19/12/2014
Aloïs
Mon pote et moi on a été dans la même maison de retraite
c'est là qu'on s'est connus
c'était facile on avait à peu près la même peau
et le même goût pour le vide
Mon pote et moi notre truc c'était la viervolte
les falaises
— survie sur les glaciers du cœur et du savoir
ascension du col
du fémur
chute libre
(soignée à la colle à dentier)
mon pote et moi on ne s'est pas fait chier ces quarante-deux dernières années
que la mort
laisse un message ou
mate un peu les plantes vertes de la salle d'attente
nous
on a tellement à faire
— apprendre à babiller, à ramper, à rester sur le dos sans pouvoir se retourner, à lâcher la cuillère, à baver
apprendre à ne pas reconnaître l'infirmière —
n'ayez pas peur de la sénilité pour mon pote et moi
TOUT EST ENCORE À RACONTER
on n'a pas fait de guerres
mais on les a quand même oubliées
comme on a oublié nos sphincters
et les prénoms des héritières
AVALE
AVALE
AVALE
dit la voix
mais en fait c'est pas vraiment une voix
AVALE
AVALE
AVALE
c'est un jouet avec des sons préenregistrés dont les piles sont en train de lâcher
AVALE
AVALE
nous ça nous fait marrer
mon pote et moi on rit de se faire nettoyer par des beautés qui mâchent du chewing-gum
comme si c'était pas notre peau dans leur bouche
comme si c'était pas leur avenir sur nos varices
et comme si c'était pas entre nos rides
toutes ces choses qu'elles n'osent s'avouer
il y a les seins qui tombent
les érections qui finissent par se lasser
il y a le mal de dos
et toute cette jeunesse qui attendait pour exploser
que quelqu'un y pose le pied
il y a la rouille et les uniformes que personne ne reconnaît plus
mais mon pote et moi on s'en fout
mon pote et moi on n'y est plus du tout
mon pote et moi on les emmerdera jusqu'au bout
00:05 Publié dans fins de séries | Tags : maison de retraite, mon pote et moi, aloïs, infirmière, désapprendre, alzheimer | Lien permanent | Commentaires (0)