19/11/2015
Le virus du matin
J'ai eu jusqu'à six heures du mat pour réfléchir là-dessus
maintenant la grande aventure commence
va falloir la tenir jusqu'au bout
sans qu'on puisse même soupçonner à quel point elle fait mal
lire fumer finir ce café me foutre un coup de pied au cul pour le gainage et les haltères
refuser un dessin animé à mon avatar le plus vivant
frôler les fesses de la divinité des logis en se demandant à quoi on ressemblera tous les deux ce soir
après le boulot
après les transports en commun et les regards inavouables à tout ce qui ressemble à un mec en rogne contre la terre entière
et à peu près en forme
tout ça plus le battement du sang dans les tempes
et la limaille de l'air dans les bronches
tout ça
avec cette aisance de putains d'occidentaux qui ne doutent de rien.
07:00 Publié dans fins de séries | Tags : six heures du matin, journée, métro, occidentaux gâtés | Lien permanent | Commentaires (0)
01/07/2015
Pour une débénabarisation du quotidien (250-263)
Suite de la saga politico-diariste en duel avec Emanuel Campo. Épisode précédent ici.
250) Pour les siphons encrassés nous avons des produits. Pour les révolutions qui montent lentement le long de la colonne verticale, nous avons des produits. Pour les matins difficiles, nous avons des produits. Il suffit de demander. Il suffit d'acheter.
251) 7h30.
252) C'est ton organisme qu'il faut persuader qu'il a eu assez d'heures de sommeil. Il y a un effort rhétorique à faire. Les mots existent quelque part. Il suffit de chercher.
253) Mettons que l'enjeu de la poésie contemporaine soit une affaire de compléments alimentaires. Et alors ? Est-ce que la fédération a émis une liste de produits dopants interdits ?
254) Tout ça, l'alcool et les stéroïdes. Merde. Comme si de naissance on n'était pas tous accro à quelque chose. Je me lève et je fais les gestes, je reste sobre jusqu'à 11h-11h30. Et alors je sens violemment monter en moi le manque d'une assiette de macaronis. C'est impérieux et je pourrais vous clouer à la table à coups de fourchette pour ça.
255) ... votre programme de désintoxication, pour le macaroni ?
256) 14h.
257) Je flotte. Le collègues croient que puisque je suis devant mon ordinateur, que j'ai adopté la gueule du mec qui, je suis là, avec eux, en train de réinvestir en énergie l'argent du contribuable. En fait, je vogue.
258) Je suis installé sur un trône en sacs plastiques. Mes pieds sont maintenus à une hauteur idéale pour la circulation, sur des coussins en sacs plastiques. Je contemple la plage, satisfait. De là je vois débarquer l'un de mes équipages. On va compter le butin. Mais je prends mon temps. Ce n'est pas si facile d'arrimer un bateau à une crique en sacs plastiques.
259) Ce île en sacs plastiques, j'en suis le roi. J'ai été élu à l'unanimité et à main levé, seuls les vétérans amputés des deux mains ont demandé un recomptage des voix. De temps en temps, ils protestent encore. J'attends la révolution.
260) La révolution se produit à 18h55. Tous les jours. Dans tous les estomacs en même temps. Quelque chose éclate dans les têtes. Soudain il se produit une accélération et tout le monde est debout.
261) 18h59 : les derniers clients dérivent vers les caisses. Sur les retardataires il y aura carnage.
262) 19h01 : les estomacs se dénouent - on a trouvé une solution pacifique à la crise. Pour tous, c'est un soulagement. Marie-Pierre a un regard perdu. Je ricane, comme un gros phoque mongolien.
263) 19h05 : habillés, harnachés, prêts à rebrancher l'alarme. Et puis métro. Et puis soirée à occuper. Nouvelle crise de manque. Cette fois il faudra quelque chose de gras pour que ça passe. Les estomacs se nouent. Jusqu'à la prochaine révolution.
10:02 Publié dans Pour une débénabarisation du quotidien | Tags : manu campo, débénabarisation du quotidien, îl en sacs plastiques, révolution, journée, addiction | Lien permanent | Commentaires (0)
11/07/2014
Berceuse du chien
pleure pas bébé c'est rien
papa est pas devenu méchant il a seulement bouffé trop de gens depuis ce matin
les gens c'est la coutume on en embrasse on en lèche on en bave
on en crache on en suce ou on en dirige on en parle
faut le faire tous les jours c'est comme ça c'est la coutume
on les emporte avec soi
cinq minutes ou une heure c'est pareil on en emporte toujours avec soi
des bouts de peau
des bout de peau goût persistant
on en a plein la bouche le chien est là pour ça
il est là il te veille mon amour rendors-toi
et ne t'inquiète pas pas devenu dingue papa
a trop bouffé c'est tout
les gens cinq minutes ou une heure c'est la coutume
on ne part pas en courant on reste assis on leur parle avec le sourire qu'on peut
et si on peut pas on hoche la tête
mais s'ils sont trop parfois le chien s'excite
il se met à baver à aboyer à tirer
voudrait des gorges pour changer
voudrait des crânes à broyer
c'est pas grave bébé c'est qu'un chien excité
qui voudrait aller faire un tour
ce soir le chien de papa est fatigué
il a en a reniflé peut-être plus de deux mille
il a dit les mots il a fait la grimace il a hoché la tête
mais à partir de mille c'est difficile les mots déraillent
c'est comme ça c'est normal
les mots c'est comme les chiens au bout d'un moment ils tirent
ils surchauffent ils n'ont pas la ventilation suffisante
c'est comme ça c'est fatal
alors ils s'embrouillent
au lieu de bonne fin de journée ils voudraient bien dire va te faire enculer
au lieu de voulez-vous un ticket ils font et si vous pouviez crever mais alors lentement
et d'autres choses qu'on doit pas dire devant un petit garçon comme toi
mais c'est fini maintenant tout est calme rendors-toi
papa va te chanter une chanson pleine de carnages et de gestes héroïques
il y aura des tripes étalées sur l'herbe à des kilomètres
ton chien à toi fera un bon dodo repus
rendors-toi fils on n'a pas été bidouillés pour les époques à paix
la faute aux chasseurs de mammouths et à leur peur idiote des tigres à dents de sabre
on sait tenir des mois sur les nerfs en attendant les migrations
on sait rester sur un arbre une semaine sans bouffer
mais on sait pas aller au bout de la journée
on sait tremper les mains dans la glaise
dessiner des chevaux sur la paroi
on fait ça sans lumière
mais on sait pas les mots qui font aimer l'humanité après quatre heures PM
et il y a beaucoup d'autres choses qu'on ne sait pas
mais le chien dort déjà
demain si tu veux on ira lui donner quelques vilains mots à ronger
on le fera grogner sur toutes les mémés dans les bus
sur tous les automobilistes
et sur les distributeurs de journaux gratuits
si tu veux c'est toi qui le lâcheras
maintenant calme-toi mon chéri rendors-toi
c'est promis demain on ira
08:32 Publié dans Bouts de peau | Tags : journée, chien, bouts de peau, fiston, berceuse | Lien permanent | Commentaires (0)