18/10/2019
Jean-Claude requiem II
Depuis la mort de Jean-Claude quelque chose de bizarre qui flotte dans l’atmosphère au boulot.
Collectivement : quelque chose a été modifié dans la consistance du réel (l’image est d’un pote à moi : initiales SS, rien à voir avec des options politiques).
Il ne s’agit pas d’un trou ou d’un manque, tout au contraire c’est comme si une chose qui n’avait jamais cessé d’être là, était toujours là. Collée aux murs – dans les bouts de mousse qui dépassent des faux plafonds – au sein des tuyauteries à vif – sur le quai de déchargement – loge des gardiens aussi, partout, à l’exception des salles destinées à recevoir le public.
Ce qui signifie que cette chose n’a rien à voir avec les extincteurs.
Jean-Claude : le gars qui avait préparé son fantôme de son vivant.
Raison de notre sidération. Collectivement : j’ai vérifié, ça fait une semaine maintenant et j’ai posé la question à une bonne quinzaine de collègues. Jean-Claude faisait partie de la vie de chacun de nous. Il est mort sans le savoir. Peut-être même qu’il est mort de ne pas le savoir. Ce qui nous met, les deux cents à deux cent cinquante que nous sommes en permanence, plus les anciens mutés dans des annexes, puis les retraitées et retraités, plus les morts et les mortes, plus les vacataires jamais rappelés, les trois ou quatre directeurs et les conservateurs d’État en détachement, - vingt-sept ans de boîte font du monde – au premier rang des assassins.
10:33 Publié dans fins de séries, Jean-Claude | Tags : jean-claude, assassins, fantôme | Lien permanent | Commentaires (0)
17/02/2017
Gratos VI
au fond tout au fond
où le turquoise avale toute couleur
et la recrache en fantasmagorie
au fond tout au fond
là où l'oxygène se change en méthane
là où la pression n'est pas un vain mot
là si nos cœurs sont solides
si nous pouvons suivre la ligne droite
si le silence ne nous effraie pas
alors
on est ouvert à la découverte
la banquise : surpoids
les pôles : sudation
entrer dans le spongieux
faire des pointes de ballerine dans l'ascenseur
et sourire
Jean-Claude passe
vingt ans de Ville
l'aventure pas lavée
gilet et transpalette
les doigts glissent
comme s'il ne voulait pas adhérer au poème
mais celui qui ne mérite pas un poème de moi n'est pas encore né alors
j'agrippe l'absence
comme une pellicule graisseuse
Jean-Claude passe
c'est son métier
si Jean-Claude disparaît
c'est que Jean-Claude va revenir
son transpalette c'est son chien
son ami
sa femme
il est complet Jean-Claude
mais il y aura toujours un moment où il aura besoin de mon binôme
pour les vérités fondamentales
la planque, c'est les autres
le quinté même dans le désordre
vous requinque un conquérant
mise tout sur un bourrin
et embrasse le soleil
ça et les blagues
approximatives et rouges cent vingt kilos comme lui et sudation excessive
mais pas tellement plus que celle de Lacan
c'est une expérience exigeante mais depuis que je suis ici
j'ai appris à tout encaisser avec un sourire
à part ça le soir sa mère dans la soupière et retaper la vieille DS de papa
et quand il s'ennuie
des fois un tour en voiture jusqu'au Lidl de Saint-Fons
au fond tout au fond
il y a une épaisseur de la solitude que tu ne connais pas si tu n'as pas été un Noir dans un commissariat
ou si tu n'as pas été Jean-Claude
tout s'abolit
les faux plafs gouttent
on entre dans la non-temporalité
celle dont causent les bouddhistes
les chevaux en ont marre de manger tous seuls
les chevaux en ont marre de mourir tous seuls
le reste du temps
il n'a pas le temps
alors il s'en va laissant un murmure dans la bouche de mon binôme
c'est vrai que Jean-Claude est radin
et qu'on l'a vu porter un truc tous les 29 février
mais j'aimerais parfois être une prostituée ukrainienne
belle jeune fraîche comme un poulain de deux ans
et courir tout Jean-Claude en pôle position
jusqu'à la ligne d'arrivée
et me la péter ensuite
belle
jeune
fraîche
et par-dessus tout
une vraie chrétienne
06:14 Publié dans Gratos | Tags : jean-claude, temporalité abolie, lidl de saint-fons | Lien permanent | Commentaires (0)
11/02/2017
Gratos IV
...
je traîne des transpalettes car cela est bon
je salue Michel au poste de garde car cela est bon
je demande la clé du quai car cela est bon
je préfère la machine à café du 4è car cela est bon
je tords la bouche aux blagues de Jean-Claude car cela est bon
je rêve aux noms des chevaux car cela est bon
j'apprends à me connaître grâce aux matraques de Chérie FM car cela est bon
j'ouvre le micro-ondes trop tard car cela est bon
je trie les stocks en parlant d'accidents vasculaires cérébraux car cela est bon
je scotche les caisses fendues car cela est bon
je fais la vaisselle dans les toilettes car cela est bon
je perds les clés du monte-charges car cela est bon
je règle mon bras sur le bras de mon binôme car cela est bon
j'ouvre je respire j'écoute car cela est bon
...
06:36 Publié dans Bouts de peau, Gratos | Tags : transpalette, monte-charges, jean-claude, eh les mecs qui a remarqué que c'est un sonnet | Lien permanent | Commentaires (0)