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31/12/2013

Le nouvel an

Cher monde cruel,

Il y a un an exactement je t'ai tiré le portrait du poète nouveau de 2013, celui qui devait sauver le monde une fois de plus sans que personne, ou presque, s'en rende compte, une fois de plus.

Eh bien voilà, c'est foutu.

Il a atteint sa date de péremption.

Une fois de plus.

Ah le salaud.

J'ai tout recompté en repartant du début, cher monde cruel.

Voilà mon bilan :

J'ai publié un livre en moyenne tous les 9,5833333 ans.

J'ai fait un gosse tous les 28,75 ans.

J'ai déménagé tous les 2,613636363636363636363636 ans, et sorti des cartons tous les 4,10714285714286 ans une vieille résolution datant de l'été 1999 et qui consistait à m'astreindre à un rythme d'un poème par jour.

J'ai fait ce que j'ai pu, voilà.

Et j'ai trouvé quelques personnes pour me dire que j'avais eu raison de le faire.

Que la vie avait été un peu mieux à cause de ça, même le temps d'une soirée d'emmerde, même l'espace d'un sourire en coin.

On m'a même dit quelquefois que j'avais bien bossé.

On ne pouvait pas me faire un plus beau compliment.

D'autres fois, j'ai mis un jour après l'autre, en matant du côté du bout de mon nez pour voir si tu étais, cher monde cruel.

Et en fin de compte, ça a fait une année.

J'ai réussi à ne pas me demander pourquoi. 

J'ai réussi à ne pas me demander pourquoi.

J'ai défait des cartons et je les ai refaits.

J'ai retrouvé des dessins perdus et des carnets de notes. 

Je n'y ai pas foutu le feu.

J'ai compté mon fric.

Je ne me suis pas attaché de ceinture de TNT autour de la table.

J'ai ouvert des courriers administratifs.

J'ai récité des prières.

Et puis j'ai fait ce que j'ai pu.

Je ne parle toujours pas russe couramment.

Mais j'ai observé la régularité de mes séries de pompes pendant au moins quatre mois.

Ce qui n'est déjà pas si mal.

Quand on sait quelle volonté il faut pour repousser le sol.

Alors, une fois de plus, bonne année, monde cruel.

Je te pardonne tout d'avance si tu es soft pour ma gueule de bois.

Je te fais un bisou, 

et je m'y remets,

avec que dalle devant moi à part des boulettes de chatterton et des moutons de poussière au fond des fichiers informatiques.


Bon, on fera avec. 


21/11/2013

Dantzig, pour me la péter deux minutes

Cher Monde Cruel,

Je sais bien que tu as horreur que je me la pète. 

Tant pis.

Comme de toute façon il fait trop moche dehors et j'ai les mains trop abîmées pour que ma journée ressemble autre chose qu'à un cliché de fan de sous-Bukowski persuadé que c'est lui qui a inventé la loose. Alors, je vais pas jouer l'effarouchée sur les coups de pouce et les bonnes nouvelles.

Les faits, tu les connais : j'étais l'autre jour en train de me rendormir sur mon ordinateur professionnel, quand un collègue, M., descend de la salle de pause et me félicite de ma bonne fortune. Quiquequoi ?, j'ai dit. Eh ben, tu sais quand même que ton bouquin a une critique dans le Magazine Littéraire !

Bien sûr, j'ai cru qu'il se foutait de ma gueule. Mais cinq minutes plus tard, il revenait avec ledit magazine, numéro de novembre 2013, ouvert aux pp.30-31 pour prouver sa bonne foi.

Bon, j'ai été tout de suite rassuré : M. exagérait un peu, il y avait un paragraphe consacré à Mon Vrai boulot à la fin d'un papier de deux pages sur Thomas Bernhard — et désolé, Monde Cruel, je ne vais pas la bouder non plus la proximité avec un auteur jouissif qui a d'ailleurs consacré sa carrière à te faire de la pub...

L'article était signé Charles Dantzig.

Il faut que je précise que je ne l'avais pas ajouté à mon service de presse par hasard : Dantzig connaît très bien ce que je fais, pour m'avoir gentiment refusé deux manuscrits pour le compte de Grasset — et quand je dis gentiment, il n'y a pas le bout de la queue gluante d'une ironie : ses refus étaient toujours argumentés, bien vus, bourrés de remarques tout à fait constructives, et citaient le texte

Ce qui équivaut à des encouragements, donc.

Quoi que tu fasses pour me déprimer un bon coup, fiches de paie et quittances de loyer à l'appui, tu ne me feras jamais croire que tout est complètement et irrémédiablement pourri, y compris sur les trottoirs de Saint-Germain-des-prés, si propres qu'on n'a même pas l'impression que ce sont des trottoirs. 

Voilà où je voulais en venir : même si le métier de Pouêt-Pouêt consiste beaucoup à faire passer le fait de se geler en jaquette en décembre pour un choix esthétique et l'achat de fringues à Emmaüs pour un principe politique, il y a quand même des choses à faire.

J'y pensais il y a quelque mois, en lisant une polémique entre écrivains refusés et petits éditeurs sur un journal en ligne. Ce qui en ressortait, d'après les éditeurs en général, c'est que beaucoup de mes chers collègues en galère adorent se tirer dans le pied en refusant de signer des contrats à moins de 3000 exemplaires et de retravailler leur texte.

J'ai songé un moment à envoyer une tribune au même journal, puis je me suis rendu compte que cette tribune se serait limitée à une phrase :

EH, MEC ! TON ÉDITEUR, C'EST TON GEORGE MARTIN ! EST-CE QUE TU TE CROIS VRAIMENT SUPÉRIEUR À QUATRE BEATLES, TOI TOUT SEUL ???

Voilà la vérité, sur l'édition, en France, en 2013 : si on fait son boulot honnêtement, on est lu. Et on est publié.

Mal diffusé, pas distribué parfois, mais non publié, pour peu qu'on ait pas la connerie de se prendre pour un artiste maudit AVANT d'avoir essayé, vraiment, j'y crois pas.

Note que, malgré mes trois bouquins publiés à ce jour, je reçois encore ma part de lettres de refus. Tant mieux, on n'est jamais trop protégé contre ses petites facilités. Seule solution : faire péter le réveil tôt le matin, se procurer assez de café et de cigarettes pour mettre le moteur en route, et s'y jeter.

Mais je dois te laisser, cher Monde Cruel. J'ai du boulot. Je n'ai pas besoin d'en rajouter sur Dantzig, ceux qui ont lu son Dictionnaire égoïste de la littérature française pour savoir que c'est un lecteur hors pair. Et de lire sa poésie pour savoir qu'avec lui, on reste en famille.

Je te dis pas adieu. On se revoit à ma prochaine gueule de bois.