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10/04/2015

Pour une débénabarisation du quotidien 195-200

Suite du match de téléphone arabe épicé-puéricole avec Emanuel Campo. Épisode précédent ici

 

195) Tout ce qu'on a dû vivre pour en arriver là. À voir un fleuve. Et encore. Là où tu vois un fleuve je vois une place triangulaire, avec un square où des assistantes maternelles alcooliques vident des cartons de bouteilles de lait vides & généreusement offertes par l'union Européenne avant de rallumer leur cigarette et de laisser les gosses s'étriper tranquillement. Je vois ça et un fil de fumée qui monte, et j'hésite sur quelle bagnole je vais balancer mon mégot à moi.

 

196) Ce que j'aime dans cette place, c'est qu'elle porte le nom de la bataille la plus meurtrière de la seconde guerre mondiale. Je ne sais pas quoi en conclure mais j'aime bien cette collision des mots. 

 

197) Les Boches battent en retraite à l'heure des parents. Les Soviétiques vont maintenant s'en donner à cœur joie avec toute la faim le désespoir la frustration dont ils sont capables. Pendant dix ans et nous trouverons que ce n'est que justice. 

 

198) Quant à moi, je sais que je vais bientôt fermer, et que je vais faire les gestes. Balancer le marc de café. Vider le filtre permanent dans la poubelle. Rincer avec un jus noir et grumeleux. Remplir à nouveau. Six cuillère. Deux verres-doseurs. Puis régler la machine sur 5h45. Allumer une autre cigarette en pensant aux heures de sommeil perdues. Je sais que si je deviens dingue un jour ces gestes-là y seront pour quelque chose. Alors je les fais en essayant de ne rien voir d'autre dans une cafetière qu'une cafetière. Ça fait déjà trente ans que je m'y exerce. L'abstraction n'est jamais si problématique qu'avec des gestes comme ceux-là. 

 

199) Ces gestes. Ces gestes qui ne se cherchent pas d'identité, parce qu'ils savent à quel point ils ressemblent aux gestes du soir précédent, qui ressemblaient à ceux du soir d'avant, etc. Ils sont fiers, ces gestes. Quelle que soit notre tendance au romantisme et notre petite gloriole dans les milieux poétiques ce sont toujours eux qui gagnent. Avec le tempo régulier d'un hymne national. On n'y croit pas mais on chante quand même. Et le cœur s'accélère au refrain. Il y a quelque chose de profondément fasciste dans les gestes du quotidien. 

 

200) Et demain, au lever, on aura oublié, et ce sera reparti pour un tour.