Pour une débénabarisation du quotidien 6 (53/66)

53) À ça près que les artistes morts, c'est comme les héros vivants, ils ne peuvent pas se défendre.

 

54) Donc, rewind. Un jour plus un jour plus un jour. Il y en a qui appellent ça la journée de la marmotte. I got you babe. Joni Mitchell, putain. En étant Bill Murray ce serait plus facile.

 

55) Vous marrez pas. Achille a eu le choix.

 

56) Mobiliser la peur, les capacités musculaires, l'adrénaline, ça il savait faire. Aller crever dans une action surhumaine, vivre un vrai morceau d'histoire, crever idem, faire bosser des générations de poètes et de sculpteurs, ça il l'avait fait en première langue. Mais un jour plus un jour plus un jour ? Exister, sans plus, diffuser, sans plus, peur capacités musculaires adrénaline jusqu'à ce qu'une douzaine de chiards aient l'âge de choisir d'aller crever en plein soleil ou dans une fil d'attente de la SÉCU ?

 

57) Résultats définitifs : un jour plus un jour plus un jour = 1. Achille = 0.

 

58) Ce qui nous amène à l'option n°2 : Ulysse.

 

59) Option Ulysse : supporter un jour plus un jour plus un jour jusqu'à ce que les cris du bébé emplissent tellement la tête qu'on a envie de la lui éclater à coups de charrue. S'éclater les dix ans qui suivent avec les potes sur la mer Égée avec remise de médailles et partage de captives. Gagner le concours de travaux manuels du comité avec un jouet en bois monumental. Traîner en route et ne revenir que quand on est vraiment sûr d'avoir émoussé tous les mauvais souvenirs. Puis, retrouver Pénélope.

 

60) Ce que ça a dû être, sa première nuit avec Pénélope. Pénélope quoi, trente-cinq ans ? Rappelez-vous qu'on faisait les enfants plus tôt à cette époque. Mais Pénélope qu'il connaissait encore sur le bout des doigts. Et sur le bout de la langue. Et son odeur qu'il n'avait jamais pu s'enlever des narines. Et son corps comme un orgue en chair vive dont il était le seul à savoir jouer. PARCE QU'IL CONNAISSAIT LE TRUC, ULYSSE. Il savait ce que ni Achille ni aucun enculeur de captives & de jeunes recrues du contingent dans son genre n'a jamais voulu admettre : on ne baise bien qu'à partir de la 300ème fois. Et que si Ithaque était sa terre, ce n'est que parce qu'il savait, lui, comment toucher Pénélope pour qu'elle devienne liquide. Quelle oreille de Pénélope était la plus sensible. Les tubes de Marvin ou d'Otis qui rendaient Pénélope négligente quant aux questions de ménage. De quelle façon Pénélope aimait qu'on la prenne. À quelle seconde mettre le doigt dans quelle brèche de Pénélope pour faire de la magie la plus normale des choses. Et que, malgré la crudité de la lumière l'imperfection des peaux les kilos accumulés des deux côtés, malgré aussi le fait qu'Ulysse n'ait jamais perdu une seconde de vue son paquet de mouchoirs parce qu'il faut bien accepter qu'il y aura un après, ceci n'est peut-être pas autre chose que la définition de l'amour fou.

 

61) Je raconte cette histoire à la nature sauvage qui babille en face de moi avec le contenu d'un petit suisse-banane étalé dans les cheveux. La nature sauvage s'enlève la tétine de la bouche et dit CACA.

 

62) Toute la fatigue accumulée en dix-huit mois à dompter la nature sauvage me retombe brutalement sur la gueule.

 

63) S'il y a un instant pour filer comme Ulysse et devenir une légende à usage de la nature sauvage, c'est maintenant.

 

64) C'est le moment de lui dire. Que l'essentiel de ce que sa mère et moi lui répétons à longueur de journée est un ramassis de clichés destinés à lui rentrer son imagination à l'intérieur du crâne, et défense qu'elle dépasse. Que les conneries lyriques qu'il imaginera adolescent sont les seules choses qui le sauvent d'à peu près tout le reste. Qu'il devra les mettre en sourdine s'il ne veut pas devenir clodo, mais qu'il crèvera longtemps avant sa mort s'il ne les maintient pas vivantes.

 

65) Et à la place, je sens pousser en moi un bosquet de langues de bois.

 

66) Alors je lui dis : Interdiction de lire ma poésie, petit. Pour être sûr qu'il le fasse.

 

 

* Pourquoi 6 ? Parce que la saison 5 est là, sur le blog et née de la plume d'Emanuel Campo. D'ailleurs il a raison, je vais changer de numérotation, ce sera plus simple.