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10/01/2018

Il n'est jamais trop tard pour attendre la catastrophe

 

Attention : cet article contient des spoilers. Ils sont signalés à leur apparition.

Ça fait trois ans et quelques jours que deux individus armés ont pénétré dans les locaux du journal Charlie Hebdo pour dézinguer tout ce qui bougeait.

Ça fait donc trois ans et quelques jours que la radio, la télé, internet, le comptoir du PMU et la concierge causent de religion à tort et à travers.

Question : telle religion est-elle soluble dans l'esprit républicain ? Le rejet d'une religion est-il du racisme ? Les steaks hallal mangent-ils les enfants ?

On a beau tourner ces questions dans tous les sens - dans une approche généralement morale et/ou politique - on manque quelque chose d'essentiel, à mon avis, si on néglige le plan spirituel et ses conséquences.

Car en tant qu'option philosophique, la foi n'est pas, contrairement à ce qu'aimerait les zélateurs de la laïcité - dont je fais partie -, une activité privée sans conséquence, comme le macramé ou le tennis de table. C'est une manière de concevoir le monde, et de l'habiter. Qui conditionne nos rapports avec les autres.

C'est la raison pour laquelle, si vous m'en croyez, vous allez sortir dix-sept balles de votre livret A pour acheter le dernier roman de Frédérick Houdaer.

Ça commence comme une comédie de mœurs. Il y a Christophe Cordier, dit EphèZ, dessinateur de BD vaguement adulescent et franchement misanthrope. C'est lui qui parle. Il y a sa sœur Isa, et il y a leur mère. Leur mère s'appelle Véronique, mais ce n'est pas l'important. L'important, c'est qu'elle appartient aux Témoins de Yaweh, organisation religieuse bien connue pour exiger de ses fidèles une austérité radicale, un prosélytisme active au porte-à-porte et un refus total des transfusions sanguines. Le reste du temps, ils prêchent la haine du monde et l'imminence de la fin du monde.

Toute ressemblance avec une religion existante étant tranquillement assumée par l'auteur.

À partir de là, le ton oscille entre la sitcom et le drame sanglant.

Au moment où l'action démarre, le narrateur est bien emmerdé : sa mère vient d'être renversée par une voiture et un médecin revêche le presse de lui dire si en cas d'opération il autorise une transfusion. À partir de là, un enchaînement d'événement liant un test de grossesse, une Témoin renégate, un kyste au poignet et l'atelier d'un collectif de BD va faire dérailler l'action. Vers une joyeuse noirceur.

Car bien que Christophe et Isa se soient tous les deux rebellés contre les principes qu'a tenté de leur inculquer leur mère, ils se rendent compte qu'ils en ont été marqués à vie. Le premier, en développant une misanthropie de plus en plus ouvertement monstrueuse. L'autre, en pratiquant un activisme écologiste aussi sectaire que la pratique religieuse maternelle.

Dans un style calculé pour faire grincer les dents aux amateurs du bien écrire que l'Académie française pleure depuis la mort de Jean d'Ormesson (un de moins, ouf), bourré des références pop les plus triviales possibles, c'est à un véritable combat contre le monde que se livre EphèZ. Et pas sur un terrain moral. Sur un terrain spirituel. Parce qu'il a été dressé dès l'enfance à attendre la catastrophe, il a fini non seulement par la provoquer, mais ne plus être capable d'AIMER qu'elle.

****************SPOLER !!!*****************

Et c'est ainsi qu'à force de travailler sa haine contre une communauté dont il croit être sorti, il finira par lui ressembler. Jusqu'à devenir l'instrument d'une vengeance d'une ironie d'une ironie à la limite du soutenable. Éloignez les enfants.

À la fin que reste-t-il ? Surtout pas les bons ou les méchants.

Il y a ceux qui seront sacrifiés et ceux qui survivront. Dans un bonheur amer. Point final.

 

Armaguédon strip, de Frédérick Houdaer, Le Dillettante, 2018.