28/02/2014
Des yeux derrière les oreilles
Le problème, ce n'est pas qu'un moteur de recherche très connu ait été le premier à penser à ton anniversaire.
Le problème, ce n'est pas que des vitres teintées se mettent à te suivre dès que, mains dans les poches, tu te mets à rêvasser un peu sérieusement.
Le problème, ce n'est pas qu'une caméra de surveillance ait été la boule de gui qui bénit votre premier baiser.
Ni que ce jour-là justement, tu aies eu l'idée du siècle, l'idée de génie qui t'aurait fait adouber des universités américaines,
section weird & frenchitude,
et que tu n'avais pas le petit bout d'un carnet sur toi.
Le problème,
c'est que ton corps est devenu ce cahier de brouillon géant
accessible sur tous les PC/smartphones/tablettes du monde,
que tu ne le reconnais plus,
et que personne n'a su te dire si on a l'air intelligent, comme ça,
à mondialiser
un murmure.
09:44 Publié dans Gueules de bois | Tags : le problème, caméras de surveillance, baiser, anniversaire, universités américaines, mondialiser un murmure | Lien permanent | Commentaires (0)
27/11/2013
Cher Li Zhenfan
Cher petit dragon,
tu me connais mieux que personne
de 10 à 14 ans j'ai dormi sous une vingtaine de posters à ton effigie
alors ce n'est pas à toi que je vais la faire
oui cher petit dragon
tu sais tout
depuis je t'ai remplacé sur mes murs
Keith Richards Joyce Cendrars puis
le vide
mais je ne pourrai jamais nier que tu as été mon premier poète
la scène des nunchakus dans La Fureur du dragon
la première perf de ma vie
j'ai tant dormi
sous des représentations de toi torse nu muscles saillants sueur dans les contours
que je me demande comment j'ai fait pour ne pas devenir homo
ou du moins lire tout Mishima
avant la vingtaine
tu peux te vanter
d'être celui qui m'a vu
travailler dormir chialer rêver me toucher
plus que toutes mes femmes réunies
et le premier à m'avoir enseigné la vertu artistique de la rigueur et des séries de pompes
tu vois
j'ai oublié plein d'anniversaires cette année
mais pas le tien
bien que j'aie passé nos années de séparations
à pratiquer des exorcisme
pour faire sortir m'enfance de ce corps
j'ai voulu te jeter avec l'eau du souvenir
mais j'ai moyennement réussi
chaque année par deux fois
27 novembre et 20 juillet
tu me revenais à l'esprit
comme chaque fois que quelqu'un s'attribuait le titre de big boss
si on y réfléchit
tu aurais à peu près l'âge de Brigitte Fontaine
dit comme ça
ça ressemble à un collage dada mal préparé
mais joint au fait que j'ai récemment réalisé que mon grand-père paternel
a commencé son premier mandat de maire dans une petite ville de province l'année même où les Pistols ont sorti Nevermind the bollocks
il y a de quoi réfléchir à la notion d'époque
j'ai jamais rien pigé au postmodernisme
20:19 Publié dans Bouts de peau | Tags : bruce lee, petit dragon, anniversaire, nevermind th bollocks | Lien permanent | Commentaires (0)
02/02/2013
Anniversaire
Mon cher Jacques Jouasse,
C'est aujourd'hui le 131è anniversaire de ta naissance, et je n'en reviens toujours pas que tu m'aies fait cet effet-là aussi longtemps.
Ah, tu m'auras bien gâché la jeunesse ! Rappelle-toi, comment c'était, d'aborder une fille dans la cour du lycée, et de lui dire : " Salut, Nausicaa, comment va ton effrayant torrent tout au fond ? "
Va esquiver le coup de sac à main, après ça. Je ne savais pas comment faisaient les autres, mais je me rendais compte d'une chose : ils arrivaient à vivre. Ils arrivaient à vivre sans leur défonce quotidienne à l'encre d'imprimerie.
C'était ça, tes livres. De l'alcool de papier. Une titubation vers un sens lumineux, mais inatteignable parce qu'on trébuchait, le cerveau bouffé par les notres de bas de page. On accrochait un oeil, une main, une dent, mais alors une vue d'ensemble sur le corpus christique, dans cet état, autant tenter de se réciter en apnée le monologue de Molly.
J'aimais tes superstitions, ta mauvaise foi. J'aimais bien le bouffon haut perché sur ses baskets, et aussi le fait que, toi aussi, avant écrivain, tu aurais voulu faire star du rock.
Mais ce que j'aimais surtout, c'était que ton Dublin 1904 (pas 5 ou 6. Pas 3 et demi. 1904) avait exactement les dimensions de ma vieille ville industrielle ayant raté sa reconversion.
Les bistrots étaient les mêmes. Les grandes gueules étaient les mêmes. Les antisémites étaient les mêmes. Et d'ailleurs, à chaque fois le héros portait le même nom que mon tas de charbon natal.
Tout ça a été à l'origine d'un terrible malentendu qui m'a rendu presque aveugle, moi aussi, pendant des années.
A l'époque, entrer dans une librairie et ouvrir un livre au hasard, et m'apercevoir que ces gens-là mettaient de la ponctuation, utilisaient des mots d'une langue déjà écrite avant eux, et n'attachaient aucune importance aux gargouillements de l'estomac de leurs personnages - comme si tu n'avais pas existé - me donnait l'impression de vivre dans le péché.
Alors, j'ai voulu bien faire. J'ai recopié tous tes procédés, j'ai commis des épopées en 12 chants parodiques sur un lacet qui se défait, je me suis positionné courageusement vis-à-vis de l'Eglise d'Irlande. Mes efforts ont fini par payer, si bien que vers septembre 2001, je commençais à être moderne en 1922.
Je n'avais pas compris que ton vrai tour de force, c'était d'avoir créé le plus brave type de la littérature occidentale.
Mais, au fond, est-ce que j'ai vraiment le droit de t'en vouloir pour ça ?
Un de ces quatre je te relirai. Et cette fois, sans avoir le soleil dans les yeux. Mais pas maintenant. Maintenant, j'assimile tous les volumes que tes épaisseurs de papier bible m'ont cachés si longtemps. Mais je te garderai toujours une place dans mes fondations.
Parce que je t'aime, Jacques Jouasse. Je ne sais plus si je t'admire, mais je t'aime.
Tu as été mon impasse, mon doigt dans l'oeil. Mon adolescence, quoi.
11:35 Publié dans Conneries | Tags : james joyce, anniversaire, molly, stephen dedalus, adolescence, modernité | Lien permanent | Commentaires (0)