23/12/2019
Jean-Claude requiem XII
Ensuite ?
Se passe ce qui se passe comme vu plus haut pour les décès à domicile, le week-end de surcroît : réquisition de ma pote Maeva babysitter d’astreinte, autopsie. Bien.
Mais ensuite.
Ensuite il est bon de savoir que les cercueils standard sont conçus pour accueillir des personnes standard : une personne standard quels que soient son sexe sa religion sa culture littéraire sa chance au Quinté + étant conçue pour mesurer jusqu’à un mètre quatre-vingt-dix
et peser cent kilos
maximum.
Au-delà de ces dimensions : les pompes funèbres ainsi que votre caisse de prévoyance vousprient de bien vouloir prévenir en avance que vous allez mourir.
Ceci afin de mieux vous servir, de pouvoir procéder à la fabrication d’un cercueil hors cote.
Dans les meilleurs délais.
Merci de votre compréhension.
S’en suit une scène assez confuse comportant des mères des sœurs et des mouchoirs en papier. On sait que le ton monte, on sait que le mot curatelleest prononcé, le mot mafiaégalement, lescurateurs faisant ici office de parrains parfaitement organisés pour faire les poches du populo, et ces salauds des pompes funèbres, je ne dis pas ça pour vous ma petite dame mais quand même.
Quelques considérations assez obscures sont prononcées :
… et la TVA si c’est pas de l’argent pour les francs-maçons, c’est quoi, hein, c’est quoi ???...
…salaud de médecin à l’autopsie qu’est-ce que ça lui coûtait de lui retirer sa graisse ???...
…demander une contre-autopsie, faire un procès, je vous jure, je vous jure…
On sait qu’une sœur tente de calmer une sœur, lui rappelle : ses médicaments, de souffler un grand coup, ça ne sert à rien de gueuler, ce qu’il faut c’est trouver une solution.
Et de fait, c’est ça qu’il faut : trouver une solution. Des solutions actuellement existent, en chêne, en pin, en carton même pour les défunt.e.s ayant conscience écologique.
Des solutions existent, avec étalement des versements, en plusieurs fois, notez bien au dos des chèques la date à laquelle vous souhaitez qu’ils soient encaissez.
Nous ferons un petit effort sur la prise en charge et l’embaumement.
Nous ne sommes pas là pour spéculer sur la douleur de ceux qui restent.
Non madame.
Il y va de l’image de marque de la maison.
Solution donc est trouvée, et matériau, et étalement des versements.
Bienveillance dans la voix est ouïe, hochement de tête compatissant capté, et même si ça gueule encore un peu d’une façon ou d’une autre réconfort en minidose est apporté.
Ensuite, avec infiniment de douceur et de compréhension, avec les circonlocutions d’usages lorsqu’on travail avec et sur le deuil des gens, sur leur tristesse, leurs souvenirs, leurs sentiments contradictoire à vif, on tente de faire comprendre – à la famille, donc, qui d’autre ? – qu’il est probable que même en faisant ce qu’il faut, avec la meilleure volonté du monde, un cercueil hors cote étant un cercueil hors cote, une fosse standard une fosse standard, le défunt – i.e. : son corps, son souvenir, son costume de bois même au moins cher – mathématiquement – car les mathématiques se foutent de notre peine, de nos sentiments contradictoires, des grandes tournants de notre histoire familiale, malgré tout l’attachement que nous portons à votre satisfaction – risque d’occuper un peu plus d’une place dans la fosse à M. Jean-Claude dévolue, dans la fosse qui l’attend depuis quinze ans que le père est mort, c’est-à-dire dans le CAVEAU FAMILIAL.
Dont il faut dire au passage qu’il s’agit d’un caveau familial quatre place, alors que, tous comptés, pères, pères sœurs, frère unique et solitaire, on a affaire, on a affaire, sans que le mot affaire soit à prendre ici comme une marque de mesquinerie comptable (reprenez un mouchoir madame, je vous en prie), on a affaire, À UNE FAMILLE DE CINQ PERSONNES.
Les solutions ? Elles existent : on sait par exemple que sur les deux sœurs qui participent à cette scène, une a un époux, et qu’il est possible, pourquoi ne pas l’envisager, et sans insister dessus car ce n’est pas parce que la mort est notre métier que nous souhaitons celle de qui que ce soit, qu’il est possible qu’un jour, le plus loin et le moins douloureux possible, cette sœur mariée s’en aille rejoindre – ou attendre – son époux dans une fosse à eux réservés, qui sait.
Ensuite ?
Se passe ce qui se passe comme vu plus haut pour les décès à domicile, le week-end de surcroît : réquisition de ma pote Maeva babysitter d’astreinte, autopsie. Bien.
Mais ensuite.
Ensuite il est bon de savoir que les cercueils standard sont conçus pour accueillir des personnes standard : une personne standard quels que soient son sexe sa religion sa culture littéraire sa chance au Quinté + étant conçue pour mesurer jusqu’à un mètre quatre-vingt-dix
et peser cent kilos
maximum.
Au-delà de ces dimensions : les pompes funèbres ainsi que votre caisse de prévoyance vousprient de bien vouloir prévenir en avance que vous allez mourir.
Ceci afin de mieux vous servir, de pouvoir procéder à la fabrication d’un cercueil hors cote.
Dans les meilleurs délais.
Merci de votre compréhension.
S’en suit une scène assez confuse comportant des mères des sœurs et des mouchoirs en papier. On sait que le ton monte, on sait que le mot curatelleest prononcé, le mot mafiaégalement, lescurateurs faisant ici office de parrains parfaitement organisés pour faire les poches du populo, et ces salauds des pompes funèbres, je ne dis pas ça pour vous ma petite dame mais quand même.
Quelques considérations assez obscures sont prononcées :
… et la TVA si c’est pas de l’argent pour les francs-maçons, c’est quoi, hein, c’est quoi ???...
…salaud de médecin à l’autopsie qu’est-ce que ça lui coûtait de lui retirer sa graisse ???...
…demander une contre-autopsie, faire un procès, je vous jure, je vous jure…
On sait qu’une sœur tente de calmer une sœur, lui rappelle : ses médicaments, de souffler un grand coup, ça ne sert à rien de gueuler, ce qu’il faut c’est trouver une solution.
Et de fait, c’est ça qu’il faut : trouver une solution. Des solutions actuellement existent, en chêne, en pin, en carton même pour les défunt.e.s ayant conscience écologique.
Des solutions existent, avec étalement des versements, en plusieurs fois, notez bien au dos des chèques la date à laquelle vous souhaitez qu’ils soient encaissez.
Nous ferons un petit effort sur la prise en charge et l’embaumement.
Nous ne sommes pas là pour spéculer sur la douleur de ceux qui restent.
Non madame.
Il y va de l’image de marque de la maison.
Solution donc est trouvée, et matériau, et étalement des versements.
Bienveillance dans la voix est ouïe, hochement de tête compatissant capté, et même si ça gueule encore un peu d’une façon ou d’une autre réconfort en minidose est apporté.
Ensuite, avec infiniment de douceur et de compréhension, avec les circonlocutions d’usages lorsqu’on travail avec et sur le deuil des gens, sur leur tristesse, leurs souvenirs, leurs sentiments contradictoire à vif, on tente de faire comprendre – à la famille, donc, qui d’autre ? – qu’il est probable que même en faisant ce qu’il faut, avec la meilleure volonté du monde, un cercueil hors cote étant un cercueil hors cote, une fosse standard une fosse standard, le défunt – i.e. : son corps, son souvenir, son costume de bois même au moins cher – mathématiquement – car les mathématiques se foutent de notre peine, de nos sentiments contradictoires, des grandes tournants de notre histoire familiale, malgré tout l’attachement que nous portons à votre satisfaction – risque d’occuper un peu plus d’une place dans la fosse à M. Jean-Claude dévolue, dans la fosse qui l’attend depuis quinze ans que le père est mort, c’est-à-dire dans le CAVEAU FAMILIAL.
Dont il faut dire au passage qu’il s’agit d’un caveau familial quatre place, alors que, tous comptés, pères, pères sœurs, frère unique et solitaire, on a affaire, on a affaire, sans que le mot affaire soit à prendre ici comme une marque de mesquinerie comptable (reprenez un mouchoir madame, je vous en prie), on a affaire, À UNE FAMILLE DE CINQ PERSONNES.
Les solutions ? Elles existent : on sait par exemple que sur les deux sœurs qui participent à cette scène, une a un époux, et qu’il est possible, pourquoi ne pas l’envisager, et sans insister dessus car ce n’est pas parce que la mort est notre métier que nous souhaitons celle de qui que ce soit, qu’il est possible qu’un jour, le plus loin et le moins douloureux possible, cette sœur mariée s’en aille rejoindre – ou attendre – son époux dans une fosse à eux réservés, qui sait.
Mais. Cependant.
Cependant ni cette voix ni ces circonlocutions ni cette bienveillance ni ce hochement de tête ne sont préparés à ce qu’on découvre ensuite, et qui peut se résumer à l’équation suivante :
les curateurs peuvent bien être une mafia
MAIS
parfois les marbriers dans leur genre ne sont pas mal non plus,
NOTAMMENT
lorsqu’ils sont à deux mois de la retraite
ET
qu’ils se permettent à ce titre de saloper le boulot.
Mais. Cependant.
Cependant ni cette voix ni ces circonlocutions ni cette bienveillance ni ce hochement de tête ne sont préparés à ce qu’on découvre ensuite, et qui peut se résumer à l’équation suivante :
les curateurs peuvent bien être une mafia
MAIS
parfois les marbriers dans leur genre ne sont pas mal non plus,
NOTAMMENT
lorsqu’ils sont à deux mois de la retraite
ET
qu’ils se permettent à ce titre de saloper le boulot.
07:24 Publié dans Jean-Claude | Lien permanent | Commentaires (0)
19/12/2019
Jean-Claude requiem XI
Pendant que je – pendant que nous – abordons ces hauts enjeux spirituels le corps de Jean-Claude de son côté n’a pas fini ses aventures.
Etre la personne au monde la plus facile à dessiner n’est pas très bon signe.
Surtout si on ajoute : selon les standards de la bande-dessinée franco-belge pour la jeunesse des années 50.
On parle de Jean-Claude : sphérique.
On parle d’un homme : d’un mètre soixante-quinze environ.
Pour cent cinquante kilos.
A vue de nez.
Un jour je sors du boulot je croise Jean-Claude en civil – pour la première fois en sept ans.
Un : homme en civil quoi de plus normal quoi de plus ordinaire.
Sauf que c’est Jean-Claude, Jean-Claude en arrêt-maladie, jambes enserrées dans une sorte de collant de contention géant qui lui fait comme un plâtre en textile.
Il est en arrêt maladie, j’apprends.
Un : homme en arrêt quoi de plus normal quoi de plus ordinaire.
Nous nous sommes battus pour qu’il en soit ainsi, pour que la sécu la mutuelle du boulot fassent leur boulot.
Comme deux très vieilles déesses domestiques dont on n’a pas de mythe.
Mais dont le culte relève des gestes quotidiens – ceux qu’on n’oublie jamais, ceux qui rassurent : deux fées.
Nous nous sommes battus, enfin, nous : des camaradesau XXe siècle après un conflit mondial à une époque où le parti communiste français engrangeait 25% de votes, merci à eux.
Est-ce que Jean-Claude a déjà participé à une seule manif, je l’ignore et à vrai dire en doute.
Lui qui mieux que personne avant et après incarna la gueule de l’agent technique municipal dans l’imaginaire collectif mais :
Lui qui volontiers utilisait le terme fonctionnairecomme une injure lui qui
De toute façon n’avait jamais le temps jamais le cœur.
Jean-Claude en arrêt maladie c’est beaucoup plus qu’un simple travailleur en arrêt maladie, je le sens tout de suite même si je ne me l’avoue pas sur le coup : un
homme piégé sur deux poteaux cylindriques
qui ne semblent plus avoir grand-chose à voir avec la locomotion
qui ne semblent plus avoir grand-chose d’organique.
Tout ça sent déjà une odeur légèrement inhabituelle, que je ne parviens pasque je n’ose pas trop interpréter : quelque chose qui s’accélère, qui va vers, qui va vers.
Un clignement de paupières, un plan de coupe sur l’arrêt de bus en travaux, une ellipse : Jean-Claude meurt Jean-Claude est mort.
06:35 Publié dans Jean-Claude | Lien permanent | Commentaires (0)
16/12/2019
Jean-Claude requiem X
Cependant une question demeure :
Est-ce que Serge, David, les Roland, Marie-Jo, Marie-France
moi.
Est-ce que nous avons fait ce qu’il fallait faire
pour que l’âme de Jean-Claude
s’apaise et aille rejoindre
le lieu que les âmes sont censées rejoindre
Quand elles en ont fini avec la graisse
les jambes qui gonflent
les sudations qui mettent mal à l’aise
les petites stagiaires fines comme des bâtons de glaces
à qui on veut seulement dire bonjour.
Chacun de nous
d’une façon ou d’une autre
a dû se poser la question
chacun avec sa culture et sa sensibilité.
Pour ma part
j’ai pensé que si j’étais du Tibet
et si j’avais le crâne rasé alors je saurais
quoi dire à qui sur quel rythme et sur quel ton
pendant quel nombre de jours
un multiple de sept probablement.
Des livres des morts me passent de temps en temps dans les mains au département Civilisations
et c’est toujours pareil :
fascination fébrile du grain du papier sous mes doigts
impression d’être sur le point d’accéder au secret de quelque chose
foule de sensations dans le néocortex en forme de ET SI, ET SI…
puis au bout de trois pages
ça devient indiscutable : je m’emmerde.
Trop de gras
ma vie sans doute.
Trop de gras
trop d’amour pour le
quelques étapes spirituelles remises à demain comme tout un chacun
mais
il ne s’agit pas de moi ici :
il s’agit de Jean-Claude
de l’âme de Jean-Claude.
Son souffle, sa façon traînante d’amener ses chaussures
de sécurité et ses palettes dans votre champ auditif.
Son addiction aux chevaux qui courent vite.
Les formules, les équations qui lui permettront de s’en aller d’ici
de ne pas avoir à planer sur ce sous-sol pour l’éternité
si tant est qu'elle ait mieux à faire ailleurs.
05:33 Publié dans Jean-Claude | Lien permanent | Commentaires (0)