-là. Que dans certains cas on attendait du pratiquant de la pratiquante qu’il ou elle se rase la tête, s’abstienne de manger des cadavres, croient en des super-pouvoirs et en la surnaturelle longueur des lobes de ce type assis il y a deux mille cinq cents ans justement, et dans d’autres cas, non. Que dans d’autres il s’agissait de buter un maximum de musulmans avant qu’ils se reproduisent trop et nuisent à la pureté de la race. Que dans d’autres encore il suffisait de s’asseoir – pied droit sur la cuisse gauche, pied gauche sur la cuisse droite – ET PUIS C’EST TOUT mais de s’asseoir et puis c’est tout en japonais. Que certains courants sont dits du Petit Véhicule d’autres du Grand Véhicule mais qu’on n’aime plus trop cette terminologie qui peut être discriminante. Mais que les pratiques sont tout à fait différentes. Qu’au Japon, dans les temples zen, des chauves se consacrent à la pratique du zazen, qui consiste à s’asseoir en se butant les articulations et à concentrer son souffle – le reste du temps, ils administrent des temples qui sont des énormes entreprises de pompes funèbres, et se livrent à des rites de purification très compliqués, calculés au millimètre près. Que certains autres pensent au contraire qu’il faut effectuer quotidiennement quelques centaines de prosternations en récitant des prières en tibétain pendant plusieurs années pour commencer à approcher le début de quelque chose. Que le Centre Bouddhiste Kadampa Lamrim Lyon Vaise propose des prières pour la paix dans le monde le mardi soir à 19h15 – et que d’après les photos, la méditation rend bonne. Que le bouddhisme n’existe presque plus en Inde, mais qu’il a chopé au passage d’autres sagesses du coin – tantrisme, hindouisme, jaïnisme – des tas de légendes et de personnages mythiques, dieux, saints, génies, démons. Que plein de gens ont d’excellentes raisons de vous dire que le but de la pratique est la poursuite du bonheur individuel mais que plein d’autres ont d’excellentes raisons de vous dire que le but de la pratique est de se purifier des péchés commis dans les vies antérieures et ainsi de mettre un terme au cycle des renaissances. Qu’en Thaïlande tu peux faire des années de taule si tu t’es nettoyé les fesses avec une représentation de Bouddha. Qu’au Japon on considère que ranger ses pantoufles est une pratique de haute méditation car si les chaussons sont de travers l’esprit aussi. Que c’est dans le zen que sont censés avoir pris racine les arts martiaux chinois. Qu’en Birmanie on organise volontiers un génocide conforme au Dharma. Qu’existe un type nommé Tenzin Gyatso, aussi appelé Sa Sainteté le Dalaï-Lama, qu’il est d’une sagesse rare, fait des blagues, aime bien passer à la télé. Que des types plus sinistres existent également, qui utilisent volontiers leur aura mystique pour faire des tas de trucs horribles à base de voitures de luxe, de temples plus blancs que blancs, d’organes sexuels. Que je vois passer des noms comme Sogyam Rinpoché, Chödiam Trungpa, Robert Spatz, des mots comme Folle Sagesse, emprise, agressions sexuelles. Que toutes ces choses existent et sont rangées sous le terme bouddhisme qui m’a l’air d’avoir une bien vénérable soyeuse barbe blanche en tant que terme mais que malgré ça tous ces gens qui font toutes ces choses contradictoires prétendent être les pratiquants du VRAI BOUDDHISME et que les autres se foutent le doigt dans le dharma jusqu’au chakra du coeur – mais qu’ailleurs, quelque part ou nulle part, en tout cas dans une dimension a priori peu matérielle, les bouddhas du passé du présent du futur, se marrent en regardant tout ça et suent la compréhension la compassion pour toutes les choses tous les êtres.
 
Je rectifie ma position. Mon dos est devenu une double zone de guerre : quand j’essaye de détendre du côté des lombaires, un coup entre les omoplates. Mes chevilles sont écartelées et je n’ai plus de sensations dans les oreilles. Sitôt que j’arrête de penser à ma respiration je fais des apnées qui se terminent comme après un sprint, avec le coeur qui bat la chamade. Un petit être dans mon cerveau me chante des idioties sur le thème : il y a des milliers de sortes de fromages dans le monde. Il y a des milliers de sortes de bouddhisme. Il y a des milliers d’espèces d’insectes dans le monde. Il y a des milliers de sectes chrétienne. Il y a des milliers de formes de sexes dans le monde, il y a des milliards de façon de considérer la spiritualité. Il y a des millions d’espèces de vers inconnues, d’arbres en train de mourir, de types de roches mal décrites, au gué ! Et moi qui cherche l’unité.
 
Je rectifie ma position. Sur mon épaule gauche, tous les bouddhas passés et futurs se sont concrétisés en une seule et même figure, elle s’appelle Brad Warner, un gars un peu rond d’une soixantaine d’années mais qui en fait maximum 45, il a l’air super sympa, bien qu’amerloque et végétarien. Il a eu des groupes de punk et en garde un côté décontracté irrésistible, j’aimerais bien le connaître en vrai. Il a écrit ce bouquin, Letters to a dread friend about Zen traduit par Guillaume Meynard sous le titre Zen et punk et en vrai je pouvais pas trouver mieux comme introduction au bouddhisme – mais mon cerveau au bord de la surchauffe ne peut pas s’empêcher de résonner de la question BORDEL, POURQUOI EST-CE QUE C’EST LUI QUE JE CROIRAIS ET PAS UN AUTRE ???
 
POURQUOI TOUS LES INDIENS CHINOIS VIETNAMIENS NE VIVENT PAS DANS La TOTALE FÉLICITÉ ??? POURQUOI EN THAÏLANDE C’EST LA MERDE, POURQUOI LES JAPONAIS SE TUENT AU BOULOT ET POURQUOI LES BIRMANS BUTENT DU MUSULMAN AU LIEU DE CONTEMPLER LA VACUITÉ ???
 
C’est alors qu’une autre entité apparaît sur mon épaule gauche. Femelle, c’est comme ça. Du genre très brillante, multi-diplômée, docteure en choses, spécialiste de trucs. Le bouddhisme, la méditation, elle s’y est frottée, elle a écrit des livres, on l’a invitée à en parler à des tables rondes. Il y a quelque chose en elle de particulièrement pas zen, singulièrement pas punk, une raideur dans le maintien, une fébrilité, quelque chose de brûlant dans le regard, une couronne de cheveux frisés châtain-roux qui évoquent Elisabeth première. Elle me fait un peu flipper. Me fascine un peu. Elle parle. Je suis perdu dans mes associations d’idées depuis un bon moment, et je mets un moment piger que c’est justement de moi qu’elle parle, d’une voix à pas mettre les coudes sur la table :
 
Le Bouddha semble en effet avoir estimé que la méditation était trop exigeante pour les laïques, qui devaient pouvoir se consacrer à leur travail dans le monde. Le principal moyen mis à leur disposition par le Bouddha pour espérer pouvoir se réincarner en moine était essentiellement celui des dons à la communauté monastique. Au sein même des monastères bouddhistes d’Asie, seule une minorité de moines se consacraient effectivement à la méditation – y compris dans la tradition zen. Les monastères ont en effet besoin, pour fonctionner, de moines qui se consacrent à la direction de l’établissement, aux finances, aux services liturgiques destinés aux laïques, à la copie des écritures, aux travaux agricoles, à la cuisine, aux tâches ménagères, etc. Au Tibet, la pratique de « la méditation » n’est d’ailleurs pas connue.
 
Elle s’appelle Marion. Marion Dapsance.
 
La « pleine conscience », (…) ce n’est que récemment qu’elle a émergé comme « technique de l’esprit » prééminente, capable de soigner, « dans la conscience sans jugement du moment présent », l’obésité, la pression artérielle, le stress, l’eczéma ou les relations amoureuses.
 
Tu te fais baiser, voilà ce qu’elle me dit en substance : tout ce que tu crois être en train de faire pour ton corps et ton esprit n’est qu’une pauvre parodie vendue aux touristes dans des boutiques hors de prix et qui n’a d’asiatique que l’usine à gosses dont elle sort – c’est pas ton âme, c’est ton pognon qu’on veut voir progresser vers l’harmonie universelle.
 
À vrai dire, il faut avoir de l’argent pour s’engager dans le bouddhisme : adhésion à l’association, frais de cours, frais de retraites, dons au lama, achat de livres, de livrets et d’objets liturgiques, pèlerinages éventuels en Inde ou dans les régions himalayennes, parrainage d’enfants ou de moines en vue de purification de son karma… […] Il faut tout d’abord disposer de beaucoup de temps libre et éviter les engagements familiaux.
 
Je rajuste ma position. Fuck ma langue échappée du palais. Mes engagements familiaux. Mes clés. La dernière engueulade à propos des clés. Et. Je me rends à l’évidence. Je pense à Matthieu Ricard, à Alexandre Jollien, à Fabrice Midal. C’est foutu pour mon zazen.
 
Je n’ai pas de chauve pour me filer un bon coup de bâton sur l’épaule. Je n’ai pas de chauve pour me filer un bon coup de bâton sur l’épaule et maintenant les entités de mes épaules s’invectivent pire que sur Twitter, se lancent des trucs à la figure, des chaussures, des rosaires, des mouchoirs usagés. Pas de raison d’accorder assez ma confiance à un chauve pour lui permettre de me latter les épaules pour me remettre dans le droit chemin.
 
Tant pis. Je réessayera.

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